Les positions coloniales de la LDH sont liées à son terrain particulier. Son objet est l’homme concret plus que les peuples et elle défend et propage les valeurs universalistes prônées par la République française, opposant par exemple outre-mer la fraternité au racisme des coloniaux. En fait, elle n’est pas hostile à la colonisation mais au colonialisme tel qu’il est. Deux congrès ont été consacrés aux questions coloniales marquant une grande continuité en dépit du changement de vocabulaire: en 1931, la Ligue proposait de réaliser une « colonisation démocratique » ; en 1952, elle soutient la création de l’Union française – dont « les principes sont excellents » . Sa vision culturelle est essentiellement européocentriste. Ainsi, si elle défend le droit d’expression et les libertés confessionnelles, la LDH prône essentiellement les valeurs laïques de la France et regrette le manque d’effort de la métropole en matière d’enseignement. Le vocabulaire reflète les contradictions et ambiguïtés, elle emploie les termes de « territoires lointains » et « d’outre-mer » et évite celui de « colonies ».
L’engagement
L’insurrection, déclenchée le 1er novembre 1954, prend la LDH à contre-pied. Elle est engagée dans le combat contre le réarmement allemand et, pour l’ essentiel, est en plein accord avec le gouvernement de Pierre Mendès-France, ligueur depuis les années vingt, qui vient de mettre fin à la guerre d’Indochine qu’elle n’a cessé de combattre. Ses premiers communiqués marquent un embarras: elle accepte le rétablissement de l’ordre et condamne les appels à la guerre sainte, relayés par la Ligue arabe, mais recommande la modération, exige des réformes, plus de justice sociale et l’application du statut de l’Algérie voté en 1947. En janvier 1955,elle commence une campagne contre les brutalités policières et les tortures à laquelle le ministre de l’Intérieur François Mitterrand, répond favorablement. Courant 1955, les « événements d’Algérie » prennent la dimension d’une guerre. Le gouvernement Edgar Faure proclame l’état d’urgence que la Ligue condamne. C’est encore le temps des ambiguïté, la Ligue parle toujours de « départements français » en mai 1955, mais les divergences commencent à se faire jour alors que Paul Rivet, membre du Comité central et ligueur historique, signe des pétitions d’intellectuels en faveur de l’Algérie française. Il invite, en vain, la Ligue a soutenir le gouverneur général Jacques Soustelle. Le rêve assimilationniste n’est pas mort et certains laïques craignent en outre le développement de l’influence islamique en Algérie.
Le soulèvement du Constantinois en août fait basculer la Ligue qui rompt avec les partisans de l’ Algérie française. Hostile au rappel des réservistes, mais prudente sur leurs manifestations spontanées, elle espère un changement de politique et prend position pour un apparentement de toute la gauche. Après la victoire du Front républicain, le Comité central appelle le 19 janvier 1956 au rétablissement de la paix, à des négociations avec les nationalistes, sans faire des élections libres un préalable, et envisage même la possibilité de l’indépendance : « Quant au régime politique, point de veto préalable, même à l’autonomie ou à l’indépendance si elle est voulue par le peuple algérien Iuimême».
En quelques mois, la Ligue se démarque nettement du gouvernement Guy Mollet. Elle n’a certes pas dénoncé les pouvoirs spéciaux mais appelle à « substituer la négociation à la guerre », puis après avoir demandé que la répression ne soit pas à sens unique et s’exerce contre les colonialistes et les factieux, elle entame une campagne vigoureuse et continue contre les exécutions, les tortures et toutes les autres exactions. Sans jamais approuver le FLN.
Au cœur d’une « nouvelle résistance »
L’engagement précoce de la Ligue fait d’elle le lieu de rassemblement d’une partie de la gauche traditionnelle et des mouvements spécifiques qui se fondent pour lutter contre la guerre d’ Algérie.
Une fraction de la gauche dissidente, décidée à lutter pour la préservation de ses valeurs, prend l’habitude de se rassembler rue JeanDolent autour d’Émile Kahn. Minoritaires socialistes opposés à la politique algérienne de Guy Mollet, comme Daniel Mayer, Henri Noguères ou Robert Verdier, démocrates, comme Pierre Mendès-France, et intellectuels y retrouvent ou trouvent un foyer d’accueil et de dialogue. Plus encore, la ligue devient un point de rencontre des associations comme le Comité Audin qui mènent le combat quotidien contre les tortures pour aboutir à la paix et pour faire la vérité sur la guerre. La Ligue contribue ainsi, avec le Centre de Landi, à la diffusion de Témoignages et documents qui publie les textes interdits par la censure, à celle de La Question ou de La Gangrène, etc. Les événements de mai 1958 et le retour au pouvoir du général de Gaulle, qui s’apparente à un coup d’Etat légalisé, confirment les craintes de la Ligue sur les menaces pour les libertés publiques et pour l’enlisement de la guerre d’Algérie, ainsi relancée pour près de quatre ans. Tout en poursuivant ses activités contre la guerre avec les autres associations, Daniel Mayer en lançant l’Union des forces démocratiques avec le secrétaire général du SNI, contribue à la préservation de la gauche démocratique indépendante du nouveau régime.
La voie est désormais tracée, la Ligue n’en changera pas. Rappelons par ailleurs pour être moins incomplet l’activité des avocats ligueurs qui prirent activement la défense des nationalistes algériens et des Français. L’affaire Yveton, seul Français exécuté, est aujourd’hui connue, mais ne cache-t-elle pas encore l’activité frénétique de la guillotine contre les musulmans dans ces années ? Sans parler de la torture. Yves Dechèzelles, Yves Jouffa, Jacoby, Gisèle Halimi, pour ne citer qu’eux, se sont illustrés dans ce combat, comme Pierre Stibbe ou le collectif d’avocats du FLN. Tout en se différenciant de ces derniers en prenant la défense de tous les persécutés, quelle que soit leur tendance, et en privilégiant la défense des accusés et non celle de la cause, refusant de mettre en danger leurs clients pour des coups médiatiques.
Gilles Morin