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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

« L’Arrivée. De Constantine à Paris, de 1962 à 1972 », par Benjamin Stora

Le propre du travail d’historien de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie est de porter une séquence historique qu’il avait lui-même partiellement vécue enfant à Constantine jusqu’à l’âge de 12 ans. Il retrace dans ce livre ses années avant son départ pour la France avec ses parents, qui l’a ouvert à une nouvelle vie et de nouvelles visions du monde. Et à un travail sur l’histoire centré sur celle du mouvement d’indépendance algérienne, de sa naissance dans l’immigration en France jusqu’à la fin du joug colonial. Un travail, dont son livre majeur, trente ans plus tard, « La gangrène et l’oubli » (La Découverte, 1991), fondé sur la conviction de la légitimité de ses aspirations qu’il va tenter de faire partager par les Français. Œuvre d’une vie qui va lui valoir la haine durable de l’extrême droite « nostalgérique ».

Tallandier, septembre 2023,

240 pages, 19.90 €.


Présentation de l’éditeur


Les premières lignes du livre L’Arrivée, de Benjamin Stora

« Dans l’avion, au moment du décollage, j’observe les passagers. Certains pleurent. Les visages sont tristes, fatigués. Très vite, un grand silence s’installe. L’inquiétude, la violence de la situation écrasent tout désir de conversation. Plus personne n’ose parler. Puis, derrière les hublots, la nuit apparaît. Si soudainement que nous n’avons pu voir la terre algérienne s’éloigner. Cette terre déjà absente. Ainsi, je n’ai pas conservé dans ma mémoire la “dernière image” d’un pays disparu.

Il fait nuit, encore, lorsque nous arrivons à Orly. Mon oncle Robert, le frère de ma mère, nous y attend. En guise d’accueil, une hôtesse de la Croix-Rouge offre à chacun de nous un bonbon. Nous étions en France et, à défaut de Ville lumière, installé sur la banquette arrière, à travers la vitre de la voiture, je contemplais la noirceur du périphérique jusqu’à notre destination, Montreuil, en banlieue parisienne… »


ENTRETIEN.
Rapatrié d’Algérie, l’historien Benjamin Stora se souvient de son enfance


propos recueillis par Philippe Boissonnat, publiés dans Ouest-France le 10 septembre 2023.

Spécialiste de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora vient de publier « L’Arrivée », aux éditions Tallandier. Soixante ans après, le récit du choc de sa découverte de la métropole en juin 1962. En une dizaine d’années, le jeune Benjamin Stora passe de l’enfance à l’âge adulte, de Constantine en guerre au Paris de Mai-68. Il raconte sa propre histoire dans son nouveau livre L’Arrivée. De Constantine à Paris (1962-1972).

Quel souvenir conservez-vous du 12 juin 1962, jour de votre départ pour Paris depuis Constantine, la ville d’Algérie où vous viviez alors ?

Je revois la tristesse de mes parents à l’aéroport. Je vais sur mes 12 ans, ma sœur est un peu plus âgée. Chacun porte deux valises et nous sommes tous chaudement habillés malgré le soleil éclatant. Depuis plus d’un an, j’entendais mes parents chuchoter entre eux, pleins d’angoisses : partir ? rester ? Ce jour-là, nous partions pour Paris. On partait vers une métropole dont j’avais beaucoup entendu parler, qui était idéalisée. Moi, ça me plaisait plutôt. Pas un instant je n’imaginais que nous ne reviendrions jamais.

Dans les mois précédents, vous ne sortiez plus de chez vous ?

Depuis l’automne 1961, je vivais confiné à la maison. Il y avait de la violence partout. On entendait les détonations sans savoir de qui elles venaient. Les cours étaient suspendus. Il y avait des militaires et des contrôles partout. Pour moi, ce départ, c’était aller vers un pays en paix, sans guerre.

Et vos parents ?

Chez les adultes, c’était l’angoisse et le silence. Dans l’avion du départ, personne n’osait parler. La violence de la situation écrasait les conversations.

Quelle image gardez-vous de l’arrivée ?

La nuit. En fait de « ville lumière », sur le périphérique entre Orly et Montreuil, tout était noir, rien ne resplendissait. Et le lendemain, on se réveille dans un autre pays. Il y a du silence, on ne connaît personne, mais on peut sortir et marcher comme on veut. C’est une impression très étrange.

« Les rues sont plus larges, les immeubles plus hauts. Je suis devenu petit, » écrivez-vous.

Oui, c’est la sensation que j’ai éprouvée. À Constantine, j’habitais le quartier judéo-musulman, avec des ruelles étroites toutes serrées les unes contre les autres. À Paris, tout est large, il y a des cinémas et des cafés partout. C’est un nouveau pays.

Pour vos parents, c’est le début d’une série d’épreuves. Vous rejoignez non sans mal un logement vétuste dans le XVIe arrondissement.

Mi-entrepôt mi-garage, très humide, et le premier hiver, il y a fait un froid épouvantable. Mon père, à 53 ans, avait beaucoup de mal à trouver un emploi et ma mère était dans une grande mélancolie. En voyant, l’an passé, les images des familles ukrainiennes qui partaient en Pologne, les souvenirs de ce premier hiver sont remontés. On était comme ces réfugiés. On était Français, mais on était comme des réfugiés.

Alors que vos parents découvrent le déclassement, vous découvrez, vous, l’antisémitisme.

J’ai un prénom rare pour l’époque : Benjamin. Au lycée on me demande : « Benjamin, c’est juif, non ? » Et moi de répondre : « Pas du tout. » Pas question pour moi de me distinguer ou de me faire repérer.

Vous cherchiez à vous intégrer à tout prix ?

J’avais un accent « pieds-noirs » très prononcé et je cherchais à passer inaperçu. Donc, se taire. Travailler. Être aussi bon élève que possible.

En février 1964, la famille va retrouver un peu d’oxygène et de statut social.

Au bout de deux ans, le ministère du Logement nous attribue un appartement HLM à Sartrouville : 100 m2, le chauffage central, une salle de bains. C’est l’émerveillement ! Même si c’était dans un endroit perdu au milieu des champs, il y avait encore une ferme avec des vaches. Arrive mai 68, et c’est une autre histoire qui commence pour moi, par l’engagement politique à l’extrême-gauche.


Entretien sur TV5 Monde


Quelques-unes des rencontres autour de ce livre


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