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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
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La LDH et le problème colonial en 1930 – 1931

La LDH a connu des débats internes sur la question coloniale, mais son congrès de 1931, l'année de l'exposition coloniale, a finalement prôné une "colonisation démocratique". Attentive au respect des droits des individus, elle n'a pas pris en compte le droit collectif d'un peuple à disposer de lui-même. Nous reproduisons le texte sur ce sujet publié dans la brochure l'Exposition coloniale de 1931 - Le débat colonial de l'époque, publiée en 2002 par section Paris XII de la LDH.

Le « problème colonial » est fréquemment abordé dans les Cahiers des Droits de l’Homme (bulletin officiel de la LDH qui paraît tous les 10 jours). De nombreux articles et réflexions font état d’un débat sur la situation dans « les colonies« . Les termes employés peuvent d’ailleurs surprendre aujourd’hui : on parle d’indigènes, de blancs ou d’israélites, sans que cela paraisse péjoratif.

Victor Basch, président de la LDH, publie en 1930 une longue réflexion Pour la liberté individuelle, avec un chapitre intitulé Dans nos colonies , dans lequel il s’élève contre le régime judiciaire des colonies et les procédures d’expulsion.

1930 : l’Indochine

La LDH, notamment sa section de Hanoï, dénonce la justice expéditive et de graves atteintes aux droits de la défense. Elle demande la suppression de la Commission Criminelle, juridiction d’exception instituée par le gouvernement général de l’Indochine en 1929, qui réprime avec sévérité les crimes et délits ayant un soi-disant caractère politique.

Le 10 février 1930, les Cahiers des Droits de l’Homme publient deux pétitions :

-La pétition des familles des 36 personnes condamnées le 11 octobre 1929 par le Tribunal provincial de Vinh (Annam) lors d’un procès à huis clos, sans avocat. Elle dénonce des arrestations arbitraires, les mauvais traitements, et supplices endurés par les prisonniers.

-La pétition des familles des 75 personnes condamnées le 3 juillet 1929 à Hanoï. Ce procès expéditif, était dirigé contre le Parti Nationaliste d’Annam pour complot contre la sûreté de l’Etat.

À la suite de ces publications, la section de la LDH de Haïphong fait parvenir une réaction outrée et offensée, estimant notamment que « cette intervention déplacée cause le plus grand préjudice à l’influence française en Indochine, en désorientant l’opinion indigène », et menaçant d’une démission collective si son rapport de section n’est pas publié. Marius Moutet, membre du Comité Central, réagira fermement en répétant que « la mentalité de trop de Français en Indochine est déplorable, qu’ils continuent à s’y comporter comme en pays conquis, à y méconnaître les droits de l’homme en la personne des indigènes, à les traiter trop souvent en race inférieure et soumise. Nous proclamons pour l’Indochine, comme pour le monde entier, le principe de l’égalité de race, et nous avons cité assez de faits certains démontrant que ce principe était souvent méconnu …  »

Rappelons la mutinerie de la garnison de Yen Bay, les 9 et 10 février 1930, suivie de grèves, manifestations et soulèvements dans toute l’Indochine.

Avril 1930 : Congrès interfédéral de l’Afrique du Nord

À l’occasion du centenaire de l’Algérie, un appel aux sections de la LDH est lancé pour avis sur des suggestions de réformes, et la constitution d’un cahier des revendications (30 janvier 1930) ; de même, une proposition de loi est déposée par le groupe parlementaire de la LDH à la Chambre des députés « pour la suppression en Algérie de la mise en surveillance », sorte d’assignation à résidence sans jugement « à l’encontre des indigènes non-citoyens, déclarés coupables de s’être livrés à des menées anti-françaises ou à des actes de piraterie agricole ».

En 1930, le Congrès de la LDH devait se tenir à Alger. Mais, du fait d’un « accueil des plus frigides » de la part des administrations, la LDH renonce à ce projet. En compensation, « une grande tournée dans l’Afrique du Nord » a été effectuée par certains membres du Comité Central, et, les 25 et 26 avril 1930, se tient à Alger le Congrès Interfédéral de l’Afrique du Nord.

Les débats sont dominés par la question de « la représentation des indigènes au Parlement ». La lecture des comptes-rendus montre la réticence des sections LDH d’Afrique du Nord à l’idée d’un élargissement du droit de vote des indigènes, alors que les représentants de la LDH de métropole y sont favorables.

