Depuis le 24 novembre 2024, des tombereaux d’injures ont été déversés par l’extrême-droite française contre le politologue Nedjib Sidi-Moussa et aussi contre l’historien Benjamin Stora, prenant prétexte d’une émission de télévision à laquelle ils ont participé avec l’historien Sébastien Ledoux sur la chaîne publique française France 5. Tous trois, tout en défendant la liberté d’expression des écrivains, y compris de Boualem Sansal et Kamel Daoud, ont dit ne pas partager toutes leurs thèses et signalé les liens de Boualem Sansal avec l’extrême droite française. Cela a valu à Nedjib Sidi-Moussa comme à Benjamin Stora un afflux de messages de haine qui ont rapidement bloqué leur compte twitter. A cela se sont ajoutés contre Benjamin Stora la poursuite d‘attaques d’articles de la presse d’extrême droite, dont Valeurs actuelles, et aussi de publications en ligne et de messages d’internautes en Algérie cherchant à discréditer ses travaux en prenant pour cible sa judéïté.
L’ensemble de notre rédaction a immédiatement exprimé sa solidarité à l’égard du politologue Nedjib Sidi Moussa, principale cible de cette cabale, et ses membres se sont associés à une protestation sur Mediapart contre les attaques dont il était victime (reproduite sur notre site).
Nous reproduisons ci-dessous trois documents :
• 1°/ une déclaration de l’association Coup se soleil, qui combat l’extrême droite et tous les racismes et travaille sur l’histoire commune et les échanges entre les différentes populations originaires du Maghreb en France,
• 2°/ un exemple de la poursuite des attaques de l’extrême droite française contre l’historien Benjamin Stora publiée le 26 décembre 2024 sur le site d’une publication, Causeur, qui lui est proche, sous la forme d’un article du documentariste Jean-Pierre Lledo. Notre site avait déjà réagi efficacement en novembre 2013 à sa tentative de lancer depuis Israël une « pétition internationale » qui instrumentalisait les massacres d’Européens perpétrés le 5 Juillet 1962 à Oran lors de l’indépendance de l’Algérie.
• 3°/ un document qui témoigne de l’antisémitisme animant actuellement en Algérie un certain nombre de publications liées à certains clans du régime et qui sont malheureusement relayées par un certain nombre d’internautes depuis ce pays.
1°/ Une prise de position de l’association « Coup de soleil »
Paris, le 19 décembre 2024.
Depuis bientôt 40 ans, l’association Coup de soleil et ses militant(e)s se battent pour réconcilier les mémoires plurielles des gens de France originaires ou ami(e)s du Maghreb. Nous avons pour objectif de lutter, par l’éducation et par la culture, contre les injustices et les discriminations qui persistent et s’aggravent dans la société française, comme dans toute la Méditerranée. Notre sensibilité a encore été mise à rude épreuve sur deux sujets brûlants, qu’il nous faut donc aborder :
■ celui des polémiques autour de deux écrivains ;
■ et celui des guerres qui dévastent aujourd’hui le Proche-Orient
■ 1. Les polémiques se déchaînent à travers les réseaux sociaux et les médias autour de deux écrivains d’Algérie, Kamel Daoud et Boualem Sansal, que nous avons si souvent invités au Maghreb des livres. Défenseurs acharnés de la liberté d’expression, nous faisons nôtre la belle proclamation de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire ». Quoique l’on puisse penser de certaines des déclarations de Kamel Daoud et de Boualem Sansal, nous demandons que l’on respecte la liberté d’expression de ces deux écrivains. Et nous demandons la libération immédiate de Boualem Sansal, 75 ans, incarcéré en Algérie depuis le 16 novembre 2024.
De même nous faut-il appeler à ce que cessent les tombereaux d’injures adressées par l’extrême-droite française, depuis le 24 novembre 2024, à l’historien Benjamin Stora et au politologue Nedjib Sidi-Moussa qui, tout en demandant la libération immédiate de Boualem Sansal, ont exercé leur droit à critiquer ses positions.
■ 2. S’agissant des conflits ravageant de plus en plus le Proche-Orient, ce berceau de nos civilisations méditerranéennes, les militants de Coup de soleil sont parfois divisés. Nous devons, là-aussi, appeler chacun à regarder les réalités en face et à accepter que, si les points de vue divergent, on peut et on doit en débattre.
Cela ne doit pas nous empêcher de condamner, avec autant de force :
— le massacre par le Hamas, le 7 octobre 2023, dans le Sud d’Israël, de 1.200 civils et militaires israéliens, ainsi que l’enlèvement de 250 otages
— le premier ministre israélien Netanyahou à la tête d’un gouvernement d’extrême droite raciste et suprémaciste, et qui, pour échapper à la justice, mène, depuis le 8 octobre 2023, une terrible guerre sans fin dans toute la région : en Palestine (Cisjordanie et Gaza), au Liban et en Syrie.
