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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

la réforme du statut des gens du voyage

Les gens du voyage restent soumis en France à une réglementation discriminatoire. Un rapport a été déposé en juillet dernier par le préfet Hubert Derache préconisant une réforme profonde de leur statut1, et une proposition de loi en cours de mise au point devrait être prochainement soumise au parlement. Mais, comme l'anthropologue Marc Bordigoni2 l'expose ci-dessous, si cette réforme importante est adoptée, ce ne sera pas sans mal, tant il sera difficile pour les députés et sénateurs qui cumulent actuellement leur mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales de privilégier l'intérêt national sur la défense de leurs responsabilités locales – poste de maire ou de président de conseil général, régional ou d'agglomération3.

Une réglementation discriminatoire

Discriminations

Il y a cent ans, la loi du 16 juillet 1912 instituait le «carnet anthropométrique» pour encadrer « l’exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades », dotant ainsi l’administration française d’un moyen de surveiller une population sans domicile ni résidence fixe. On sait à quel usage ce fichage a pu servir sous le régime de Pétain1.

La loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 a remplacé le « carnet anthropométrique » par un « livret ou carnet de circulation », sorte de passeport intérieur qui doit être visé tous les trois mois par la police ou la gendarmerie.

Dès 2007, la HALDE – Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité – s’est penchée sur cette réglementation qui instaure une différence de traitement au détriment de certains citoyens français en violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit toute discrimination sur le droit de chacun à circuler librement.

En janvier 2008, la HALDE a adressé des recommandations au gouvernement en vue de rétablir une égalité de traitement à propos notamment de la carte nationale d’identité, de la libre-circulation, de l’accès au droit de vote, de la scolarisation et du stationnement.

« En l’absence de suites favorables données » à ses recommandations, la HALDE a publié le 17 octobre 2009 une délibération où elle insiste notamment sur les « titres de circulation » et l’accès au droit de vote2

Les recommandations de la HALDE n’ont pas été mises en oeuvre. L’institution a été dissoute en 2011, ses missions étant transférées au Défenseur des droits. Au cours de la présidence de Nicolas Sarkozy la stigmatisation des gens du voyage a atteint un sommet : «Jamais un chef de l’Etat n’avait brutalisé à ce point les Tsiganes» (Alexandre Romanès3).

Une décision du 5 octobre 2012 du Conseil constitutionnel a rouvert le dossier : le «carnet de circulation» ainsi qu’une disposition du code électoral étaient déclarés contraires à la Constitution – toutefois le «livret de circulation» était maintenu 4.

Loi Besson

Selon cette loi du 5 juillet 2000, toute commune de plus de 5 000 habitants est tenue de disposer d’une aire et les départements doivent prévoir des aires de « grands passages ». Toutefois, on estime que seules la moitié des aires d’accueil sont réalisées, le pourcentage tombant à 30% pour les aires de grands passages.

Les gens du voyage ne trouvant pas de lieu d’accueil sont contraints de contrevenir ouvertement à la loi ; alors que les maires sont les premiers responsables de la situation qu’ils ont créée en ne respectant pas la part qui leur revient dans l’application de la loi Besson, ce sont les gens du voyage qui sont désignés comme responsables des violations de la loi. Les gesticulations de Christian Estrosi illustrent cette inversion des responsabilités.

Les socialistes ont promis de réformer le statut des gens du voyage qui met en cause l’égalité des citoyens devant la loi en ce qui concerne la circulation, le droit de vote, les papiers d’identité …

Rédigée par le député PS Dominique Rambourg et présentée lors d’un colloque à l’Assemblée nationale le 17 juillet 2013, une proposition de loi est en chantier au parlement.

Mais de nombreux parlementaires, y compris parmi les élus socialistes, sont réticents à faire avancer les droits des voyageurs, un sujet peu populaire à quelques mois d’élections municipales difficiles pour le parti au pouvoir.
La pratique bien française du cumul des mandats électifs n’est pas pour rien dans ces réactions …

Les «gens du voyage», otages des municipales

par Marc Bordigoni, Libération, le 25 juillet 2013

Les gens du voyage refont la une cet été : démission du maire de Guérande, dérapages verbaux de Christian Estrosi à Gilles Bourdouleix, remise du rapport du préfet Hubert Derache concernant leur situation.

Depuis 1912, les personnes considérées comme «nomades» sont soumises à une réglementation discriminatoire, elle a été modifiée en 1969 mais persiste. Au cours d’un colloque tenu à l’Assemblée nationale le 17 juillet deux ministres se sont engagés pour une réforme du statut des gens du voyage et la prise en compte du type d’habitat qu’est la caravane.

La perspective des élections municipales pouvait laisser craindre qu’un tel projet soit reporté. Pour une raison simple : le cumul des mandats des élus de la République les empêche de prendre des décisions d’intérêt national quand ils doivent défendre leurs postes de maire ou de conseillers généraux. L’exemple des «gens du voyage» est révélateur de cette question.

