Communiqué LDH
Maurice Audin a-t-il été assassiné sur ordre ?
Durant la guerre d’Algérie, Maurice Audin, jeune mathématicien et militant communiste âgé de 25 ans, arrêté à son domicile, à Alger, le 11 juin 1957, par des militaires français, a disparu peu après alors qu’il se trouvait entre leurs mains. Depuis lors, son épouse, Josette Audin, le Comité Maurice Audin, présidé par Pierre Vidal-Naquet, et la Ligue des droits de l’Homme n’ont eu de cesse de demander aux autorités françaises qu’elles disent la vérité sur sa disparition.
En mars 2012, suite à la publication par le Nouvel Observateur d’informations selon lesquelles ce serait le sous-lieutenant Gérard Garcet, chef d’état-major du général Massu, commandant la division parachutiste exerçant les fonctions de police à Alger, qui aurait mis fin à ses jours, la LDH a renouvelé publiquement sa demande.
Promises par le président de la République à Josette Audin dans la lettre qu’il lui avait adressée en décembre 2012, les archives qui lui ont été communiquées en février 2013 par le ministre de la Défense n’apportent aucun élément, aux dires des historiens qui les ont examinées, sur la disparition de son mari.
En revanche, le livre La Vérité sur la mort de Maurice Audin, où le journaliste et documentariste Jean-Charles Deniau publie les résultats de son enquête, avance des éléments nouveaux qui rendent indispensable que les autorités françaises disent enfin la vérité sur ces faits. D’après lui, l’ordre de tuer Maurice Audin a été donné au commandant Aussaresses par le général Massu, avec l’assentiment probable du ministre résident en Algérie, le socialiste SFIO Robert Lacoste, alors que le président du Conseil était depuis peu le membre du Parti radical, Maurice Bourgès-Maunoury. L’enquête confirme, par ailleurs, quant à l’exécuteur du crime, les informations publiées en mars 2012 par le Nouvel Observateur. L’objectif de cet assassinat étant de faire un exemple destiné à avertir et dissuader les communistes de soutenir la lutte d’indépendance algérienne.
L’assassinat de Maurice Audin, qui a frappé d’autant plus l’opinion publique qu’il s’agissait d’un jeune universitaire français, n’est qu’un exemple des tortures et exécutions sommaires infiniment plus nombreuses qui ont frappé des Algériens. Après d’autres travaux, ce livre montre comment, durant cette guerre, des autorités civiles et militaires françaises ont poussé des soldats à commettre en Algérie des actes qui ont été définis par des textes internationaux au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale comme des violations graves des droits de l’homme. Comme en ont témoigné le général Pâris de Bollardière ou le secrétaire général de la police d’Alger, Paul Teitgen, qui a démissionné en 1957 parce qu’il refusait d’en être complice, l’illégalité et l’irresponsabilité ne pouvaient conduire qu’à des crimes de guerre.
Pour la Ligue des droits de l’Homme, il est plus que temps, un demi-siècle après ces faits, que les plus hautes autorités de la République française, comme les différentes institutions de la société, le reconnaissent.
Paris, le 9 janvier 2014
France-inter a consacré des émissions du 8 janvier 2014 de 8h à 9h à la publication de ce livre.
Dans la seconde partie de l’émission de France-inter, Josette Audin a pu prendre la parole et exprimer ses doutes par rapport au contenu de ce livre :
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Les aveux posthumes du général Aussaresses : « On a tué Audin »
Dans un document diffusé en exclusivité dans le Grand Soir 3 le mercredi 8 janvier 2014, le général Aussaresses avait avoué au journaliste Jean-Charles Deniau avoir donné l’ordre de tuer Maurice Audin.
« On a tué Audin », confesse, le souffle court, le général Paul Aussaresses, mort le 3 décembre dernier, dans un document inédit diffusé en exclusivité dans le Grand Soir 3 du mercredi 8 janvier. Ces aveux posthumes ont été recueillis par le journaliste Jean-Charles Deniau, invité du journal, qui publie La vérité sur l’affaire Audin aux éditions Les Equateurs, jeudi 9 janvier.