— la destruction systématique par l’armée israélienne de toutes les villes de Gaza : immeubles d’habitation, écoles, universités, hôpitaux, etc, avec un terrible bilan humain de 45.129 morts et 107.041 blessés, dont 70% de femmes et d’enfants
— la colonisation forcenée du territoire palestinien de la Cisjordanie
— l’existence des milices para-militaires pro-iraniennes du Hezbollah libanais (financées par l’Iran et dont la puissance militaire est supérieure à celle de l’armée libanaise)
— l’offensive terrestre et aérienne de l’armée israélienne au Liban, avec la destruction de près de 100.000 habitations, et un lourd bilan humain de près de 4.000 morts et 65.000 blessés.
■ Il faut enfin et SURTOUT permettre aux deux peuples d’Israël et de Palestine de connaître enfin la paix et la sécurité par la création de deux Etats souverains ayant tous deux Jérusalem comme capitale.
2°/ La poursuite des attaques de l’extrême droite contre Benjamin Stora
Après les violentes attaques contre Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora sur internet qui ont suivi l’émission de télévision du 24 novembre, le magazine Causeur a publié sur son site le 26 décembre 2024 un long texte diffamatoire signé de Jean-Pierre Lledo, documentariste qui vit en Israël, contre les travaux de l’historien Benjamin Stora. Voici sa réponse.
Mensonges et omissions de Jean-Pierre Lledo
par Benjamin Stora
Le journal Causeur vient de publier le 26 décembre 2024 sur son site un long article diffamatoire sur ma vie et mes travaux, signé de Jean-Pierre Lledo.
Avant de répondre, sur un plan factuel, aux graves accusations qui sont portés contre moi, je voudrai préciser deux points :
Je subis depuis de nombreuses années des violentes attaques antisémites publiées, en Algérie sur des sites comme Algérie patriotique (pas moins de huit articles qui m’attaquent en tant que juif) ; en France dans diverses publications comme Riposte Laïque (dans lequel écrit régulièrement monsieur Lledo) remettant en cause ma qualité d’historien, en me traitant « d’historien officiel », ou « d’historien de cour ».
Pendant que Jean- Pierre Lledo était militant du Parti communiste algérien pendant de nombreuses années (de l’indépendance de l’Algérie en 1962 à son départ du pays en 1993,) il n’a cessé de défendre en Algérie les différents pouvoirs qui se sont succédés : de celui de Houari Boumedienne, à celui de Chadli Bendjédid. Pendant toute cette longue période, je ne l’ai pas rencontré dans tous les combats que j’ai mené à cette époque : la défense des militants du « Printemps berbère » en 1980; le combat contre le code de la famille en 1983 ; les luttes pour la construction de la Ligue algérienne des droits de l’homme commencée en 1984 ; la campagne pour la libération des militants arrétés en 1985… Et je pourrai poursuivre la longue liste des combats menés où je n’ai jamais croisé Jean-Pierre Lledo.
J’ajoute que, dès 1978, j’ai soutenu ma thèse sur Messali Hadj, premier travail qui remettait en cause le discours officiel algérien véhiculé par le FLN alors au pouvoir (et tous ceux qui le soutenaient). Il est vrai qu’à cette époque Jean-Pierre Lledo faisait ses études à Moscou où il a obtenu un diplôme d’état de cinéma en 1976. Avec l’historien Mohammed Harbi et d’autres historiens algériens, j’ai élaboré un dictionnaire biographique de 600 militants, aussi grâce à l’aide de militants d’opposition, comme Hocine Ait Ahmed ou Mohamed Boudiaf. A ce moment, j’ai également publié une biographie de Ferhat Abbas, écrit avec le concours de la famille de Ferhat Abbas (qui était un ami de ma famille à Khenchela). Tous ces livres biographiques de responsables algériens ont été interdits en Algérie, et monsieur Lledo qui vivait dans ce pays, n’a jamais protesté.
Dans mon documentaire, les Années algériennes, diffusé en 1991, j’ai été le premier historien à faire découvrir l’horrible massacre de Melouza perpétré en mai 1957 par une unité de l’ALN, sur 374 villageois, soupçonnés de sympathies messalistes qui ont été égorgés. Mais Jean-Pierre Lledo n’a rien dit à ce moment-là sur ce documentaire, vivement critiqué dans la presse algérienne, alors qu’il vivait en Algérie.
Revenons maintenant sur quelques faits énoncés dans cette longue diatribe.
