Le massacre par l’armée algérienne de nombreux supplétifs qui pendant la guerre civile ont choisi la France est une tache indélébile dans l’histoire de la guerre de libération. Les Algériens n’ont pas appliqué les accords d’Evian en mars 1962. Mais l’abandon de ces mêmes supplétifs, ou harkis, par la République française constitue l’une des pages les plus honteuses de la geste gaullienne. Nous sommes un certain nombre à avoir pensé cela et à l’avoir écrit depuis une vingtaine d’années. Bien tard ? Ce n’est pas, en effet, à notre honneur. Mais nous l’avons fait, notamment en soutenant les organisations dont André Wormser a pris l’initiative et en écrivant, Jean Lacouture et moi, une préface aux confessions dramatiques d’une «Fille de harki»1.
Voici une noble cause et, sur elle, contrairement à ce qui s’écrit aujourd’hui, la vérité la plus pénible a été révélée, écrite et dénoncée. Affecter de penser que cette cause a été ignorée ou refoulée est déjà une inexactitude criante. Mais se servir de cette cause pour faire un réquisitoire haineux et complet contre toute la politique du général de Gaulle et contre tous ceux qui ont tenté de conserver des liens entre la France et l’Algérie, cela est simplement révoltant. Un livre sur lequel nous aurions préféré faire le silence prétend dénoncer ainsi «Un mensonge français» 2. Le nombre des erreurs de fait et d’interprétation est si grand dans ce livre que l’on peut s’étonner qu’elles aient échappé à ceux qui l’ont édité. Camus n’a jamais fait l’objet d’un hommage aussi niais et tout ce que l’auteur me fait dire sur lui est scandaleusement déformé. Quant à Germaine Tillion, elle serait révoltée que l’on puisse reprocher à de Gaulle d’être raciste. Mendès France s’est repenti d’avoir déclaré que l’Algérie était la France et il a pris contact très vite avec Ferhat Abbas. Mais la liste des frivolités historiques serait trop lassante…
Il est vrai qu’après huit ans de guerre et trois de négociation, après sept changements de gouvernement et deux complots visant à renverser la République, de Gaulle a bâclé la paix, exaspéré de n’avoir pu trouver chez les Algériens un interlocuteur qui eût été digne de l’idée avantageuse qu’il se faisait de lui-même. Il est vrai aussi qu’il n’a jamais sérieusement pris en considération une solution qui eût fini par intégrer en France 30 millions d’Algériens. Mais de toute manière il est consternant de ne pas rappeler que cette solution avait été d’abord refusée par les Français, qui, depuis un siècle, s’étaient opposés à l’octroi de la citoyenneté française aux Algériens qui la demandaient. Quitte, plus tard, à devenir les champions d’une Algérie française qu’ils avaient rendue impossible.
Jean Daniel