17 octobre 1961. « Il y a du sang dans Paris », par Sorj Chalandon 1
Mardi 17 octobre 1961. Ce matin, il pleut. Une eau froide qui cogne la tôle ondulée des bidonvilles de Nanterre et Gennevilliers. Transforme les chemins pauvres en boue, les ornières en flaques, les premiers levés en ombres glacées. Ici, les noms chantonnent. Rue des Pâquerettes, de la Garenne, des Prés. Cabanes en carton, baraquements misérables, constructions approximatives de planches disjointes où s’entassent des milliers d’Algériens. Des taudis. De l’autre côté, dans la brume, des immeubles hauts. Le bois de Boulogne, Paris, les lisières devinées de la ville. A Sannois, un peu plus au nord, Ramdane, responsable local du FLN, regarde amèrement le ciel. « Dieu n’est pas avec nous ».
Cela va faire bientôt sept ans que dure la guerre d’Algérie. Au mois d’août 1958, pour la première fois, des continentaux tombent sous les balles rebelles. Le FLN vient de lancer une offensive militaire « anticoloniale » d’envergure sur l’ensemble du territoire français. Attaques de casernes, de commissariats, attentats spectaculaires contre des cibles économiques. Des soldats et des policiers sont tués, des combattants du FLN abattus, alors que des immigrés italiens ou portugais pris pour des Arabes sont exécutés par la police sans autre forme de procès.
17 octobre. Il est 9 heures. Maurice Papon, préfet de police de Paris, vient d’apprendre que le FLN appelle les Algériens à une manifestation le soir même afin de protester contre le couvre-feu qui leur est imposé à Paris et dans sa banlieue depuis le 5 octobre. Ancien délégué aux Affaires juives à Bordeaux de 1942 à 1944, où, sous son autorité, des centaines de personnes ont été internées à Mérignac, avant d’être convoyées à Drancy puis vers les camps d’extermination, le préfet compte ses hommes. 7000 policiers, 1400 CRS et gendarmes mobiles, plus les « forces de police auxiliaires », brigades composées de harkis créées par lui en mars 1961 et spécialisées dans l’interrogatoire poussé de leurs compatriotes nationalistes.
De Matignon, l’ordre tombe. Carte blanche. Aucune tentative de rassemblement, aucun début de manifestation ne peuvent être tolérés. Et pour mieux contrôler la situation, la police décide de prendre de l’avance sur les manifestants. Déjà, dans Paris et en périphérie, les premières arrestations. Les premières insultes, les premiers coups. Au poste de police de la Vigie, Oudina Moussa est obligé de manger ses cigarettes avant de boire de l’eau mélangé à de la javel.
Depuis l’été 1961, il n’y a pas là de quoi faire tourner la tête au passant parisien. Il est habitué aux perquisitions, aux rafles brutales. Il s’est résigné au sang sur le visage arabe. En août, les supplétifs harkis investissent des hôtels algériens de jour comme de nuit, brisent les mobiliers, cognent, lâchent les chiens. Il y a des files de basanés contre les murs, attendant le car de police. On interpelle sans ménagement les cheveux frisés. Alors que l’OAS commence à frapper, des Arabes sont attaqués en pleine rue par des policiers. Chasse au faciès. Méthodique, crapuleuse, terrible. Le 29 août, c’est le FLN qui passe à l’attaque. A l’aveugle, les symboles de l’autorité sont pris pour cible. N’importe qui, n’importe où, sans discernement. Seul l’uniforme compte. Bezons, deux clandestins abattent un policier. A Petit-Colombes, le gendarme Hubert tombe sous les balles du FLN. A Saint-Denis, l’officier de police Langlet est assassiné. Depuis quatre ans, dans l’ensemble de la métropole, 61 policiers sont tués par les nationalistes. Du 1er janvier au 31 août 1961, 460 Algériens sont abattus.