Jean-Pierre Lledo ne cite aucun de mes livres autobiographiques, Les Clés retrouvées une enfance juive à Constantine (Ed Stock) ; Les trois exils (publiés il y a vingt ans), ou l’Arrivée, de Constantine à Paris, où je raconte le pogrom antijuif du 5 aout 1934 à Constantine, par des musulmans et l’assassinat de Raymond Leyris en juin 1961, par un membre du FLN (également raconté dans mon documentaire, Notre histoire, diffusé en 2012).
Il ne cite pas l’exposition, Juifs d’Orient , dont j’ai été le commissaire général qui relate le départ des juifs du monde arabe (l’exposition s’est tenue à Paris à l’Institut du Monde arabe en 2022) ; il ne cite pas l’exposition, Les Juifs de France, du temps colonial à nos jours », dont j’ai été le commissaire général au Musée d’histoire de l’immigration avec Mathias Dreyfus et Karima Direche… Il ne cite pas, non plus, l’exposition Juifs d’Algérie , dont j’ai été un des responsables scientifiques, avec Raphael Drai et Jacob Oliel (exposition au Musée d’Art et d’Histoire du judaisme, 2012), qui traite de la vie quotidienne des juifs en terre d’Islam et sous la colonisation française… La liste est longue des « oublis » de monsieur Lledo qui déforme volontairement tous mes travaux, comme par exemple, aussi, les documentaires (le dernier en date a été réalisé avec Georges Marc Benamou, en 2022).
J’ajouterai que pour le rapport demandé par le Président de la République française en 2020 et remis en janvier 2021, Jean-Pierre Lledo ne cite pas (encore) parmi les préconisations formulées, la demande d’excuses au sujet du massacre d’Européens du 26 mars 1962 de la rue d’Isly ; ainsi que la demande de reconnaissance sur les massacres de harkis. J’invite donc monsieur Lledo à lire ce rapport, publié par les éditions Albin Michel en 2021. A ces deux préconisations, le Président de la République a répondu favorablement par un discours prononcé à l’Elysée le 19 mars 2022, en demandant « pardon aux pieds-noirs, et aux harkis ». J’ai formulé d’autres préconisations, qui demandent aussi la reconnaissance de crimes commis par l’armée française (commis sur Maurice Audin, Ali Boumendjel ou Larbi Ben M’hidi,) et que la France vient de reconnaitre officiellement.
Je pourrai encore continuer longuement à énumérer la liste des mensonges, contre-vérités de toutes sortes que l’on trouve dans ce texte.
Je voudrai terminer en disant que j’ai pris position pour la libération de Boualem Sansal dès l’annonce de son arrestation, sur ma page twitter (et j’invite à regarder ma page, et la date) ; que j’ai immédiatement publié la déclaration de la LDH, et signé la pétition de la Revue politique et parlementaire demandant sa libération.
Voilà près d’un demi-siècle que je travaille sur l’histoire de l’Algérie contemporaine, travail commencé sous la direction de René Rémond, en 1974 puis en devenant Professeur des universités en 1991, avec une thèse d’Etat en histoire soutenue sous la direction du Professeur Ageron. Et depuis longtemps, je continue ce combat pour m’approcher au plus près de la vérité historique, en me défendant contre les faussaires de l’histoire.
Benjamin Stora,
professeur émérite des universités.
Une conférence du GRAL
Le Groupe de Réflexion sur l’Algérie (GRAL) invite le 16 janvier 2025 à une conférence de l’historien Benjamin Stora qui présentera son ouvrage intitulé « L’Algérie en guerre (1954-1962) – Un historien face au torrent des images – ».
« A l’inverse de la guerre civile des années 1990, la guerre d’indépendance croule à présent sous une avalanche d’images. Spécialiste de la mémoire visuelle depuis ses premiers documentaires, parmi ses nombreux talents de témoin et d’historien, Benjamin Stora livre une synthèse d’une rare hauteur de vue en s’interrogeant sur les valeurs de tout ce qui a trait à l’image et à ce qu’il appelle “une mémoire visuelle enfouie” ».
Cette conférence en distanciel se tiendra le jeudi 16 janvier 2025 à 18 h (heure de Paris et d’Alger).
La diffusion sera assurrée par Alternatv, sur Youtube et les réseaux sociaux. Voici le lien pour se connecter : L’Algérie en guerre (1954-1962), une conférence de Benjamin Stora – YouTube
3°/ Des attaques antisémites contre Benjamin Stora venant d’Algérie sur internet
Voici un texte du périodique paraissant sur internet, Algérie patriotique, en date du 24 novembre 2024, au lendemain de l’arrestation de Boualem Sansal, dont un passage s’attaque à Benjamin Stora et relève d’un antisémitisme évident. Il a été suivi de nombreux messages sur les réseaux sociaux dénonçant cet historien tout en rappelant chaque fois sa judéïté.
