La Nouvelle-Calédonie, un cas de décolonisation inachevée
La Nouvelle-Calédonie est sur la voie de la décolonisation : c’est ce que laisse paraître l’Accord de Nouméa, du 5 mai 1998, qui instaure pour 20 ans une souveraineté partagée entre l’île et sa métropole. A terme, une totale indépendance du territoire est envisagée.
Le passé
Peuplée depuis 4000 ans par des tribus indigènes d’origine mélanésienne (la Mélanésie est cette région d’Océanie qui comprend la Nouvelle-Guinée, les îles Salomon et Fidji, Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie), l’île fut découverte par James Cook avant d’être annexée par la France de Napoléon III en 1853. De 1864 à 1897, elle fut utilisée comme pénitencier ; les forçats étaient employés aux grands travaux d’aménagement de l’île et sur les propriétés foncières des colons, confisquées aux populations indigènes pour inciter l’immigration européenne. Le bagne accueillera jusqu’à 5 000 communards – dont Louise Michel.
Cette époque est marquée par de nombreuses révoltes de la population kanak, dont la plus célèbre est celle menée en 1878 par le grand chef Ataï. De 1887 à 1946, le code de l’indigénat s’applique aux populations autochtones, les dépossédant de leurs terres, leur imposant travail obligatoire, taxes et autres mesures niant leurs droits. En 1946, le code est enfin supprimé et la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer. Les Mélanésiens acquièrent ainsi la nationalité française et le droit de vote.
A partir de 1946, la Nouvelle-Calédonie connaît une extraordinaire profusion de statuts juridiques, lui octroyant plus ou moins d’autonomie selon les gouvernements en place en métropole. Face à cette souveraineté française, la population mélanésienne (ou kanak) se révolte à plusieurs reprises.
D’une part, les indépendantistes se réunirent autour de Jean-Marie Tjibaou, au sein de l’Union calédonienne depuis 1956, puis du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste) à partir de 1984, jusqu’à son assassinat le 4 mai 1989, quelques mois après les Accords de Matignon.
D’autre part, les anti-indépendantistes se rallièrent à Henri Lafleur, fondateur en 1958 du Rassemblement calédonien qui devient, en 1978, le RPCR (Rassemblement Pour la Calédonie dans la République).
La situation en 1988
En 1984, la Nouvelle-Calédonie reçoit le statut le plus autonomiste de son histoire. Mais les élus locaux s’avèrent incapables de gérer les tensions. Un climat de violence règne alors dans l’île, opposant les deux communautés principales, kanak et européenne ; les gouvernements métropolitains semblent démunis face à une revendication indépendantiste et à un mouvement loyaliste qui se radicalisent.
Il faut dire que la réalité néo-calédonienne est complexe. Les Kanak représentent 44 % et les Européens 34 % d’une population totale de 200 000 habitants, le reste se répartissant entre Polynésiens, Asiatiques et Métis. Le territoire est partagé en trois provinces : celle du Nord, à majorité kanak, celle du Sud, à majorité européenne, et celle des îles Loyauté.
Les enjeux de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie sont nombreux. Il s’agit d’abord pour les indépendantistes de faire reconnaître l’existence et la souveraineté du peuple et de la culture kanak. Les enjeux économiques sont également importants : la Nouvelle-Calédonie dispose de 30 % des réserves mondiales de nickel.
Le 13 septembre 1987, les populations sont consultées par référendum, sur l’accession du Territoire à l’indépendance ou sur son maintien au sein de la République (98 % des votants s’expriment en faveur du maintien du Territoire au sein de la République, mais le taux d’abstention est de 41 %).
La tension atteint son paroxysme en avril-mai 1988. De jeunes indépendantistes kanak attaquent une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa, tuant à la hache trois gendarmes, avant de se réfugier dans une grotte en prenant vingt-trois personnes en otage. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, le gouvernement de Jacques Chirac, alors premier ministre de François Mitterrand, ordonne l’assaut de la grotte : les otages sont libérés – au prix de 21 morts (19 Kanaks et 2 gendarmes).