Du côté de l’Ordre, c’est la colère. Des policiers parlent de former des commandos. D’autres crient vengeance. Le « Français musulman d’Algérie » devient le « raton », le « bicot », le « fellouze » des racistes. La machine haineuse s’emballe. Les supplétifs torturent dans les caves de la Goutte-d’Or, XVIIIe arrondissement de Paris. De la porte du commissariat tout proche, les policiers se ruent, la matraque haute, sur tout ce qui ressemble à un Arabe. Les Algériens savent qu’il faut éviter cet arrondissement.
Et puis les noyés. Au milieu du mois de septembre, des cadavres sont retirés de la Seine. Certains ne seront jamais identifiés. D’autres nous sont désormais connus. Latia Younes, tunisien, arrêté le 6 septembre, repêché le lendemain. Le 7, Salat Belkacem est interpellé, matraqué et jeté à l’eau. Il s’en tire. Chebbah Iddir, qui voit un coreligionnaire mourir dans l’eau avant d’y être poussé à son tour après avoir été assommé. Réveillé par le froid, il regagne lentement la rive, sous les pierres des policiers qui tentent de le noyer. Chaque jour ou presque, la presse rapporte la découverte de cadavres à la dérive. Certains ont les mains liées derrière le dos. Le 24 septembre, Ouiche Mohammed est arrêté sur le chemin de la Sécurité sociale. On retrouve son corps douze jours plus tard. Le 26, deux Algériens sont étranglés avec leurs propres ceintures puis jetés à la Seine. Le 27, Mohammed Alhafnaoussi se noie. Le même jour, deux hommes, ficelés par des policiers, sont précipités dans le fleuve. Le 29 septembre, Chabouki Kassa, interpellé quatre jours auparavant, est retiré d’un canal.
17 octobre. Il est midi. A la gare St-Lazare, luttant pour de meilleurs salaires, les employés de la SNCF sont en grève. Plus de trains. Des dizaines d’Algériens, bloqués sur les quais depuis le matin alors qu’ils se rendaient à leur travail banlieusard, sortent brusquement dans la rue et marchent sur l’Opéra, devançant l’appel du FLN. « Non au couvre-feu raciste », « vive le FLN », « Algérie algérienne ».
Essentiellement, la communauté algérienne de France est masculine. Ouvrière dans le bâtiment ou vissée aux chaînes des usines, souvent miséreuse, elle envoie la majeure partie de ce qu’elle gagne à la famille restée au pays. Des hommes s’entassent à plusieurs dans des logements sordides. D’autres, en fonction du travail de jour ou de nuit, se partagent l’unique lit de la chambre. On ne loue pas aux Arabes. Ils restent groupés aux lisières de la ville, ou, pour les habitants des Aurès et de la Kabylie, dans quelques quartiers bien délimités. Au milieu des bidonvilles, ils ont organisé leurs propres réseaux de distributions. Des cafés de fortune ont été installés sous des planches. « FLN : capitale, Paris », écrivait Michel Debré en septembre 1958. Alors ministre de la Justice sous De Gaulle, il estimait nécessaire « une véritable croisade contre le terrorisme ». Les Français musulmans ont conscience du danger. Depuis quelques temps, ils évitent de circuler en groupe. Fréquentent moins les boulevards à la mode. Marchent seuls dans les rues. Mais aujourd’hui est un autre jour.
17 octobre, il est 13 heures. Les premiers manifestants ont tous été arrêtés sans protester. A la porte des usines, la police interpelle les Algériens qui entrent ou qui sortent. Des bars sont fouillés, les consommateurs arabes molestés. A l’Assemblée Nationale, le député Ahmed Djebbour, opposé aux « tueurs du FLN », annonce que les députés musulmans n’assisteront plus aux séances de nuit par « solidarité avec les travailleurs musulmans ». Pour les matraques de la rue, le parlement le sait parfaitement, un Arabe en vaut un autre. Au même moment, au cimetière de Thiais, huit Nord-Africains sont inhumés dans une fosse commune. Parmi eux, Akli Yahiaoui, tué à Châtillon de deux balles de révolver et Boussouf Achour, étranglé le 7 octobre puis jeté dans la Seine par des policiers. A Noisy-le-Sec, un automobiliste algérien percute un camion. Grièvement blessé, il est emmené à l’hôpital par la police. L’interne de garde constate le décès de l’homme. Une balle de 7,65 dans le ventre.
