Dimanche 25 novembre, aura lieu l’inauguration du “ Mur des disparus ” dans le jardin de l’ancien couvent Sainte-Claire à Perpignan, un
“ mur ” long de 15 mètres et haut de 2 mètres 50.
De part et d’autre du haut-relief central réalisé par Gérard Vié — une sculpture en bronze représentant un buste — se trouvent deux plaques en marbre vert sur lesquelles sont gravées les inscriptions suivantes :
- plaque de gauche
“ Vous êtes entre les mains de Dieu pour l’éternité
et nos coeurs pour la vie
en notre mémoire pour la paix ”
Slimane Benaïssa
- plaque de droite
“ Pour ne pas être de ceux qui se taisent
pour témoigner, pour laisser du moins un souvenir
de l’injustice et de la violence
qui leur avaient été faites ”
Albert Camus
Le “ mur ” se poursuit par cinq plaques de bronze de chaque côté. Au total dix plaques où figurent les noms de 2243 «Français
d’Afrique du Nord morts sans sépulture entre 1954 et
1963» et 400 militaires français1.
La manipulation dont les harkis sont, une fois de plus, victimes, sera commentée ultérieurement.
La “ citation ” d’Albert Camus
Les responsables du “ mur ” avaient laissé entendre qu’une citation d’Albert Camus y figurerait. D’après Politis, «la fille d’Albert Camus a manifesté, par lettre, son refus de voir une citation de son père utilisée» 2. Mais il ne semble pas que le maire de Perpignan et son premier adjoint, Jean-Marc Pujol, aient tenu le moindre compte de la demande de Catherine Camus.
Certes les “ algérianistes ” ont tendance à s’approprier Albert Camus, au prétexte qu’il est né en 1913 dans le Nord-Constantinois. Mais ils ne peuvent ignorer que, au moment où Camus lançait, à Alger en janvier 1956, son appel à la Trêve civile, les partisans de l’Algérie française hurlaient dans la rue : «Camus à mort !», et qu’ils ont même voulu l’enlever pour l’assassiner.
Catherine Camus aura sans doute également évoqué dans sa lettre l’assassinat de Mouloud Feraoun par des tueurs de l’OAS, le 15 mars 1962 à Alger. Mouloud Feraoun qui avait écrit dans son Journal, à propos de son ami Albert Camus : « il est aussi algérien que moi »3
La “ citation ” de la plaque de droite, attribuée à Albert Camus, est extraite de l’épilogue de La Peste, ouvrage publié en 1947. Voici l’antépénultième (= avant-avant-dernier) paragraphe de cette oeuvre célèbre :
« Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles. La ville les salua par une longue et sourde exclamation. Cottard, Tarrou, ceux et celle que Rieux avait aimés et perdus, tous, morts ou coupables, étaient oubliés. Le vieux avait raison, les hommes étaient toujours les mêmes. Mais c’était leur force et leur innocence et c’est ici que, par-dessus toute douleur, Rieux sentait qu’il les rejoignait. Au milieu des cris qui redoublaient de force et de durée, qui se répercutaient longuement jusqu’au pied de la terrasse, à mesure que les gerbes multicolores s’élevaient plus nombreuses dans le ciel, le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.»
Le lecteur aura fait le lien entre la partie soulignée de la dernière phrase du texte et l’usage qui en a été fait par les concepteurs du “ mur ”. Le lecteur peut constater que le Cercle algérianiste ne s’est pas contenté de s’approprier indûment un texte d’Albert Camus : il s’est même autorisé à le modifier en le tronquant !
La citation de Slimane Benaïssa
Les responsables du “ mur ” avaient également laissé entendre qu’une citation d’un auteur algérien y figurerait. On apprend qu’il s’agit de Slimane Benaïssa.
Ce militant de la paix, né à Guelma, a déclaré récemment à propos de la situation en Algérie : «aujourd’hui qu’on appelle à la paix, il faut tout d’abord éteindre les feux du conflit».
Une voix d’Algérie au « service de la liberté, de la paix civile et de la concorde ». C’est en ces termes que Jacques Chirac avait accueilli, le 5 juin 2000, l’auteur, acteur et metteur en scène Slimane Benaïssa au sein du Haut Conseil de la Francophonie, qu’il présidait.
La lettre que Slimane Benaïssa a adressé au maire de Perpignan confirme qu’il a été abusé : un homme qui place la paix au centre de son action ne peut cautionner ceux qui continuent la guerre sur le terrain de la mémoire.
Monsieur le Maire,
M. Maurice Halimi m’a demandé mon accord pour qu’une de mes phrases soit portée sur le mur des Disparus.
Militant pour la paix depuis toujours, j’étais heureux d’apporter ma contribution à une stèle qui serait un symbole de paix pour l’avenir. Malheureusement, j’apprends que Monsieur Jean-Marc Pujol, chargé de ce dossier a inauguré en 2003 une autre stèle à la mémoire des héros de l’O.A.S.
Monsieur le Maire, permettez-moi de porter à votre connaissance que des membres de ma famille sont tombés sous les balles de l’O.A.S. et que le magasin de mon père a été plastiqué par l’O.A.S. On ne construit pas la paix d’une manière partisane et surtout pas avec des personnes qui continuent la guerre sur le terrain de la mémoire.
Je vous serais obligé de bien vouloir prendre acte du fait que je m’oppose à ce que mon nom et mes mots figurent sur la stèle qui décorera le mur des disparus.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments respectueux.
- Les chiffres varient suivant les sources : d’après Pierre Daum, dans l’édition du 24 novembre de Libération, il s’agirait de «2300 pieds-noirs et de 300 militaires français enlevés et tués par le FLN, et dont on n’a jamais retrouvé les corps». [Note de LDH-Toulon, ajoutée le 25 nov. 07]
- Politis, N°976 du 15 novembre 2007, page 10.
- Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, Seuil éd., 1962, p. 203.