Elus de la Nation, ils savent que la fin du statut discriminatoire est impérative, élus locaux ils ne veulent surtout pas passer pour responsables de mesures qui rendraient possible la vie de «ces gens-là», qu’on les nomme «gens du voyage», «gitans», «Tsiganes» ou «manouches».

Le discours de Christian Estrosi doit se comprendre dans ce contexte, il prépare la campagne des élus de son camp dans l’ensemble des communes de France. Nice comme bien d’autres villes du sud de la France connaît quatre réalités «tsiganes» différentes :

– Des familles françaises qui vivent en HLM et sont dans des situations économiques difficiles (comme d’autres) dans le quartier de l’Ariane par exemple, on les appelle «des gitans sédentaires».

– Des familles qui ont peu affaire aux services sociaux car les hommes et les femmes exercent des activités artisanales (en étant enregistrés aux registres du commerce ou de l’artisanat ou en étant auto-entrepreneurs) ou bien salariés agricoles (cueillette du mimosa vers Grasse, maraîchage, vendanges) et qui en hiver reprennent une activité de ferrailleurs ou bien de salariés. Pour effectuer le travail agricole dans la région ils se déplacent d’une propriété à l’autre. Ils ne sont pas «nomades» mais mobiles et pluriactifs, ce qui est si souvent recommandé aux travailleurs français qui perdent leur emploi. Ils «posent problème» aux municipalités car ils ont besoin de leurs caravanes pour leur travail saisonnier, ils y tiennent aussi pour maintenir leurs relations familiales denses. Ils souhaitent donc s’installer avec. Les plans locaux d’urbanisme ne prévoient rien de tel. La loi Besson (du nom de l’ancien ministre socialiste du Logement) a prévu des «terrains familiaux». Mais les maires sont hostiles à cette solution. Ils partagent souvent (pour des raisons électorales) la conviction de leurs électeurs : «il faut trouver une solution, mais ailleurs», chez le voisin si possible.

– Des familles qui n’habitent pas la région mais y viennent chaque année pour exercer leur métier (fêtes foraines, ventes sur les marchés, travaux d’élagages, de ravalement de façade, rempaillage, etc.) et pour lesquelles aucune solution décente n’est proposée, particulièrement dans la région Paca. Propriétaires d’un terrain sur lequel ils vivent quelques mois par an (l’hiver), ils sont des «Français itinérants», des artisans et des commerçants en règle avec les services de l’Etat et ont besoin de se déplacer pour exercer leurs métiers. Ils ont été obligés de prendre l’habitude de se placer en groupes nombreux pour faire face à l’incurie ou la mauvaise foi des municipalités.

– Et enfin, les familles roms, qui sont des réfugiés économiques (Roumanie, Bulgarie) ou des guerres de l’ex-Yougoslavie. Ils ne sont pas plus nomades que citoyens français, le droit auquel ils sont soumis diffère des gens du voyage, citoyens français rappelons-le. Ils vivaient en maison ou en immeuble dans leurs pays d’origine. Le problème est tout autre.

L’assimilation entre toutes ces situations de personnes vivant dans des conditions différentes et incomparables se fonde sur une vieille idée reçue : ce sont tous des «Tsiganes», «nomades» par essence. Nicolas Sarkozy a eu beau jeu de profiter de l’imaginaire populaire pour prononcer son discours de Grenoble en 2010 en confondant toutes ces réalités. L’amalgame entre «gens du voyage» et «Roms» réactive la peur du «gitan», cet autre qui n’a pas sa place parmi nous, même s’il est français depuis des décennies, voire avant la Révolution française.

Monsieur Sarkozy, ministre de l’Intérieur, puis des Finances et président de la République française a toujours eu le souci de rendre impossible la vie aux gens du voyage. Ainsi qu’il l’a dit dans un discours aux préfets «il n’est pas question d’interdire les gens du voyage» mais, comme le soulignent le juriste Assier-Andrieu et la sociologue Anne Gotman, «interdire les gens du voyage a donc bien été dans les arrière-pensées au cœur même de l’Etat».

Monsieur Estrosi cultive ce que l’on peut appeler «la guerre des tranchées» (en référence aux municipalités qui rendent inaccessibles des terrains à coups de pelleteuses) mise en place dès 2002 par son mentor.

Dans l’ensemble de ses fonctions Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse d’inventer des dispositifs législatifs transformant la vie du voyage en pratiques délinquantes et inciter les maires à ne pas respecter la loi «Besson» de 2000. Christian Estrosi a beau jeu de s’appuyer sur la «tradition» de Nicolas Sarkozy pour lancer la campagne municipale et la division dans la citoyenneté française.

  1. Voir 3787.
  2. Référence : http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20091017&numTexte=147&pageDebut=17190&pageFin=17191.
  3. Voir 4884.
  4. Voir 5152.
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