17 octobre 16 h30. Des interpellés sont battus dans une cave du 18e arrondissement. Selon les témoins, les policiers semblent ivres. Un prisonnier est brûlé à l’aide d’essence enflammée. Les Algériens sont à terre, les uns contre les autres, recroquevillés pour se protéger mutuellement des coups. Dans Paris, le dispositif policier se met en place. Ponts gardés, barrages, cars de ramassage prêts. Les hommes ont le casque sur la tête, le mousqueton, le pistolet-mitrailleur ou la matraque. Il y aura aussi des barres de fer, de bois, des nerfs de bœufs et des cannes plombées.
17 octobre. Il est 18 h 30. A Asnières, la police interpelle une centaine d’Algériens qui essayaient de prendre un improbable train. Pont de Neuilly, un policier interpelle un travailleur arabe. « Algérien ? ». « Oui », répond l’autre. Sans un mot, le policier lui tire une balle dans le ventre et s’en va.
17 octobre, 19 heures. Dans les banlieues le FLN organise « l’évacuation ». C’est- à-dire le rassemblement de tous les Algériens devant participer aux marches. Ce n’est un secret pour personne. Le FLN s’organise et organise sa propre communauté. Systématiquement, dans chaque foyer, chaque bidonville et chaque hôtel, les nationalistes exercent un vigoureux quadrillage de l’immigration algérienne. Les militants existent, mais aussi les sympathisants réels ou obligés. Sur 400 000 Algériens vivant en France, 138 000 font partie de structures du FLN. Tous les autres, qu’ils le souhaitent ou non, cotisent à l’organisation. Car, en ces temps, qui n’est pas pour le FLN est contre. Ce qui n’est pas simple, car l’organisation est elle-même en crise, déchirée par des luttes intérieures violentes, l’état-major et le gouvernement provisoire se disputant âprement le contrôle de la Fédération de France. Ici et là, le Front rend aussi une « justice de guerre », pourchasse les mouchards ou arbitre les querelles. Aujourd’hui, il assure efficacement le suivi de ses directives. Elles sont simples. Tout le monde dans la rue. Mis à part les handicapés et les excusés. La manifestation sera silencieuse et pacifique. Aucune arme ne doit être portée par des manifestants. Pas un bâton, pas un canif. « Quiconque aura ne serait-ce qu’une aiguille sur lui sera passible de la peine de mort », affirme même Omar Boudaoud, chef de la fédération de France du FLN.
Par groupe de 20 ou 30, les Algériens se mettent en marche vers les bus et les cars. Certains arrivent à pied. Les plus fortunés tentent le taxi. Depuis quelques minutes, ils connaissent l’heure et les trois points de rassemblement. Rendez-vous de 20 h 30 à 21 h 30 sur les Champs-Elysées direction Concorde, de la République à Opéra et de St-Michel à St-Germain-des-Près. Ils ont en tête la consigne majeure. Ne répliquer à aucune provocation, ne pas répondre aux coups autrement que par un slogan favorable à l’indépendance algérienne.
Paris est cerné. La police campe aux portes et sillonne le centre. De nombreux chauffeurs de bus refusent les Algériens. « Pas de ratons dans mon véhicule ». Tous les Arabes sont systématiquement interpellés. Les policiers investissent les bus, entrent, font sortir les Français musulmans les mains levées. La majorité des Français de métropole ne réagissent pas. Déjà, un peu partout, des haies de matraqueurs se forment. Les Algériens passent au milieu. Tombent, hurlent, saignent abondamment. Les coups pleuvent encore dans les cars, à l’arrivée dans les centres de tri, aux portes du Palais des Sports transformé en camp de prisonniers deux jours avant le concert de Ray Charles. Dans la rue, des Italiens protestent, les mains en l’air. Un touriste américain, moustachu, doit prouver sa nationalité. Porte de Pantin, des centaines d’Algériens attendent, face contre le mur et les mains sur la tête. Cette image terrible va hanter Paris toute une nuit. Dans les rues, sur les boulevards, dans les portes cochères, contre les restaurants où dînent les Français, près de l’Olympia où Brel chante Marieke, contre le Rex où tonnent les canons de Navarone. Partout, dans les flaques de pluie et de sang, il y aura ces visages blafards, ces mains tremblantes, ces yeux effarés, ces corps blottis les uns contre les autres, debout, assis, couchés, en équilibre entre morts et mourants. Et le bruit des matraques, des crosses, des coups de pieds. L’ordure des injures.