« On l’a tué au couteau pour faire croire que c’était les Arabes qui l’avaient tué », répond dans l’extrait sonore le tortionnaire à Jean-Charles Deniau, qui lui demande de préciser les circonstances de la mort de Maurice Audin, professeur de mathématiques à l’université d’Alger, assassiné en juin 1957 par les parachutistes français et porté disparu depuis.
« Qui c’est qui a décidé de ça ? C’est moi », poursuit le général Aussaresses. Invité par Jean-Charles Deniau à ne dire que la vérité, l’ancien militaire conclut : « La vérité, c’est qu’on a tué… J’ai dit : ‘Il faut qu’on tue Audin’. »
Josette Audin : «Aussaresses est un être immonde qui a menti toute sa vie»
Réservée sur le livre de Jean-Charles Deniau, la veuve de Maurice Audin attend que l’État français condamne la torture, comme l’avait fait Jacques Chirac à propos de la rafle du Vél’d’Hiv.
publié dans L’Humanité du 9 janvier 2014.]
- Sur France inter hier matin, vous sembliez irritée par la sortie du livre la Vérité sur la mort de Maurice Audin. Pour quelles raisons?
Josette Audin. Je suis irritée et offusquée. J’ai rencontré Jean-Charles Deniau par l’intermédiaire d’un fonctionnaire des archives du ministère de la Défense. C’était lundi dernier. Mais il ne m’a pas parlé de son livre. C’est en fait un journaliste de France Inter qui est venu me voir avec à la main un livre dont j’ignorais l’existence et que, par conséquent, je n’avais pas encore lu. Je n’ai pas été contente du tout que l’auteur ne m’ait pas prévenue que son livre traitait de l’assassinat de Maurice Audin.
- Que reprochez-vous à ce livre?
Le fait de rapporter uniquement les propos posthumes de son ami Aussaresses, un ami de la famille chez qui il se rendait souvent. Cela dit, il a le droit d’écrire sur le sujet évidemment, mais il n’a pas le droit d’utiliser le nom de Maurice Audin pour faire vendre. Pour moi, c’est une façon abjecte de procéder.
- Cela étant, pensez-vous que les « aveux » d’Aussaresses contenus dans ce livre constituent une avancée?
Je ne suis pas opposée à ce que des gens s’expriment sur cette période sombre, y compris Aussaresses que je considère comme un être immonde. Mais on ne peut pas lui accorder la moindre confiance. Est-ce que l’on peut qualifier ses affirmations d’aveux ? Est-ce que tout est vrai dans ce qu’il a dit à Deniau? On ne peut pas savoir la vérité avec des gens comme Aussaresses en qui on n’a pas confiance. Il faut que d’autres personnes disposant de sources s’expriment sur ce qui s’est passé et ne pas s’en tenir uniquement aux déclarations d’Aussaresses.
- À Alger, François Hollande a fait un geste en se recueillant place Maurice-Audin…
Je crois que c’est l’historien Benjamin Stora qui lui avait conseillé ce geste. Il trouve que ce qu’a fait Hollande est bien. Mais moi j’estime que le président de la République n’est pas allé jusqu’au bout.
- Qu’attendez-vous alors de lui et des autorités françaises ?
Qu’elles condamnent ce qui s’est passé en Algérie : la torture, les disparitions forcées et les exécutions sommaires. Comme le président de la République Jacques Chirac l’avait fait pour la rafle du Vél’d’Hiv. Est-ce qu’on a entendu un membre du gouvernement condamner
la torture qui avait été approuvée par les gouvernements de l’époque? Non. Il faut le faire. Ne pas le faire, c’est honteux pour la France.
- François Hollande a pourtant ordonné la déclassification des archives concernant Maurice Andin…
J’ai consulté les archives du ministère de la Défense. Il n’y avait pas grand-chose. Je crois qu’ils ont été assez malins pour ne laisser aucun document compromettant. Ils ont dû faire un petit ménage. La journaliste Nathalie Funès a dû aller aux États-Unis pour consulter des archives se rapportant à cette affaire. J’ajoute, et c’est cela qui me met en colère, qu’Aussaresses possède sûrement des archives
personnelles. Ce serait bien que l’État français les récupère si on ne veut pas qu’elles tombent entre les mains des anciens paras, qui n’hésiteront pas à les brûler histoire de sauvegarder l’honneur de l’armée française.