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Éditorial du comité de rédaction
de la Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique
La sortie du premier numéro de la Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique (RHCA) est l’occasion pour nous de revenir sur ce qui a motivé le lancement de cette nouvelle revue francophone en ligne, et sur ce qui anime le comité de rédaction.
La création de la RHCA s’inscrit dans un contexte difficile de crises politiques, sociales et morales. À ce titre, il nous semble que la recherche en sciences sociales est plus que jamais nécessaire. Alors que de nombreux gouvernements tentent par divers biais de réécrire l’histoire sous le prisme du « roman national », largement délégitimé à l’ère de l’histoire globale et connectée, nous pensons au contraire que la recherche fondamentale, et notamment en histoire de l’Afrique, doit nous aider à penser le monde, ses connections et ses complexités.
Notre comité de rédaction – composé de chercheur·e·s francophones – propose un retour à l’histoire. Une histoire de l’Afrique faite de débats, de courants historiographiques multiples et de nuances. Une histoire faite par des historien·e·s bien souvent précarisé·e·s par les mécanismes de pouvoir et les logiques néolibérales qui sous-tendent les politiques universitaires. En France particulièrement, notre comité de rédaction dénonce avec fermeté les logiques managériales qui fragilisent les chercheur·e·s, avec une incidence particulière sur les étudiant·e·s et chercheur·e·s étranger·e·s. Nous condamnons le passage en force par le gouvernement de la nouvelle loi sur l’université en France (dite « Loi de programmation sur la recherche ») à laquelle s’oppose la majorité de la communauté scientifique depuis fin 2019. Nous condamnons aussi les poussées autoritaires et les restrictions d’accès aux sources (difficultés de consultation pour motifs politiques, ouverture sélective des archives dans le cadre de commissions de recherche pilotées par les gouvernements, disposition IGI 1300 sur les archives « secret-défense » en France, etc.), qui voudraient nous empêcher d’écrire et de dire une science ouverte, critique et émancipatrice, au profit d’une histoire rétrécie sur fond de débat sur la « repentance » dans les anciens pays colonisateurs et de suspicion à l’égard des sciences sociales critiques, décoloniales ou postcoloniales.
La genèse du projet
La genèse du projet est liée à un premier constat : l’histoire contemporaine du continent africain est un des parents pauvres des publications francophones en sciences humaines et sociales. Certes, plusieurs revues interdisciplinaires se concentrent sur le continent africain et publient des articles sur son histoire (Cahiers d’études africaines, Politique Africaine, Afrique Contemporaine, Journal des Africanistes, etc.). On peut d’ailleurs saluer la naissance d’une nouvelle revue en ligne Sources, qui met l’accent sur les matériaux, le terrain et les approches méthodologiques dans la construction des savoirs sur l’Afrique. La revue Afriques se consacre, quant à elle, à l’histoire du continent sur des périodes anciennes antérieures au 20ème siècle et Afrika Zamani, revue publiée par le CODESRIA depuis le Sénégal, s’intéresse à l’ensemble des périodes historiques. Des revues généralistes d’histoire accueillent par ailleurs des numéros spéciaux traitant spécifiquement de l’Afrique (20 & 21. Revue d’histoire, Le Mouvement Social, Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique, etc.). Un fait demeure cependant : dans le monde francophone, il n’existe plus de revue qui prenne exclusivement l’histoire contemporaine du continent comme objet principal, depuis l’expérience d’Afrique & histoire entre 2003 et 2009.
Loin de constituer un quelconque repli « disciplinaire », linguistique ou culturel quant à l’étude des dynamiques du continent africain, il convient d’affirmer que sa riche et complexe histoire, en particulier du 19ème siècle à nos jours, mérite une revue qui lui soit consacrée entièrement. Si des discussions avec d’autres disciplines des sciences sociales peuvent nourrir les réflexions des historien·ne·s de l’Afrique, si les frontières géographiques des espaces à investir intellectuellement doivent sans cesse être questionnées, reste que l’ancrage de la Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique est bien l’étude historique du continent. Celle-ci entend ainsi s’intéresser aux faits plus ou moins récents qui en éclairent les dynamiques actuelles, sans faire l’impasse sur leurs origines plus anciennes. Certains découpages chronologiques structurent plus que d’autres nos imaginaires et nos manières d’appréhender les réalités historiques, en particulier le moment colonial, de la phase de « conquête » aux indépendances. Mais moins qu’une réalité politique intangible, la périodisation usuelle de l’histoire de l’Afrique – précoloniale, coloniale, postcoloniale – est aussi le fruit d’une construction scientifique qui doit être questionnée.
Le défi est alors double. D’une part, il s’agit de penser de manière critique les mécanismes – économiques, politiques, institutionnels et disciplinaires – qui permettent de se jouer des chronologies classiques, tout en réfléchissant au traitement approprié des sources pour interpréter et écrire l’histoire du continent après le moment colonial. Cette séquence mérite en effet une plus grande attention et une réflexion sur la difficulté d’accès, non seulement aux archives africaines, mais aussi à certains terrains ou aux recherches réalisées sur place et peu diffusées. Il s’agit somme toute de sortir du nationalisme méthodologique et de contribuer à une narration multiple des faits et à une histoire des processus, aboutis ou non. D’autre part, il est nécessaire de reconsidérer les découpages géographiques, de cesser de penser séparément l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord et plutôt envisager le Sahara comme un espace d’échanges et de brassage, non comme une barrière définitive. De même, les îles des océans Atlantique et Indien doivent trouver une place plus importante dans la production de publications francophones. Il s’agit, enfin, de repenser le découpage traditionnel par empires pour mieux tenir compte des interactions régionales.