17 octobre. Vers 20 heures, Maurice Papon décide de réquisitionner les bus parisiens. Trop d’arrestations. La dernière fois que la RATP a été mise à contribution, c’était les 16 et 17 juillet 1942. Les regards capturés étaient juifs. Dans le 12e arrondissement, Yahloui Larbi s’enfuit. Abattu dans le dos. A Puteaux, Ahmed Tahly est assommé et jeté du haut d’un pont dans la Seine. Deux Français le repêchent. Au métro Etoile, le piège s’est refermé sur les manifestants. « Tuez nous, tuez nous donc », hurle une Algérienne. « Renvoyez les ratons chez eux et fusillez les meneurs », répondent des jeunes Français. Arrivés dans la cour de la préfecture, on oblige les manifestants à sortir du bus RATP par les fenêtres, sous un déluge de coups.
Des Algériens sont regroupés un peu partout et marchent en silence. Parfois sur les trottoirs, parfois sur un côté de la rue pour ne pas gêner la circulation. Les Parisiens regardent les foules avec stupeur. Certains fuient. D’autres, impressionnés par le calme et la dignité des manifestants, restent figés sur le trottoir. Il y a des femmes, des enfants, des hommes. Et tous ont mis leurs vêtements du dimanche. Il y a des cravates autour des cous, des robes de fêtes, des pantalons pour flâner sur les grands boulevards le samedi soir, des vestons un peu justes, des imperméables ruisselants de pluie. Ils s’appellent frère, sœur. Ils se sont fait beaux et fiers, en habit de dignité.
Paul Rousseau, un gardien de la paix syndicaliste, voit des policiers jeter des Algériens par-dessus le pont de Clichy après les avoir massacrés au nerf de bœuf. « On a eu des collègues tués, pas de cadeaux. Les bicots ont des armes ». La fausse rumeur se répand dans la ville. Le syndicaliste assiste aux fusillades. Pas de tir en rafale, de doigt oublié sur la queue de détente pour conjurer la peur. Des crimes au coup par coup, pistolet au poing. Et ceux qui avaient tiré ont touché des cartouches pour que le lendemain dans leur chargeur, le compte y soit toujours.
Il y a du sang dans Paris. Ce n’est pas une image. Sur les trottoirs, les pavés, la rambarde des ponts, sur les vitres brisées de magasins enfoncés par les corps, sur le sol des autobus. Et peu de Français réagissent. Dans les bouches de métro, sur les quais, des centaines d’hommes saignent encore, attendent, en files interminables, les mains levées. Au photographe Elie Kagan, qui vole une image de souffrance, une employée de la RATP hurle : « Mais vous savez, monsieur, c’est interdit de prendre des photos sur les quais de métro ». Les Français sont autorisés à n’emprunter que le dernier wagon de chaque rame. Pour mieux cerner les Arabes dans les autres. « Foncez dans le tas », hurle un homme à la police qui hésite, boulevard St-Michel.
Mais les Algériens marchent toujours. Partout. En groupes, en famille, en manifestation. C’est l’heure officielle du couvre-feu. Quand on les arrête, quand on les frappe, ils s’écroulent en criant « vive le FLN », « Libérez Ben Bella », « à bas le couvre-feu raciste ». Et ne résistent pas. Il n’y a pas de drapeau, pas de pancarte. Peut-être, ici, une dame qui accroché un foulard vert sur son parapluie blanc, esquisse minimale des couleurs algériennes. La police charge pont de Bezons. Des supplétifs ouvrent le feu au pistolet. Les femmes sont sévèrement matraquées. D’autres, pieds nus, s’enfuient. Il y a des bérets, sur les trottoirs, des chapeaux de feutre, des gamelles d’ouvriers, des musettes d’usine. Des dizaines d’hommes, les mains en l’air, se font bastonner contre les grilles de l’hôtel Crillon. Il y a des hurlements place des Ternes, avenue Hoche, rue de Courcelles où a crosse des pistolets mitrailleurs s’abat sur les têtes et les dos. Les quartiers chics se défendent. « Là, Monsieur l’agent », crie un jeune homme posté place de l’Etoile, « il y en a deux derrière l’arbre ». Les cafés n’ont pas même été désertés.
