«Non les braves gens n’aiment pas
que l’on suive une autre route qu’eux…»
Georges Brassens
Bussière-Boffy. Plusieurs familles vivant sur la commune dans des yourtes sont menacées d’expulsion
publié le 26 fév. 2009 dans Le Populaire du Centre
Si l’habitat est léger, le climat est lourd
Certains sont là depuis bientôt vingt ans et ils étaient jusque-là bien tolérés par la municipalité. L’atmosphère semble s’être tendue depuis l’arrivée du nouveau maire.
C’est en lisière d’un petit hameau du pays de la Mandragore, perdu dans les landes les plus occidentales du Limousin, que sont installées trois yourtes fumantes. Le jardin est encore en friche, des chevaux et des ânes paissent à coté, et une poignée d’enfants profite des vacances en jouant dehors.
Alex vit là depuis bientôt vingt ans. Deux de ses enfants sont déjà grands, mais son petit dernier, Sohane, vit avec ses parents sous la yourte. Si dehors, l’hiver est encore mordant, le petit poële à bois suffit aisément à chauffer le vaste espace circulaire.
“Marginaux”. « On demande juste à vivre comme on l’entend, sans gêner personne… », lâche Alex. Sa compagne Sara est persuadée, tout comme lui, que « le nouveau maire veut se débarrasser de tous les “marginaux” de la commune, comme il dit. Il nous avait pourtant promis de régulariser notre situation… Maintenant il veut nous expulser ! »
Pas de domiciliation. La présence de yourtes sur la commune ne date pas d’hier et plusieurs sont installées à l’année et habitées par des familles. Le problème est que le maire ne veut pas reconnaître officiellement leur domiciliation (lire ci-dessous).
Alex sort alors un lourd dossier : courriers frappés de la Mandragore municipale, accusés de réception, copie de la carte communale, décisions du conseil municipal, témoignages et soutiens,… Ce marionnettiste itinérant d’origine suisse n’en peut plus : « on ne court pas après les médias, mais on ne sait plus comment faire… »
«Ça a même failli mal tourner…» Il raconte alors que, dès l’arrivée des premiers activistes de l’habitat léger (lire ci-dessous), les rapports avec certains habitants ont été tendus. « Ça a même failli mal tourner, heureusement ça s’est calmé et nos rapports, en particulier avec la mairie se sont nettement améliorés… Jusqu’aux dernières élections et depuis, c’est l’enfer ! »
Tanya, une jeune maman d’origine anglaise, habite la coquette yourte voisine avec sa famille. Elle a les larmes aux yeux : « toute l’énergie qu’on dépense à se défendre, on ne peut pas la mettre à construire et à créer… Pourtant, ce n’est ni l’envie, ni les projets qui manquent pour la commune… » Et d’expliquer qu’elle est en procédure pour obtenir sa carte d’électrice, que certains ont rencontré des problèmes pour inscrire leurs enfants à l’école, que certaines promesses n’ont pas été tenues, etc. Sans compter l’atmosphère étouffante qui se développe dans la petite commune qui compte moins de 350 habitants…
Respect. « On a l’impression que le maire veut nettoyer la commune des habitats alternatifs, et qu’il veut voir pousser une belle zone pavillonnaire, comme cela semble se dessiner sur la carte communale,.. Nous n’imposons notre mode de vie à personne, mais nous demandons juste à ce qu’on respecte le notre », conclut Alex, à la fois perplexe et déterminé sur le seuil de sa yourte.
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Le maire de Bussière-Boffy est catégorique :« ces gens ne peuvent pas vivre ici » !
Jean-Paul Barrière est le maire de Bussière-Boffy depuis mai dernier. L’ancien conseiller municipal s’appuie sur la carte communale, établie en octobre 2007 à son initiative, pour justifier de l’impossibilité de reconnaître ces terrains agricoles comme habités.
Contacté par téléphone, Jean-Paul Barrière répète que « ces personnes se sont installées là, sur un terrain agricole, de leur plein gré. Ils disent être précaires et jouent là-dessus pour sensibiliser la population. Or au départ, c’est un choix de vie. Nous leur avons proposé d’autres terrains: des terrains constructibles sur la commune qu’ils ont refusés. » Les intéressés jugent ces terrains trop distants ou trop petits, « et nous sommes déjà propriétaires ici ! »
Enquête. De plus, ils mettent en avant le rapport du commissaire-enquêteur qui s’est chargé du dossier et qui précise qu’« il existe une forte demande d’un groupe de personnes qui ne semble pas avoir été pris en compte dans le projet de carte communale ».
Quelle solution ? « Comment voulez-vous que l’on fasse ? demande le maire, en tant que maire, c’est moi qui suis responsable s’il leur arrive quoi que ce soit. Ils vivent avec des enfants dans des conditions insalubres, sans eau, ni électricité. Nous voulons évidemment trouver une solution mais ces terrains agricoles ne sont pas constructibles et ces gens ne peuvent pas vivre ici. »
Si le commissaire-enquêteur ne conteste pas le caractère « très précaire » de certaines habitations, il insiste sur le fait que « certaines de ces familles sont établies sur la commune depuis plusieurs années et souhaitent améliorer leurs conditions de vie en y apportant des habitats solides ». Une option qui requiert une autorisation de… la mairie !
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Bussière-Boffy, capitale de l »habitat choisi’
Bussière-Boffy n’est pas un cas isolé. Depuis des décennies et dans le monde entier, des gens font le choix de la “sobriété volontaire” et de l’“habitat choisi”.
Une idée des relations aux autres et à l’environnement basée sur l’entraide, la gestion des ressources et des besoins : production d’énergie (panneaux solaires, éolienne, poêle à bois), d’engrais (crottin de cheval, compost), de légumes (jardin), et de viande (basse-cour), mais aussi auto-construction collective, crèche parentale, achats en commun de matériel agricole ou de véhicules, etc.
Des milliers… La yourte, habitat traditionnel des populations nomades des steppes mongoles, symbolise cette conception de l’“habitat choisi” : faible coût et respect de l’environnement. Aujourd’hui, et rien qu’en France, des milliers de personnes vivent ainsi « une sobriété joyeuse et conviviale »1, souvent depuis de longues années.
Un symbole. Mais Bussière-Boffy est devenu un symbole. En octobre 2007, l’association des HAbitants de Logements Ephémères ou Mobiles2 réunie en assemblée générale, y a établi ses statuts. Elle entend entre autre « favoriser par tous les moyens la reconnaissance du mode de logement éphémère ou mobile, et du mode vie qui va avec », « soutenir des projets d’installation et défendre […] les personnes et les lieux menacés ».