Gilles Manceron : la France doit faire un travail politique et historique pour tourner la page coloniale
- Le 17 octobre 2012, le président Hollande affirmait que la France reconnaît avec lucidité les massacres du 17 octobre 1961 à Paris. Nous ne sont plus visiblement dans le déni, mais force est de constater, qu’une année après, ce geste n’a pas pour autant enclenché le début d’un processus pour une « meilleure connaissance » de ces faits par notamment l’ouverture souhaitée des archives coloniales sur cette période précise. Quelle lecture en faites-vous?
Le communiqué du président de la République, du 17 octobre 2012, était, à mon avis, un acte important. Il a employé des mots forts: « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un an après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes ». Mais il reste, en effet, du travail aux historiens pour mieux comprendre comment un tel crime d’Etat a pu être commis et quelles sont, en particulier, les responsabilités du Premier ministre de l’époque, Michel Debré.
Le couvre-feu du 5 octobre a été décidé par un conseil interministériel convoqué par lui. Il faut que les archives qui concernent les plus hautes instances de l’Etat à cette période, en particulier les Conseils des ministres et ce Conseil interministériel, soient accessibles. Chacun sait qu’un préfet ne peut pas prendre des décisions aussi graves que celles qui ont été prises alors sans des instructions des autorités dont il dépend.
Le 23 octobre 2012, le Sénat a adopté une résolution tendant à la reconnaissance par la France de la répression de cette manifestation et souhaitant la réalisation d’un lieu du souvenir à la mémoire des victimes du 17 octobre 1961. Il faut que les autorités concernées mettent en œuvre la construction d’un tel lieu du souvenir. Il pourrait être voué en même temps au dépassement des drames d’hier et à la construction de rapports fraternels au sein de la société française comme d’une relation d’amitié entre la France et l’Algérie.
- Même si le déni officiel concernant ces événements est levé, il n’en demeure pas moins que lorsqu’il s’agit d’autres crimes commis par la France coloniale, ceux-ci ont généralement un nom et sont clairement désignés. Pourquoi, selon vous, les massacres du 17 octobre 1961 ne sont pas officiellement désignés comme crimes d’Etat ?
La France a prolongé ses crimes coloniaux par le déni de ses crimes. Loin de faire avancer la clarification nécessaire du regard de la France vis-à-vis de son passé colonial, les présidences de Georges Pompidou, de Valéry Giscard-d’Estaing, de François Mitterrand, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, n’ont fait que cultiver l’oubli des crimes coloniaux et la réconciliation avec les jusqu’au-boutistes de la colonisation, les honneurs à leur égard, en décalage avec les progrès importants de l’écriture de l’histoire et de l’enseignement et avec l’évolution sur cette question d’une bonne partie de l’opinion publique, surtout parmi les nouvelles générations.
François Hollande a fait quelques gestes.
Le 15 mai 2012, en commençant son mandat, ayant choisi de rendre hommage à l’œuvre scolaire de Jules Ferry, il a tenu à préciser: « Je n’ignore rien de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit à ce titre être condamnée ».
Son communiqué de l’an dernier sur le 17 octobre 1961 va dans le même sens. Mais il reste un énorme travail pour « remonter la pente » et des groupes nostalgiques de la colonisation continuent à propager leurs mythes funestes. Là est le vrai enjeu.
- Lors de sa visite d’Etat en décembre dernier à Alger, le président français a, dans un discours très attendu devant le Parlement, reconnu les « souffrances » infligées à l’Algérie par la colonisation, qualifiant le système colonial français de « profondément injuste et brutal ». Ces propos, rappelant quelque peu ceux tenus par le président Sarkozy en décembre 2007 à Constantine, pourraient-ils concourir à un apaisement entre les deux pays, où doit-on s’attendre à un geste « plus fort » de la France pour y parvenir ?
Lors de sa visite en décembre 2012 en Algérie, François Hollande a dénoncé un système colonial « profondément injuste et brutal », reconnu « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien » et cité « les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata » qui « demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens ». Ce sont des paroles importantes qui sont nouvelles dans la bouche d’un président de la République française.
C’est très différent de Nicolas Sarkozy qui, en 2007, a fait le « grand écart » entre des propos qu’il a tenus en Algérie sur la violence de la colonisation, quelques phrases, simples « produits d’exportation », et tout ce qu’il ne cessait de dire en France lors de tous ses déplacements électoraux à travers tout le pays disant exactement le contraire.