Au terme d’un vif débat, le Congrès adopte les principes suivants :

-un collège électoral spécial pour les indigènes ;
-l’éligibilité pour les seuls indigènes présentant des garanties de capacité: fonctionnaires de tous ordres, anciens militaires, commerçants inscrits au registre du commerce, etc ;
-l’éligibilité pour tout électeur français ou indigène citoyen français.
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Le Congrès ajoute que, « si cette question de l’éligibilité se heurtait à des objections qui risqueraient de retarder la réalisation d’une réforme nécessaire, il conviendrait d’accepter, comme première étape, que les indigènes fussent représentés par des citoyens français. »

Les débats ont également porté sur le statut de la femme indigène, le régime militaire, … Le Congrès demande la suppression des tribunaux répressifs, des cours criminelles, de la mise en surveillance, l’égalité de la durée du service militaire pour les indigènes et les français, l’ admission des indigènes et des juifs dans tous les corps de troupe …

Au cours des débats des représentants d’Algérie sont intervenus (des fédérations de Constantine et d’Alger, des sections de Hussein-Dey, Blida, Alger, Sidi-Bel-Abbés, Maison Carrée, Mechtras, Oran, Aïn-Sefra, Philippeville).
Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier la constitution sociologique des sections d’Afrique du Nord. Ainsi, celle d’Aïn-Sefra « ne compte que 16 adhérents, tous français indépendants : les indigènes n’osant pas lui donner leur adhésion ouvertement  » …

1931 : la situation dans les colonies et l’Exposition Coloniale

Maroc : la LDH adopte, lors de son congrès national en 1931, une attitude ambiguë. Maurice Violette signale les « périls et les dangers » d’une politique qui conduirait à l’évacuation du protectorat : « Comment ne pas frémir à la pensée que les populations seraient livrées sans défense aux caprices de tyrans dont le Glaoui est le type ? […] Si nous commettions la faute de partir, le lendemain même de notre départ, les marchés d’esclaves seraient de nouveau installés à Fès. »

Le comité central vote un texte condamnant l’évacuation à l’unanimité moins une voix, celle de Félicien Challaye favorable, lui, à « la libération la plus rapide possible des peuples constituant de véritables nations, quand ceux-ci aspirent manifestement à l’indépendance. »

En 1932,la LDH se ralliera aux Jeunes Marocains. 2

Indochine : la LDH s’élève contre «les excès d’une répression aveugle» et «condamne le recours à des méthodes de répression (bombardement des villages par avions) nettement contraires aux droits des gens.»

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Le 2 juin 1931, la LDH signale au Ministre du Travail « les conditions particulièrement rigoureuses de travail allant à l’encontre des dispositions légales sur la journée de huit heures et le repos hebdomadaire » du personnel de la Société des Parcs d’Attraction de l’Exposition Coloniale.

Le 18 août 1931, la LDH intervient auprès du Ministre des Colonies au sujet de l’affaire des canaques exhibés au Jardin d’Acclimatation, en attirant l’attention sur leurs conditions de séjour et la date imprécise de leur retour au pays.

Le 8 octobre 1931, le bureau de la L.D.H. regrette que la Ligue n’ait pas eu son stand à l’Exposition Coloniale, à l’instar des missions catholiques et protestantes, malgré le coût de cette « propagande ».

Il semble que la LDH se soit peu mobilisée lors de cette Exposition Coloniale, étant sans doute plus préoccupée par l’organisation de son Congrès.

Mai 1931 : Congrès de la LDH à Vichy.3

En mai 1931, à Vichy, la Ligue des Droits de l’Homme tient son congrès consacré au thème La colonisation et les Droits de l’Homme. Deux thèses s’y opposent en un affrontement souvent tumultueux. L’une défendue par Félicien Challaye tend, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à une condamnation globale du fait colonial, la colonisation y étant essentiellement définie comme « la mainmise d’un peuple économiquement et militairement fort sur un peuple d’une autre race économiquement et militairement faible ». L’autre, soutenue à la fois par Albert Bayet et Maurice Viollette 4, tend au contraire à montrer que l’acceptation du principe colonial ne signifie en aucune façon une trahison à l’égard d’un idéal de progrès et de démocratie. Sans doute, dans quelques-uns de ses aspects, la colonisation française est-elle entachée de graves abus « d’actes arbitraires et de tyrannie » qu’il importe de dénoncer et de corriger. Sans doute une évolution progressive doit-elle amener à faire des peuples colonisés des « associés et non plus des sujets ». Mais, déclare Albert Bayet « de ce que l’action colonisatrice s’accompagne trop souvent d’abus, avons-nous le droit de conclure qu’elle en est inséparable ? Je ne le crois pas. Viciée, la colonisation est un danger pour le monde, purifiée, elle peut être un bienfait. »

Et Albert Bayet poursuit, après avoir évoqué les grands exemples de la Grèce et de Rome :

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la France enseigne sa langue à tous ses enfants. « D’où il suit que la colonisation est légitime quand le peuple qui colonise apporte avec lui un trésor d’idées et de sentiments qui enrichira d’autres peuples ; dès lors la colonisation n’est pas un droit, elle est un devoir. […] Il me semble que la France moderne, fille de la Renaissance, héritière du XVIIe siècle et de la Révolution, représente dans le monde un idéal qui a sa valeur propre et qu’elle peut et doit répandre dans l’univers.

