Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Le mémorial du Quai Branly (photo : cheminsdememoire.gouv.fr)

Le mémorial du quai Branly, le pouvoir et les nostalgiques de la colonisation

Le président de la République et son gouvernement ont décidé d’inscrire sur la colonne centrale du Mémorial du quai Branly les noms des victimes civiles de la manifestation de la rue d’Isly, à Alger, le 26 mars 1962. La Ligue des droits de l’Homme, tout en s’inclinant devant la mémoire des civils victimes de ce tragique évènement, proteste contre l’ouverture du Mémorial aux seules victimes d’une manifestation organisée par l’OAS. La LDH dénonce une nouvelle tentative du pouvoir politique pour chercher à satisfaire les demandes d’un lobby nostalgique de la colonisation, lié à l’extrême droite.

Communiqué LDH

Paris, le 26 mars 2010

Le Mémorial du quai Branly, le pouvoir et les nostalgiques de la colonisation

En dépit des protestations exprimées par les associations de victimes de l’OAS (notamment l’Anpromevo) ainsi que les organisations d’anciens combattants de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie (Ufac, Fnaca, Arac, etc.), le président de la République et son gouvernement ont décidé d’inscrire sur la colonne centrale du Mémorial du quai Branly, voué aux morts de ces conflits, les noms des victimes civiles de la manifestation appelée par l’OAS, rue d’Isly, à Alger, le 26 mars 1962, à l’occasion du 48e anniversaire.

Si la Ligue des droits de l’Homme s’incline devant la mémoire des civils victimes de ce tragique événement, elle rappelle, d’une part, que, durant toute la durée de la guerre d’Algérie et les mois qui ont suivi le cessez-le-feu, les populations civiles ayant subi des massacres ou des exactions et les personnes disparues ont été extrêmement nombreuses et se comptent par centaines de milliers, et, d’autre part, que la manifestation de la rue d’Isly du 26 mars 1962 avait été organisée par l’OAS dans le cadre d’un mouvement insurrectionnel armé contre les autorités de la République pour s’opposer au choix politique de la paix et de l’indépendance de l’Algérie approuvé très largement par le peuple français.

Dans ces conditions, ouvrir ce Mémorial, voué jusque-là aux victimes combattantes de l’armée française et de ses forces supplétives, aux seules victimes civiles d’une manifestation organisée par une organisation terroriste qui n’a pas hésité à ouvrir le feu sur des soldats français, ne peut que susciter nos plus vives protestations.

Nous ne pouvons y voir qu’une nouvelle tentative du pouvoir politique pour chercher à satisfaire les demandes d’un lobby nostalgique de la colonisation qui cherche à parler au nom des rapatriés d’Algérie et est lié à l’extrême droite.

Le mémorial du Quai Branly (photo : cheminsdememoire.gouv.fr)
Le mémorial du Quai Branly (photo : cheminsdememoire.gouv.fr)

Le mémorial1

Le «Mémorial National de la Guerre d’Algérie et des Combats du Maroc et de la Tunisie» a été solennellement inauguré le 5 décembre 2002, quai Branly à Paris, par le Président de la République, Jacques Chirac.

Ce mémorial est constitué de trois colonnes alignées, de section carrée (6 m de haut x 0,60 m de côté), séparées chacune de deux mètres, avec sur leur devant un espace ouvert. Chaque colonne présente, sur sa face avant, un afficheur électronique littéral qui permet de faire défiler, en continu, les noms et prénoms des soldats et supplétifs morts pour la France, ainsi que l’historique de cette guerre. 22 400 soldats défilent ici en permanence, année après année, par ordre alphabétique, sur la première colonne aux diodes bleues. La colonne centrale aux diodes blanches est réservée aux principaux faits historiques ; quant à la troisième colonne, celle aux diodes rouges, elle permet d’appeler le nom d’un disparu depuis le pupitre de commande placé un peu en retrait à sa droite.

Au sol encore, à l’avant du dallage de pierre, face aux colonnes on peut lire l’inscription suivante : « À la mémoire des combattants morts pour la France lors de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie et à celle de tous les membres des forces supplétives tués après le cessez-le-feu en Algérie dont beaucoup n’ont pas été identifiés », en lettres capitales taillées dans la pierre.

En l’absence d’un consensus national sur une date pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie, le gouvernement Raffarin a institué «une journée nationale d’hommage aux “morts pour la France” pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie», et a fixé cette journée au 5 décembre de chaque année2.

Les noms des “victimes civiles françaises innocentes” défileront

En retrait, sur le coté gauche du mémorial, est apposée une plaque avec le texte suivant, très proche de celui de l’article 2 de la loi controversée du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés»3 :

« La Nation associe les personnes disparues et les populations civiles victimes de massacres ou d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Evian, ainsi que les victimes civiles des combats du Maroc et de Tunisie, à l’hommage rendu aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord. »

Lors de son allocution devant le mémorial, le 5 décembre 2009, Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants a annoncé sa décision4 :

«Enfin, nous avons décidé d’inscrire sur la colonne centrale du monument national du quai Branly le nom des civils français, victimes innocentes de la guerre d’Algérie.

«Les premiers noms seront ceux des femmes et des hommes tués lors de la tragédie de la rue d’Isly. Puis, nous instruirons, avec méthode, au fur et à mesure des demandes, l’inscription des noms de toutes les victimes civiles innocentes de cette guerre.

«Ainsi, sur ce monument, la nation rendra hommage à ses soldats, comme aux Français morts rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962 et à tous nos compatriotes, victimes civiles de la guerre d’Algérie.