L’un de ses thèmes favoris était le « refus de la repentance » et l’œuvre civilisatrice de la France outre-mer ! Ce n’est plus le cas avec François Hollande. Mais il reste à poursuivre un important travail politique, historique et pédagogique pour que la France tourne enfin la page coloniale de son histoire.
Communiqué du Collectif 17 octobre
Appel du 17 octobre 2013
Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre feu discriminatoire qui leur avait été imposé par Maurice Papon, préfet de police de Paris. Ils défendaient leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés –notamment par la « force de police auxiliaire » – ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrême des forces de police.
52 ans après, la Vérité est en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, – en particulier la Guerre d’Algérie – non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’Etat que constitue le 17 octobre 1961. L’an dernier, le Président de la République a certes fait un premier pas important, en déclarant « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » Mais le terme de crime n’est pas repris, et la responsabilité, sous entendue, n’est pas clairement définie, Certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des « bienfaits de la colonisation », à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, à »honorer » les criminels de l’OAS.
Dans ce domaine, il est donc nécessaire que des mesures significatives soient prises :
- Redéfinition de la « Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie « , (dotée de plus de 7 millions d’euros), créée en application de l’article 3 de la loi du 23 février 2005 (dont l’abrogation est demandée sous sa forme actuelle) vantant les « aspects positifs de la colonisation ». Cette Fondation est sous la coupe d’associations nostalgiques de l’Algérie Française qui voudraient exiger des historiens qu’ils se plient à la mémoire de « certains » témoins.
- Pour être fidèles à leur mission scientifique, les historiens ont besoin de pouvoir accéder librement aux archives, échapper aux contrôles des pouvoirs ou des groupes de pression et travailler ensemble, avec leurs homologues de l’autre rive de la Méditerranée.
- La vérité doit être dite sur l’organisation criminelle de l’OAS que certains, au sein de l’ancienne majorité présidentielle ont voulu réhabiliter.
Ce n’est qu’à ce prix que pourra disparaître la séquelle la plus grave de la Guerre d’Algérie, à savoir le racisme dont sont victimes aujourd’hui nombre de citoyennes et citoyens, ressortissants d’origine maghrébine ou des anciennes colonies, y compris sous la forme de violences policières récurrentes, parfois meurtrières.
On ne construit pas la démocratie sur des mensonges et des occultations. Après un demi-siècle, il est temps :
- que le Président de la République, au nom de la France, confirme, par un geste symbolique, la reconnaissance et la condamnation de ce crime d’état
- que la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie soit redéfinie sur des bases totalement différentes.
- que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans l’internement arbitraire, pendant la Guerre d’Algérie, d’Algériens dans des camps.
- que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans l’abandon des harkis, les massacres et l’enfermement dans les camps en France en 1962.
- que la liberté d’accès aux archives soit effective pour tous, historiens et citoyens.
- que la recherche historique sur ces questions soit encouragée, dans un cadre franco-algérien, international et indépendant.
A l’occasion de ce 52ème anniversaire, nous exigeons Vérité et Justice.
Rassemblement le 17 Octobre 2013 à 18h
au Pont Saint Michel à Paris
Signataires (au 12 octobre 2013) :
Associations : 4ACG (Anciens Appelés àla Guerre d’Algérie et leurs Amis contre la Guerre), 17 Octobre Contre l’Oubli, 93 Au Cœur de la République, ACCA (Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui), Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Féraoun et leurs Compagnons, AHDH (Association Harkis droits de l’Homme), ANPROMEVO (Association Nationale pour la Protection de la Mémoire des Victimes de l’OAS), Au Nom de la Mémoire, ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants), ComitéVérité et Justice pour Charonne, FNACA Paris (Fédération Nationale des Anciens Combattants AFN de Paris), LDH (Ligue des Droits de l’Homme), MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitiédes Peuples), Réseau Féministe Ruptures, Sortir du Colonialisme,
Syndicats : FSU(Fédération Syndicale Unitaire), Fédération SUD Education, URIF-CGT (Union Régionale Ile de France de la Confédération Générale du Travail),
Partis Politiques : AL (Alternative Libertaire), NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), PCF (Parti Communiste Français), PG (Parti de Gauche)