Le Conseil constitutionnel censure la loi sur le génocide arménien
La loi pénalisant la négation des génocides, notamment celui à l’encontre des Arméniens, vient de sombrer. Mardi 28 février, dans une décision très attendue, le Conseil constitutionnel a en effet censuré la proposition de loi en ce sens votée fin janvier, jugeant que le législateur en l’adoptant avait « porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ».
Les Sages ont repris les arguments des opposants au texte, qui se recrutaient sur tous les bancs parlementaires. Sa décision argumente que le législateur n’a pas le pouvoir de prévoir des sanctions sur des crimes « qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels » . Autrement dit, le Conseil constitutionnel reconnaît à la loi la possibilité de prévoir des peines d’amende ou de prison pour ceux qui s’aventureraient à nier des génocides sanctionnés par des juridictions internationales, comme c’est le cas pour la Shoah.
Il refuse en revanche que le Parlement instaure des sanctions pour des crimes qu’il déciderait seul de qualifier de génocide, comme il l’avait fait en 2001 en reconnaissant le caractère de génocide au massacre de masse des Arméniens. Les parlementaires n’étaient donc pas fondés à prévoir des sanctions pénales contre les négateurs de génocides « reconnus comme tels par la loi française », selon l’expression de la proposition de loi. Voilà pourquoi le Conseil constitutionnel a déclaré l’ensemble du texte « contraire à la Constitution » .
Nicolas Sarkozy demande au gouvernement « de préparer un nouveau texte »
Puisqu’il se base sur le respect de la liberté d’expression, le Conseil a pris soin d’encadrer sa décision de plusieurs précautions. Il précise ainsi qu’elle n’entraîne pas la censure de la loi de 2001 qui reconnaît le génocide arménien. « Cette loi ne lui était pas soumise et, a fortiori, il n’a formulé aucune appréciation sur les faits en cause », assure le communiqué du Conseil constitutionnel. Surtout, il insiste sur le fait que la censure ne vaut pas forcément pour tous les textes encadrant la liberté d’expression et notamment la loi de 1990 réprimant l’incitation à la haine raciale, les propos « raciste, antisémite ou xénophobe » .
La décision fait en tout cas figure de nouveau coup de théâtre dans une procédure qui en a déjà connu beaucoup. Portée à l’Assemblée nationale par une députée UMP de Marseille, où vit une forte communauté arménienne, la proposition de loi avait d’abord déclenché la colère des autorités turques. Soutenu par l’UMP comme par le PS, le texte était toutefois loin de faire l’unanimité, comme l’a montré le vote au Sénat, acquis par 127 voix contre 86.
Dans ce climat électrique, la saisine du Conseil constitutionnel avait constitué une nouvelle surprise car elle émanait de sénateurs et de députés issus de tous les bancs, mais avec un fort noyau venu de l’UMP. Nicolas Sarkozy, très favorable au texte, avait d’ailleurs estimé que ses amis lui rendaient un bien mauvais service en contestant la constitutionnalité de la proposition de loi. Il avait alors promis de redéposer « tout de suite » un nouveau texte en cas de censure. Il a fait savoir qu’il demandait au gouvernement « de préparer un nouveau texte, prenant en compte la décision du Conseil constitutionnel » .
Génocide arménien : Nicolas Sarkozy inquiet de la saisine du Conseil constitutionnel
Nicolas Sarkozy a déclaré mardi aux parlementaires de la majorité que le recours au Conseil constitutionnel contre le texte pénalisant la négation du génocide arménien « ne [lui] rend pas service », ont indiqué à l’AFP plusieurs sénateurs UMP.
Le chef de l’Etat a exprimé notamment le risque que si la proposition de loi était annulée, il y ait ensuite un recours contre la pénalisation de la négation de la Shoah, selon les mêmes sources.
Le Conseil constitutionnel a été saisi mardi 31 janvier de deux recours déposés contre le texte pénalisant la négation du génocide arménien : l’un, à l’initiative du groupe RDSE (à majorité radicaux de gauche) au Sénat, est signé par 77 sénateurs ; l’autre, à l’initiative notamment des députés de la Droite populaire Jean-Paul Garraud (UMP, Gironde) et Jacques Myard (UMP, Yvelines), est signé par 65 députés. Or seules 60 signatures sont nécessaires pour pouvoir saisir les Sages.
Ces recours suspendent de fait la promulgation de la loi définitivement adoptée par le Parlement avec un ultime vote du Sénat le 23 janvier. 86 sénateurs avaient voté contre ce texte et 126 pour. 236 sénateurs seulement avaient pris part au vote sur un effectif global de 347 sénateurs (un siège est vacant à la suite d’une invalidation électorale).
Parmi les 77 signatures recueilles au Sénat figurent des sénateurs issus de tous les groupes, y compris du PS et de l’UMP, a indiqué le président du groupe RDSE, Jacques Mézard. Parmi eux, la vice-présidente du Sénat Bariza Khiari (PS), les deux sénateurs socialistes de la Nièvre Gaëtan Gorce et Didier Boulaud, l’ancien président UMP du Sénat Christian Poncelet et l’ancien président de la commission des lois Jean-Jacques Hyest, lui aussi UMP.
La quasi-totalité du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) –dont Jean-Pierre Chevènement et le président du PRG Jean-Michel Baylet– et du groupe écologiste –dont son président Jean-Vincent Placé et la présidente de la commission de la Culture Marie-Christine Blandin– ont également apposé leur signature au bas de la saisine. Chez les centristes de l’Union centriste et républicaine (UCR), on note Jacqueline Gourault (MoDem), présidente de la délégation aux collectivités, et Jean-Léonce Dupont, vice-président du Sénat.
« Je me félicite que les sénateurs aient résisté aux pressions. Ce recours tranchera enfin du sort des lois mémorielles », a réagi Nathalie Goulet (centriste). « Le texte méconnaît, outre l’article 34 de la Constitution [portant sur le domaine de la loi], plusieurs principes fondamentaux du droit parmi lesquels ceux des libertés de communication et d’expression », ainsi que « de légalité des délits et des peines », a argumenté Jacques Mézard.
Un an de prison et 45 000 euros d’amende
Le vote de la loi avait suscité la colère d’Ankara et brouillé les relations franco-turques. Mardi, l’annonce de la saisine du Conseil constitutionnel a aussitôt été saluée par l’ambassade de Turquie à Paris. « Les relations franco-turques vont se détendre. On risquait une rupture. Pour le moment, cette rupture a l’air d’avoir été évitée. Nous attendons maintenant la décision du Conseil constitutionnel », a déclaré le porte-parole Engin Solakoglu.