«Nous le devons aux familles des victimes. Nous le devons à ces femmes et à ces hommes, morts parce qu’ils n’avaient qu’un seul rêve et un seul espoir : continuer à vivre là où ils étaient nés. »

Hubert FALCO lors de son allocution, le 5 décembre 2010, quai Branly (Crédit photo : Jacques Robert - DMPA)
Hubert FALCO lors de son allocution, le 5 décembre 2010, quai Branly (Crédit photo : Jacques Robert – DMPA)

Dans une lettre adressée à la Fnaca le 2 mars 2010, Hubert Falco précisait :

« la colonne blanche accueillera donc, sur demande des familles ou d’associations représentatives, les noms de victimes civiles françaises, quelle que soit la partie au conflit responsable de leur mort, dès lors que l’instruction qui sera menée par mes services montrera qu’il s’agit bien de victimes innocentes, c’est-à-dire de personnes qui n’étaient pas des activistes, ni du FLN, ni de l’OAS.»

La Fnaca et le mémorial

La principale association d’anciens combattants de la guerre d’Algérie, la Fnaca – Fédération Nationale des Anciens Combattants en
Algérie-Maroc-Tunisie – a toujours contesté la décision prise en septembre 2003 de fixer au 5 décembre la «journée nationale d’hommage aux “morts pour la France” pendant la guerre d’Algérie ». Elle reste fidèle à son choix du 19 mars, anniversaire du cessez-le-feu, pour honorer les victimes de ce conflit, et elle a écrit le 1er mars 2010 à tous les maires de France pour le rappeler5.

Elle conteste d’autre part la décision du Secrétaire d’Etat aux Anciens combattants d’inscrire les noms des victimes civiles de la tragédie de la rue d’Isly le 26 mars 19626 sur la colonne centrale du mémorial national du quai Branly à Paris, rejoignant ainsi les associations de défense de la mémoire de victimes de l’OAS7.

Communiqué de Presse de la FNACA

Le Comité National de la FNACA, réuni à Paris, les 13 et 14 janvier 2010, […] s’élève avec force contre le projet annoncé par M. Hubert Falco, secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, lors de la cérémonie du 5 décembre dernier, visant à faire inscrire les noms des victimes civiles du drame de la rue d’Isly le 26 mars 1962, sur la colonne centrale du Mémorial National de la guerre d’Algérie.

Cette initiative serait ressentie comme une véritable insulte à l’Armée Française, restée loyale à l’égard des Institutions Républicaines dans cette période perturbée par les exactions de l’OAS.

La FNACA rappelle que le Mémorial National de la guerre d’Algérie, érigé quai Branly après de nombreuses années de démarches, est dédié aux seuls militaires et supplétifs « Morts pour la France » durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie.

Le Comité national, en plein accord avec cette position, réaffirme à cette occasion son attachement indéfectible à une journée du souvenir et du recueillement à la mémoire des 30 000 militaires tombés en Afrique du Nord, à la date anniversaire du cessez-le-feu officiel du 19 mars 1962, seule date historique, « digne de commémoration ».

Le Comité National de la FNACA appelle tous ses responsables locaux et départementaux à assurer une fois de plus le succès des cérémonies qui auront lieu à travers toute la France le vendredi 19 mars 2010, 48 ans après la fin de la guerre d’Algérie.

Paris, le 14 janvier 2010

Dans un communiqué publié le 17 février 2010, la Fnaca «s’indigne de la montée d’une certaine intolérance et dénonce l’agressivité manifestée dans les milieux extrémistes à l’égard de la commémoration du 19 mars » à laquelle elle rappelle son attachement.

Guerre des mémoires à Claviers

Cette année [2010], comme les précédentes, les commémorations du cessez-le-feu de 1962 en Algérie se sont déroulées le 19 mars devant les monuments aux morts. Quelques-unes ont été l’objet de contestation. A Claviers, paisible village du Haut-Var, la petite centaine de personnes, dont plusieurs élus locaux et Pierre-Yves Collombat, sénateur du Var, qui avaient répondu à l’appel du président de la Fnaca du canton, se sont retrouvés face à un collectif « anti-19 mars » composé d’une centaine de pieds-noirs et harkis, venus de différentes localités du Sud-Est pour dénoncer « cette commémoration honteuse ».

« Je suis ici au milieu des morts et amis pour respecter un devoir de mémoire, a déclaré le sénateur Pierre-Yves Collombat. Sans minimiser les souffrances, il faut définitivement arrêter cette guerre. Je participe à cette commémoration comme je participe à celle du 5 décembre. C’est le propre du tragique, mais il faut savoir dire stop. »

  1. Référence : http://arts-plastiques.ac-rouen.fr/grp/sculpture_commemorative/guerre_algerie_paris.htm.
  2. Décret n° 2003-925 du 26 septembre 2003. Voir cette page.
  3. La loi 2005-158 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006051312&dateTexte=20100323.
  4. Le discours de Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux anciens combattants le 5 décembre 2009 : http://discours.vie-publique.fr/notices/103000021.html.
  5. La lettre du 1er mars 2010 de la Fnaca aux maires de France : http://www.fnaca.org/page.asp?IDPAGE=322.
  6. Pour les événements de la rue d’Isly, le 26 mars 1962, à Alger, voir 609.
  7. Voir la tribune de Jean-François Gavoury et Jean-Philippe Ould Aoudia, présidents respectifs de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS et de l’association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons : «Nul ne peut dicter la mémoire de la nation».
Facebook
Twitter
Email