Boulevard St-Michel, des guéridons en fonte sont jetés sur des Algériens. Là, un policier brise son bâton à force de coups. Haine pure, brutale. Des agents qui débouchent en courant frappent des hommes immobiles, couchés dans leur sang depuis de longues minutes. Matraquages méthodiques, silencieux. « On vous impose une guerre subversive, vous devez être subversif aussi dans la guerre qui vous oppose aux autres. Vous serez couverts, je vous en donne ma parole », avait lancé, le 2 octobre à Montrouge, Maurice Papon qui visitait des policiers. Avant de leur rappeler toutefois qu’ils devaient « employer les moyens légaux de répression ».
Place de la République. Dans la nuit, le youyou des femmes arabes. A la Défense, de leurs fenêtres, des Français jettent des bouteilles sur les manifestantes. D’autres Français, minoritaires, aident comme ils le peuvent ou retiennent chaque scène, pour la mémoire du lendemain. Boulevard Bonne-Nouvelle, à côté du cinéma Le Rex, un policier s’avance seul face à la foule, tire deux coups de semonce en l’air et fait feu après avoir ordonné aux manifestants de s’arrêter. Arrivés en renfort, des CRS tirent sur la foule. Panique. Sept corps restent sur la chaussée. Devant l’immeuble de L’Humanité, Guy Chevalier, un Français, s’effondre à son tour, le crâne brisé par la crosse d’un fusil. C’est le seul qui, deux jours plus tard, aura son nom et sa photo imprimés dans des journaux parisiens parlant de « bataille rangée ».
La nuit se termine. « Et un raton, un ! », lance un homme de salle de l’hôpital de Nanterre, voyant arriver un Algérien au crâne défoncé. Dans les commissariats, des policiers délestent les manifestants de leurs montres et de leur argent. Abadou Lakdar, jeté d’un pont à Argenteuil, meurt noyé. Les prisonniers s’entassent dans le stade Pierre-de-Coubertin, accueillis par les coups et les insultes. Dans le Palais des Sports, les internés ont aménagé un petit espace au milieu d’eux pour faire leurs excréments. Ils sont 6000, la plupart sanglants. Dans un tract anonyme distribué le 31 octobre, des « policiers républicains » affirment que « des dizaines de prisonniers ont été tués à coup de crosses et de manche de pioche dans l’enceinte du parc des expositions de la porte de Versailles. D’autres ont eu les doigts arrachés ». Dès le lendemain, des Algériens sont envoyés dans des camps de détention, en Haute-Marne ou dans l’Aveyron. D’autres, sont « renvoyés dans leurs douars », en Algérie. Des dizaines d’hommes ont disparu. On ne les reverra jamais.
Et puis Fatima Bédar, 15 ans à peine, fille d’un soldat musulman évadé de captivité pendant la dernière guerre, qui a rejoint les Forces françaises libres durant la campagne d’Italie. Elle s’est disputée avec sa mère le matin même pour avoir le droit d’assister aux manifestations. On la retrouvera le 31 octobre, noyée dans le canal St-Denis.
Le bilan officiel concernant la journée et la nuit du 17 octobre 1961, publié le lendemain, est de 3 morts (2 Algériens, 1 métropolitain) et de 64 blessés côté policier, on affirme que 13 gardiens ont été blessés, l’un n’ayant pu normalement reprendre son service le mercredi 18 octobre. Depuis lors, jamais ces chiffres n’ont été révisés.
Sorj CHALANDON