Les rapports du gouverneur général et surtout ceux du général de Lamoricière auquel revient tout l’honneur de la soumission d’Abd-el-Kader ont appris à la France entière le dénoûment dramatique de la première phase de la guerre d’Afrique. Ces faits sont si connus maintenant de tous nos lecteurs, qu’il serait inutile même de les résumer ; qu’il nous suffise de rappeler que, le 24 [décembre 1847], dans l’après-midi, Abd-el-Kader fut reçu au marabout de Sidi-Brahim par le colonel de Moutauban, que rejoignirent bientôt les généraux de Lamoricière et Cavaignac. Une heure après, amené à Nemours (Djemaa-Ghazaouet), il était présenté au gouverneur général S. A. R. le duc d’Aumale, qui y était arrivé le matin même, et auquel il remettait un cheval de soumission. Le prince gouverneur ratifia la parole donnée par le général de Lamoricière, qu’Abd-el-Kader serait conduit à Alexandrie ou à Saint-Jean-d’Acre, avec le ferme espoir que le gouvernement du roi lui donnera sa sanction. Le 24, Abd-el-Kader s’embarquait pour Oran, et d’Oran, l’Asmodée l’a amené à Toulon, où il est, comme on le sait, arrivé le 29 avec sa famille et sa suite. […]
Au moment où nous écrivons, Abd-el-Kader est encore au lazaret de Toulon, où il attend que le gouvernement français ait prononcé sur son sort. Quel sera l’avenir de cet homme dont le passé a été si glorieux et dont la condition présente est si misérable ? Nul ne peut le prévoir; mais nous désirons vivement que le ferme espoir de S. A. R., le duc d’Aumale soit complètement trompé, et nous espérons, quant à nous, que le gouvernement du roi n’accordera pas sa sanction à la parole imprudente donnée par le général de Lamoricière. Envoyer Abd-el-Kader en Syrie ou en Egypte, ce serait lui rendre, aux yeux des Arabes, tout le prestige qu’il vient de perdre ; ce serait entraver et arrêter tous les progrès de la colonisation naissante par la menace perpétuelle d’une nouvelle prise d’armes ; ce serait mettre une arme terrible aux mains de notre plus redoutable ennemie, l’ Angleterre ; ce serait, en un mot, se rendre coupable d’un acte de haute trahison envers la France …[…]
Que la paix et la tranquillité règnent pendant quelques années seulement en Algérie, et la colonisation, si longtemps incertaine, n’hésitera plus à se développer. Non seulement la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie enverront en Afrique un plus grand nombre d’hommes et des capitaux plus considérables, mais les Arabes eux-mêmes ne tarderont pas à prendre part au mouvement général, à se métamorphoser, à se civiliser, à se confondre, dans de certaines limites, avec la population européenne […].