Le film que le réalisateur algérien Bachir Derrais a consacré à Larbi Ben M’hidi, leader du FLN assassiné par l’armée française en mars 1957 et dont la mémoire est vénérée en Algérie, a été projeté en avant-première et devant de nombreux membres du gouvernement algérien à l’Opéra d’Alger le 4 mars 2024. Cette projection intervient près de six années après son achèvement, du fait d’un refus gouvernemental de l’autoriser, la loi algérienne prévoyant l’octroi d’un visa à toute production relative à la guerre d’indépendance. Le journal Jeune Afrique s’est entretenu avec le réalisateur qui retrace l’histoire de cette sortie si longtemps empêchée. Selon lui, ce sont finalement 76 secondes seulement du film initial qui ont été coupées, avec son accord, à la demande des autorités.
En Algérie, le film sur Larbi Ben M’hidi sera enfin diffusé le 4 mars
par Farid Alilat, publié par Jeune Afrique le 1er mars 2024.
[…] Bachir Derrais confie à Jeune Afrique qu’un accord a enfin été trouvé avec les autorités pour sa sortie, maintes fois retardée depuis l’été 2018. Une projection en avant-première aura lieu lundi 4 mars, à 19 heures, à l’Opéra d’Alger. Ce jour coïncide avec la date d’anniversaire de la mort de Ben M’Hidi, étranglé dans la nuit du 4 mars 1957 par le général Paul Aussaresses durant la fameuse bataille d’Alger. Mardi 27 février, le réalisateur a signé un protocole d’accord avec les ministères de la Communication et des Moudjahidine (anciens combattants de la guerre d’indépendance) pour la distribution du film en Algérie. Selon Bachir Derrais, joint à Alger par téléphone, le long-métrage sortira dans les salles dans le courant de 2024.
Des négociations seront entamées avec des partenaires étrangers afin qu’il soit distribué en Europe et ailleurs. La fin d’un long parcours qui aura duré près de six ans. Il y a plus d’un an, Bachir Derrais avait annoncé que son œuvre était enfin autorisée à sortir, après une censure qui aura persisté plus de quatre ans. Le 14 décembre 2022, le réalisateur et les ministères de la Culture et des Moudjahidine avaient en effet signé un protocole d’accord levant toutes les entraves et les interdictions qui visaient le film. Qui devait même être projeté en avant-première, le 4 mars 2023, dans un cinéma d’Alger. Las ! L’accord n’a pas été respecté par les deux parties officielles, privant ainsi de sortie cette production qui a coûté plus de 4 millions d’euros.
Un film « trop politique » ?
La levée (enfin ?) de cette censure aura été le fruit d’une longue bataille historique, médiatique, politique pour ce réalisateur né dix ans après l’indépendance à Lakhdaria (auparavant appelé Palestro), en Kabylie. Achevé en août 2018, le long-métrage a d’abord été soumis à la commission de visionnage du ministère des Moudjahidine, conformément à l’article 5 de la loi sur le cinéma qui conditionne toute production de film sur la guerre de libération nationale à un visa des autorités. Après visionnage, ladite commission a émis 55 réserves de fond et de forme, portant sur la moitié de cet opus. Ses dix membres ont demandé au réalisateur de couper, de remonter ou de réécrire 55 scènes. La commission lui reproche de ne pas avoir mis l’accent sur la vie et le parcours de Larbi Ben M’hidi. Elle estime que la partie consacrée à son enfance est trop courte, que le côté politique de ce biopic prend plus de place que le volet sur la lutte armée. Elle considère aussi que le film n’a pas suffisamment insisté sur les scènes de guerre et sur les atrocités commises par l’armée française. La censure a connu un début de déblocage avec l’équipe arrivée au pouvoir après la fin du régime d’Abdelaziz Bouteflika, en avril 2019. De nouvelles discussions ont eu lieu avec des responsables des ministères de la Communication et des Moudjahidine. « Nous sommes passés de 55 à 5 réserves, confiait Bachir Derrais en décembre 2022. En tout et pour tout, ce sont 76 secondes qui ont été coupées pour un film qui dure 1 heure et 56 minutes. » Les scènes supprimées sont liées à des dates, aux noms de certains protagonistes, ainsi qu’à quelques phrases non conformes à la vérité des faits historiques, précise le réalisateur.