Apporter la Science aux peuples qui l’ignorent, leur donner routes, canaux, chemins de fer, autos, le télégraphe, le téléphone, organiser chez eux des services d’hygiène, leur faire connaître enfin les Droits de l’Homme, c’est une tâche de fraternité […] Le pays qui a proclamé les Droits de l’Homme, qui a contribué brillamment à l’avancement des sciences, qui a fait l’enseignement laïque, le pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté, a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut, les idées qui ont fait sa propre grandeur. »

Maurice Viollette reconnait que la colonisation est une conquête et que même si la politique actuelle est indéfendable, notamment en Indochine, il y a des résultats matériels qu’on ne peut oublier (disparition de l’esclavage, lutte contre le choléra, la peste…). Il considère qu' »abandonner les colonies, ce serait y organiser la ruine et la mort, les plonger presque toutes dans une anarchie terrible, et ce n’est pas une façon d’apporter une solution moralisatrice au problème colonial. » Il ne connaît pas d’autre politique coloniale possible que celle de « l’assimilation » qui doit être variable selon le degré d’évolution de chaque pays.

S’opposant à l’argumentation d’Albert Bayet et de Maurice Viollette, Félicien Challaye condamne d’abord dans la colonisation un « fait d’ordre économique » : le « déplacement » des richesses mondiales au profit des capitalistes européens. Il s’élève d’autre part contre une politique d’assimilation qui n’est qu’une des formes de l' »orgueil de race » et qui aurait pour conséquence d’uniformiser l’univers : « En vérité la race blanche est-elle tellement certaine de sa supériorité pour imposer sa civilisation à tous les autres peuples et vouloir les assimiler ? » « Si vous refusez de condamner le principe de la colonisation, notre Ligue devra changer son titre, devenant la Ligue pour la défense des droits de l’homme blanc et du citoyen français » 5.

Les thèses d’Albert Bayet et de Maurice Viollette l’emporteront à une très forte majorité 6 : le Congrès adoptera une position de compromis en prenant pour base la proposition de résolution d’Albert Bayet : le Congrès « demande, qu’à la colonisation impérialiste soit substituée une colonisation démocratique, qui se donne invariablement pour but de répandre ce qu’il y a de meilleur dans notre effort scientifique, dans notre idéal rationaliste et démocratique, et d’habituer les peuples colonisés à se gouverner eux-mêmes et à être, non plus des sujets, mais des peuples libres […]. »

Cette résolution, qualifiée de jésuitique par les surréalistes 7, montre que, à l’époque, la LDH n’était pas anti-colonialiste : elle prônait une « colonisation démocratique », notion qui nous laisse aujourd’hui pour le moins sceptiques. Fidèle aux idéaux de 1789, elle est attentive au respect des droits des individus. Mais, convaincue que la présence française favorise les Droits de l’Homme et apporte un certain progrès, elle ne prend pas en compte le droit collectif d’un peuple à disposer de lui-même.
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  1. Il faut rappeler que de 1919 à 1936, seuls 1 720 « indigènes » ont demandé la nationalité française.
  2. Catherine Hodeir et Michel Pierre, L’exposition coloniale, éd. Complexe – 1991
  3. Ce qui suit doit beaucoup à Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, éd. La Table Ronde, Paris, 1972.
  4. Maurice Viollette (1870- 1960) a été gouverneur de l’ Algérie de 1925 à 1927. Parlementaire radical et avocat, il s’est intéressé très tôt à la question coloniale et a dénoncé dès 1898 les méthodes de colonisation. Nommé gouverneur de l’Algérie en pleine guerre du Rif, il mène une politique très ferme contre la cause indépendantiste, mais parallèlement, il développe routes, barrages, écoles et une ébauche de politique sociale en faveur des « indigènes » malgré les résistances des colons.
  5. Gilles Manceron, Marianne et les colonies, éd La Découverte, Paris, 2003.
  6. 1 523 voix contre 634.
  7. Voir la fin de l’article sur 176.
  8. Épilogue :

    – Félicien Challaye finira mal : sous l’occupation allemande il deviendra collaborateur par refus du nationalisme.

    – En 1936, Maurice Viollette sera ministre d’Etat du gouvernement Blum. Le projet « Blum- Viollette » de donner la citoyenneté à 30 000 indigènes, très mal accueilli par les colons, sera abandonné.

    – Albert Bayet fera partie, trente ans plus tard, des derniers partisans de l’Algérie Française.

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