Présent à l’inauguration du «Mur des disparus»,
un ministre français revendique une «politique de mémoire assumée»
Un membre du gouvernement de François Fillon a revendiqué, hier, une «politique de mémoire assumée» sur la page sanglante de la Guerre d’Algérie. Alain Marleix, secrétaire d’Etat chargé des Anciens Combattants, s’exprimait lors de l’inauguration controversée, à Perpignan, du « Mur des disparus, morts sans sépulture en Algérie (1954-63) ».
Plus de 5.000 personnes – issues, pour la plupart, du monde rapatrié – assistaient à une
cérémonie pilotée par la mairie UMP de Perpignan et le Cercle algérianiste, association la plus visible de la «Nostalgérie ». Conçu comme un hommage, le mur énumère, sur dix plaques de bronze, les noms de trois milliers de disparus dont 400 militaires du contingent appelés ou rappelés sous les drapeaux entre 1956 et la signature des accords d’Evian. Annoncé pour 2008, un Centre de la présence française en Algérie devrait jouxter le mur. « Perpignan la solidaire ne pouvait ignorer ces vies brisées (…) elle se devait de permettre la mise en place d’un monument aux disparus ensevelis dans la mémoire de l’histoire », a déclaré, en guise de justification du projet, le maire de la ville, Jean-Paul Alduy.
Prévues initialement pour meubler le monument, des citations d’Albert Camus et de Slimane Benaïssa ont été retirées à la demande de Catherine, la fille de l’écrivain et du dramaturge. Dans un courrier adressé au maire de Perpignan en date du 15 novembre, le coauteur de « Babor ghrak » affirme qu’on « ne construit pas la paix d’une manière partisane et surtout pas avec des personnes qui continuent la guerre sur le terrain de la mémoire». Comme c’est souvent le cas lors des manifestations mémorielles autour de la Guerre d’Algérie, le «Mur des disparus » a cristallisé la polémique.
Depuis plusieurs semaines, partisans et adversaires du projet s’affrontent à coups de pétitions et d’appels. Samedi, quelque 200 personnes représentant les organisations de défense des droits de l’homme et des partis de gauche s’étaient rassemblées à Perpignan pour dénoncer la réalisation du mur et en mettre en garde contre les risques qu’il fait planer sur la « cohésion nationale ».
Le président de la Ligue des droits de l’homme, Michel Tubiana, y voit « un coup contre le vivre ensemble», un site qui participe d’une «réhabilitation de la
colonisation» et d’une «instrumentalisation des morts». Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), le qualifie de «mur dangereux » parce qu’il nourrit les «logiques de la revanche» et se livre à une «discrimination des mémoires au lieu d’apaiser». La présence du ministre français chargé des Anciens Combattants à l’inauguration n’a pas été annoncée dans son agenda officiel contrairement à sa présence, la semaine dernière, à l’inauguration d’un mémorial à Créteil dans le Val-de-Marne (région parisienne). « Nous devons surmonter l’affrontement systématique des mémoires pour aller à l’établissement objectif des faits et à la vérité des événements », a-t-il soutenu sur place.
Or, estiment les adversaires du projet, le «Mur des disparus» et le Centre de la présence française en Algérie sont, au
contraire, porteurs d’un affrontement des mémoires. Avec ces deux lieux et d’autres à la nature similaire prévus dans le Sud de la France, « tous les ingrédients idéologiques sont présents pour enflammer une nouvelle guerre des mémoires, pour diviser et attiser la haine et le communautarisme», s’irritent-ils. Ils affirment soutenir «les musées, centres de documentation ou mémoriaux où s’écrirait l’Histoire: celle des colons, des immigrants et des militaires, mais aussi celle des colonisés, ce qui implique de travailler, aussi, avec des historiens algériens».
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Une entreprise attentatoire à la mémoire des victimes algériennes
Le mur de la honte de Perpignan.
L’une des clés politiques de la loi de février 2005 portant, entre autres, sur «les aspects positifs de la colonisation» s’exposera, à compter de ce jour, à ciel ouvert dans la ville de Perpignan sous la forme du regroupement des cercles dits algérianistes et de l’inauguration d’un «mémorial des disparus en Algérie [1954-1963]». Nul ici ne s’y trompe, les manifestations de Perpignan consacrent bel et bien une démarche de longue main qui vise à légitimer dans l’espace public français les thèses et les hommes de l’Algérie française, y compris de l’OAS, son bras armé. Ceux qui sont derrière l’initiative du mur des disparus – soutenu et financé par la mairie de droite dirigée par le sénateur UMP Alduy – avaient eu déjà l’occasion, en juillet 2005, d’attirer l’attention en érigeant une stèle à la mémoire de tueurs de l’OAS qui avait alors suscité l’émotion des proches des victimes de l’organisation terroriste européenne et de militants de droits de l’Homme. En septembre dernier, ce projet de mur des disparus avait provoqué un très sérieux incident au sein du conseil municipal de la ville de Perpignan, et une partie de l’opposition avait quitté la séance qui avait estimé que ce mur resterait comme «une tache sur le mandat» de l’actuelle majorité.