Une revue francophone
La RHCA publie des articles évalués en double aveugle par des pairs, portant sur des recherches novatrices utilisant la méthode historique et offrant un regard original sur l’histoire contemporaine du continent africain dans son ensemble. La revue publie deux numéros thématiques par an, ainsi que des articles Varia et des comptes rendus de lecture. Deux autres rubriques, s’adressant à un lectorat élargi, viennent s’ajouter à ces éléments plus courants. Une première, intitulée Sources, terrains et contextes, vise à présenter des recherches de terrain, des corpus de sources ou des réflexions de chercheur·e·s sur leur rapport à la discipline historique. Une seconde a pour objectif de mettre en valeur, dans un format Entretien, des productrices et producteurs d’histoire ou des actrices et acteurs de l’histoire, en articulant leur trajectoire personnelle et leur rapport au passé. L’appel permanent est à retrouver ici et les consignes aux auteur.e.s là.
La RHCA est une revue francophone. Francophone dans son organisation tout d’abord. Elle est accueillie par l’Université de Genève et son comité de rédaction international est aujourd’hui composé de chercheurs et chercheuses à tous les niveaux de carrière venant d’Europe, d’Amérique du nord et d’Afrique. Francophone dans sa démarche de publication ensuite. La RHCA se veut être un lieu à la fois de publication d’articles en français mais aussi de rencontres et d’échanges pour les historien·ne·s de l’Afrique, qu’ils et elles soient basé·e·s sur le continent africain, en Europe, en Amérique du Nord ou ailleurs. Les publications permettent de rendre compte à la fois des travaux de chercheur·e·s francophones mais aussi de traduire des travaux de chercheur·e·s non francophones sur des espaces du continent souvent peu accessibles dans la littérature en français.
Une revue consciente
La revue revendique enfin le fait d’être une revue accessible, aussi bien du point de vue de la diffusion que de la politique d’évaluation. Elle est diffusée entièrement en libre accès (open access) et s’organise comme suit : deux dossiers thématiques sont publiés chaque année et les articles des rubriques (« Varia », « Comptes-rendus de lecture », « Sources, terrains et contextes », « Entretiens ») sont publiés en flux continu.
Cette démarche est guidée par la volonté de faciliter le processus de publication et de rendre accessible au plus grand nombre les résultats de recherches en cours. Par ailleurs, nous appuyons notre politique d’évaluation, pour les articles des dossiers comme pour les articles Varia, sur l’accompagnement des auteur·e·s tout au long de la publication de leurs travaux. Plutôt que de refuser des articles innovants mais pas encore assez aboutis, il s’agit d’offrir aux auteur·e·s, quel que soit leur expérience, des discussions détaillées sur leur texte avant l’envoi en évaluation externe.
Dernier point et non des moindres : consciente que l’asymétrie des rapports de pouvoir entre Nord et Sud, héritée de l’histoire, aboutit à une fracture académique entre les deux espaces, comme au sein même des universités du Nord, la RHCA accorde une importance toute particulière à la visibilité des travaux produits dans et par les Suds. Conjointement, la revue encourage la publication de textes rédigés par des personnes aux statuts divers, qu’il s’agisse de statuts relatifs au fonctionnement académique, et/ou aux rapports de genre, de classe, de race, etc.
Le contexte difficile dans lequel naît la revue, bien loin de nous décourager, nous conforte dans nos objectifs et nous incite à faire ce que nous savons faire le mieux : dire, écrire et penser l’histoire de l’Afrique.
Bonne lecture !
Comité éditorial
Rédaction en chef
Camille Evrard (FRAMESPA/MIAS-Toulouse/Madrid)
Alexander Keese (UNIGE-Genève) (Directeur de publication)
Martin Mourre (IMAF-Condorcet)
Romain Tiquet (CNRS/IMAF-Aix-en-Provence)
Comité de rédaction
Saphia Arezki (IREMAM-Aix/Marseille)
Louis Audet-Gosselin (CEFIR-Montreal)
Louise Barré (LAM-Bordeaux)
Pedro Cerdeira (UNIGE-Genève)
Cissé Chikouna (Université Cocody-Abidjan)
Marie-Luce Desgranchamps (UNIGE-Genève)
Amadou Dramé (IHA/CREPOS-Dakar)
Daouda Gary-Tounkara (CNRS/IMAF-Paris)
Muriel Gomez-Perez (Université Laval-Canada)
Héloise Kiriakou (IMAF-Paris)
Céline Labrune-Badiane (CESSMA-Paris)
Rose Ndengue (CEDREF/CUREJ-Paris/Rouen)
Claire Nicolas (UNIL-Lausanne)
Florent Piton (CESSMA-Paris)
Karine Ramondy (SIRICE-Paris)
Anton Tarradellas (UNIGE-Genève)
Joseph Tsigbe (Université de Lomé-Togo)