Le 15 Mai 1988, le nouveau Premier Ministre, Michel Rocard, désigne une mission, dite mission du dialogue, conduite par Christian Blanc. Cette mission en Nouvelle-Calédonie débouchera sur la signature à Paris des accords Matignon (26 juin 1988) par le RPCR, le FLNKS et l’Etat.
Les tensions politiques s’apaisent. «Le risque de haine raciale nous a incités à réfléchir et a fait que nous avons dit oui à Rocard pour discuter», raconte Jean-Marie Tjibaou.
Les accords de Matignon de 1988
Leur objectif était de rétablir la paix civile et de » créer, par une nouvelle organisation des pouvoirs publics, les conditions dans lesquelles les populations de Nouvelle-Calédonie […] pourront librement choisir leur destin « .
Les Accords prévoyaient un référendum sur l’autodétermination, au terme d’un délai de dix ans. Mais le référendum prévu pour 1998 n’eut pas lieu. Son rejet par les partis politiques concernés s’explique par plusieurs raisons. Les listes électorales étaient fortement critiquées, car restreintes aux résidents de l’île depuis au moins 10 ans. De plus, une interprétation stricte des résultats laissait envisager une partition du territoire en un Etat indépendant et une partie rattachée à la France, ce qui n’aurait pas été viable. Il n’était donc pas souhaitable de procéder à un scrutin dont les résultats étaient si incertains.
En revanche, des négociations sur l’avenir institutionnel du territoire ont été engagées, pour parvenir à la signature, le 5 mai 1998, de l’Accord de Nouméa, réglementant le statut de la Nouvelle-Calédonie pour une nouvelle période de vingt ans.
L’Accord de Nouméa de 1998 : reconnaissance du peuple kanak et évolution vers l’autonomie
Lorsque la France a pris possession de la Nouvelle-Calédonie, en 1853, elle s’est approprié un territoire qui n’était pas vide. La conception européo-centriste du droit international de l’acquisition d’une terre était fondée sur les principes de la découverte et de l’occupation effective : devenait maître du territoire le premier Etat « civilisé » qui l’occupait. C’est ainsi que les Etats européens ont acquis de nombreuses colonies, niant l’existence juridique des populations indigènes.
Le préambule de l’Accord de Nouméa évoque les « ombres de la période coloniale », effectuant une sorte de mea culpa pour les colonisations foncières, les dépossessions, la mise en place d’autorités dépourvues de légitimité selon la coutume, l’absence de droits politiques pour les Kanak, etc… Mais il reconnaît surtout l’identité kanak. En effet, dans son premier paragraphe, il pose que les Kanak « avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, la coutume qui organisait le champ politique … L’identité kanak était fondée sur un lien particulier à la terre. Chaque individu, chaque clan se définissait par un rapport spécifique avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière, et gardait la mémoire de l’accueil d’autres familles. » Une reconnaissance de principe est effectuée dans le paragraphe 3 : » Il convient … de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun » . Il ne s’agit pas que d’une reconnaissance de principe de la légitimité des revendications kanak : l’identité kanak est concrétisée à travers plusieurs éléments de l’Accord lui-même.
La suite du préambule affirme que « la décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie » ; à travers ce paragraphe la volonté de réunir les différentes populations de l’île est clairement affichée.
Selon le calendrier établi par l’Accord, les compétences étatiques seront progressivement transférées à la Nouvelle-Calédonie, l’Etat ne détenant plus finalement que les compétences régaliennes, à savoir la justice, la police, la défense, la monnaie, et, sous quelques réserves, les affaires étrangères.
Quel avenir peut-on envisager pour la Nouvelle-Calédonie ?
Le préambule de l’Accord établit que » au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’or