Il s’agit donc d’un mur de quinze mètres de long et de deux mètres de haut, sur lequel devraient être gravés les noms de ceux qui sont disparus en Algérie entre 1954 et 1963, et il n’échappera à personne que la clause portant l’indistinction des confessions et des statuts ne masquera pas plus que cela ce qui est réellement visé. Ne s’y trompent en tout cas pas les associations de «défense de la mémoire des victimes de l’OAS» et des «amis de Max Marchand, Mouloud Feraoun et leurs compagnons» qui, dans une déclaration commune rendue publique la veille de la manifestation, s’émeuvent de l’érection de ce mur qui réactive la guerre des mémoires, et en appellent aux pouvoirs publics afin d’interdire «toute manifestation apologétique de l’OAS sur l’espace public».
L’hommage aux harkis
Les appréhensions exprimées trouveront largement leur justification dans l’ampleur même donnée à ce qui confère à une stratégie de mise en visibilité des cercles algérianistes consacrés comme vecteur de reconfiguration de ceux qui continuent de se nommer des «Français d’Algérie» dans les débats politiques français et singulièrement dans la gestion de «la présence française en Algérie», par ailleurs promise à une proche institutionnalisation. Un colloque et une table ronde sur le générique «Quel droit à la mémoire pour les Français d’Algérie» ont ainsi occupé divers intervenants qui, par l’écrit et, notamment, par l’image – les télévisions françaises ont largement donné sur ce registre des dernières années – tentent de reconstruire un statut victimaire d’Européens d’Algérie et, en filigrane, d’approfondir le travail de disqualification des résistances algériennes et principalement des luttes en faveur de l’indépendance sous la direction du FLN. Le congrès algérianiste s’ouvrira d’ailleurs sur un hommage appuyé aux harkis – dont l’un des porte-parole attitrés remettra symboliquement la médaille de chevalier de la légion d’honneur au fondateur des cercles – et il est notable que le mur des disparus soit aussi encadré de deux citations, l’une de l’écrivain Albert Camus, tiré du célèbre roman La peste, l’autre du dramaturge Slimane Benaïssa, dédiées précisément «à tous les harkis aux noms effacés». Il semblerait que la citation du prix Nobel qui marque «l’injustice et la violence qui leur avaient été faites» ait été utilisée contre l’avis de sa fille et on peut rappeler de quelle manière Camus avait été pris à partie en janvier 1956, à Alger, par les partisans de l’Algérie française qui savent aussi avoir la mémoire oublieuse. Ces agitations d’un groupe démographiquement marginal, politiquement connoté pour ses attaches avec l’extrême droite française seraient sans conséquence si elles ne trouvaient d’inattendues ampliations au sein de la classe politique française et particulièrement auprès de l’UMP, parti majoritaire. C’est dans ce cadre qu’il convient de situer les ouvertures – qui avaient choqué une partie de l’opinion – de l’actuel chef de l’Etat, alors en campagne électorale, en direction des nostalgiques de l’Algérie française. On citera notamment le discours prononcé à Toulon et sa philippique contre l’idée de repentance, thème récurrent de travaux d’historiens comme Daniel Lefeuvre – présent au colloque de Perpignan – ou de publiciste comme Pascal Bruckner. Cette ouverture ira-t-elle jusqu’à la participation d’un représentant de l’Etat français aux assises «Algérie française» ?
La position de l’Etat français
La question se pose d’autant plus que la rumeur parisienne faisait état de la présence à Perpignan du secrétaire d’Etat aux anciens combattants et que le programme de la manifestation signalait formellement la participation «d’un représentant de l’Etat». Dans la mesure où effectivement le gouvernement français s’associait à ce type de manifestation et cautionnait à tout le moins les thèses défendues à Perpignan, la question s’imposerait de savoir quelles conséquences ce choix pourrait et devrait avoir sur les rapports entre les deux pays. A la veille d’une visite d’Etat en Algérie du président français, forcément scrutée par tous ceux qui suivent l’évolution des relations entre l’ancienne puissance coloniale et le Maghreb, est-il en effet imaginable que l’Etat français puisse s’aligner sur les positions de ceux qui refusent encore de reconnaître de fait l’indépendance du pays ? La question est autrement plus sérieuse que le battage artificiellement monté autour de la présence d’un chanteur de variétés dans l’avion présidentiel français. Le fait est que les autorités algériennes observent, pour le moins, une certaine retenue depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence et, hormis une déclaration de seconde main de l’organisation des anciens moudjahidine, la veille du 1er Novembre, il est constant que les demandes algériennes de repentance sont moins audibles comme semble en attester le retrait notable, sur le dossier du président algérien, qui en fut l’une des voix les plus autorisées. Jusqu’où les nostalgiques de l’Algérie française devraient-ils aller trop loin pour que les tenants officiels du discours sur la dignité algérienne se sentent dans l’obligation de sortir d’un silence déjà bien problématique ?