Le Crif et Boualem Sansal : l’alliance des voix révisionnistes contre l’Algérie
Algérie patriotique, le 24 novembre 2024.
Une contribution de Khaled Boulaziz
L’agitation frénétique d’une partie de l’élite française, politique et intellectuelle, mise en musique par les cercles du Crif, s’enflamme une fois de plus contre l’Algérie souveraine. Ce courant haineux, tissé de rancunes historiques et de velléités néocoloniales, ne cesse de chercher à rabaisser, défigurer et nier tout ce qui compose notre identité et notre Histoire. A la moindre occasion, il s’élève, vocifère, assène des discours empreints d’un mépris aussi viscéral qu’indécent.
L’arrestation de Boualem Sansal, ce pseudo-intellectuel, figure de proue des cercles nostalgiques d’une Pax Judaica, a suffi à déclencher une mobilisation générale. Tout le bottin des professionnels de l’indignation s’est levé comme un seul homme, scandant des appels au « respect des droits », mais uniquement lorsque cela sert leurs desseins politiques. Sansal, ce révisionniste pris au piège de ses propres manigances, devient pour eux un martyr d’opérette, l’incarnation d’une lutte imaginaire contre une Algérie qu’ils rêvent de voir vaciller.
Mais quelle semaine accablante pour ce lobby ! Leur protégé Kamel Daoud, déjà éclaboussé par la révélation de son instrumentalisation des douleurs algériennes pour arracher un prix Goncourt, a terni leur entreprise de légitimation culturelle. Leur ami de toujours, Benjamin Netanyahou, a vu la justice internationale s’élever contre lui, frappant sa carrière génocidaire d’un mandat d’arrêt. Et maintenant, Boualem Sansal, arrêté à l’aéroport d’Alger, devient le symbole de leurs échecs accumulés.
Face à cela, l’indignation hypocrite monte en flèche. Le Crif, toujours prêt à défendre l’indéfendable, clame haut et fort que « le gouvernement français doit exiger la libération immédiate de son ami ». Emmanuel Macron, de retour d’un voyage au Brésil marqué par des déclarations méprisantes sur les Haïtiens, joue la carte de la « préoccupation », un geste d’apparat pour un Président en quête de posture morale.
Et la France ? Celle qui s’enorgueillit d’avoir été la patrie de l’affaire Dreyfus, ce faux moment où elle s’était agenouillée devant les flibustiers de la vérité. Cette même France qui a reconnu les crimes de sa colonisation en Algérie au compte-gouttes, qui a envoyé son ambassadeur déposer des fleurs sur les tombes de Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi, prend aujourd’hui la défense de Boualem Sansal, ce négationniste qui nie la souveraineté, les frontières et l’Histoire de l’Algérie. Comment peut-elle se regarder en face alors qu’elle donne refuge à de tels discours ?
Et où est Benjamin Stora dans ce vacarme ? Celui-là même qui s’est vu confier le rôle d’historiographe des relations franco-algériennes, le gardien autoproclamé de la mémoire commune. Pourquoi son silence ? Pourquoi ne pas dénoncer la posture de Sansal et ses assauts contre l’intégrité de notre Histoire ? Stora, si habile à parler de reconnaissance et de réconciliation, semble étrangement absent lorsqu’il s’agit de condamner ceux qui foulent aux pieds les droits de l’Algérie à exister pleinement et librement. Serait-il trop occupé à ménager les sensibilités parisiennes, ces mêmes cercles qui applaudissent en coulisses les diatribes révisionnistes de Sansal ?
La France, si prompte à légiférer sur le révisionnisme antisémite avec des lois comme la loi Gayssot, reste muette face aux écrits de Boualem Sansal. Pourquoi ce silence ? Où est la rigueur morale lorsqu’il s’agit d’un révisionniste qui attaque l’existence même d’une nation entière ? Benjamin Stora, à qui l’on confie tant de rapports et de missions mémorielles, ne devrait-il pas être en première ligne pour dénoncer cette hypocrisie ? S’il souhaite vraiment contribuer à la réconciliation, qu’il commence par reconnaître que la défense de Sansal est une insulte à tout le travail de mémoire qu’il prétend porter.
La vérité éclate : cette élite française, sous influence du Crif, patauge dans ses contradictions. Errante dans ses chimères, elle trahit ses propres principes et son propre passé. L’Algérie, elle, ne pliera pas. Ni Sansal, ni ses soutiens, ni leurs indignations fabriquées ne pourront effacer ce que nous sommes : un peuple libre, debout et fidèle à sa mémoire. A chaque insulte, à chaque attaque, l’Algérie puise dans son Histoire et dans le sacrifice de ses martyrs la force de répondre : nous sommes, et nous resterons.