Communiqué LDH
Paris, le 21 juillet 2010
Roms/Gens du voyage : boucs émissaires des carences de l’Etat
Suite aux violences intervenues à Saint-Aignan (Loir-et-Cher), et au lieu de réaffirmer la nécessaire primauté de la justice pour instruire ce dramatique fait divers et les inexcusables dégradations qui s’en sont suivies, le président de la République a choisi la stigmatisation raciste des populations Roms et Gens du voyage par des amalgames inacceptables, en annonçant l’expulsion, ciblée ethniquement, de tous les campements en situation irrégulière. De telles annonces, si elles étaient suivies d’effet, ne feraient qu’envenimer les choses en renforçant des préjugés séculaires.
Plus de dix ans après l’adoption d’une loi imposant aux communes la réalisation d’aires d’accueil et de stationnement pour les Gens du voyage, à peine la moitié des places prévues sur toute la France sont aujourd’hui ouvertes. Les personnes vivant en caravane sont contraintes de s’installer là où elles le peuvent, faute de possibilités régulières. Les premiers responsables de cette situation tendue sont ceux des maires qui ne respectent pas leurs obligations légales, sans que les préfets ne les y contraignent, comme la loi le prévoit. L’injustice serait patente de sanctionner aveuglement les victimes de ces carences de l’Etat et des collectivités territoriales, sans offrir de perspectives d’accueil.
A la différence de tous les autres français, une loi discriminatoire de 1969 impose toujours aux personnes vivant en caravane un contrôle policier régulier, avec l’obligation de carnets de circulation à faire viser tous les trois mois au commissariat ou en gendarmerie. Ainsi sous surveillance constante, avec une liberté de circulation en France sous contrainte, incapables de s’arrêter là où ils le souhaitent, exclus en pratique du droit de vote du fait d’un délai dérogatoire de trois ans pour s’inscrire, ces « Gens du voyage » peuvent légitimement être défiants envers des pouvoirs publics qui les traitent en citoyens de seconde classe.
L’amalgame avec les Roms présents en France qui sont essentiellement venus de Roumanie et de Bulgarie, confirme l’ethnicisation de l’action publique du gouvernement. Ces ressortissants européens, libres de circuler au sein de tous les pays de l’Union, sont frappés, du fait de la décision du gouvernement français, de mesures transitoires qui les excluent en pratique du marché de l’emploi. Faute de pouvoir travailler légalement et d’avoir des ressources régulières, ils ne peuvent louer un appartement. Des bidonvilles sont ainsi réapparus aux périphéries des grandes villes, témoignant du manque criant de logements en France particulièrement ceux accessibles aux plus faibles revenus. Expulser ces personnes des terrains qu’elles occupent sans solution alternative ne fait que déplacer le problème et accroître la précarité. Là encore, les Roms ne sauraient être les victimes de l’incurie de l’Etat, qui refuse d’imposer aux communes leur obligation légale de réaliser 20 % de logements sociaux et les hébergements d’urgence nécessaires sur leur territoire.
Les rapports officiels se succèdent pour dénoncer la situation des Roms et des Gens du voyage en France (CNCDH 2008, Halde 2009, Ecri /Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe 2010…). Plutôt que d’en faire des boucs émissaires et d’exacerber les passions, le gouvernement se devrait de suivre enfin les recommandations qui lui sont faites pour affirmer l’égalité des droits.
Communiqué du Collectif national droits de l’Homme Romeurope
Paris, le 22 juillet 2010
Roms : N’inversons pas les responsabilités !
Le Collectif Romeurope exprime ses plus vives inquiétudes suite aux déclarations du Président de la République après les événements dramatiques intervenus à Saint Aignan (Loir-et-Cher) et dénonce l’amalgame fait entre les Gens du voyage et les Roms et la stigmatisation de ces deux populations.
Alors que le Gens du voyage sont des Français qui ont la particularité de vivre en caravane et d’être itinérants toute ou partie de l’année, les quelques 15 000 Roms présents en France sont essentiellement venus de Roumanie et de Bulgarie, citoyens européens bénéficiant de la liberté de circulation en France.
Mais le Gouvernement français a imposé, au moment de l’entrée en 2007 de la Roumanie et de la Bulgarie au sein de l’Union européenne, des mesures transitoires qui excluent en pratique les ressortissants de ces deux pays du marché de l’emploi et des prestations sociales. Ne pouvant travailler légalement ni avoir des ressources régulières, ils sont contraints de vivre dans de véritables bidonvilles ou abris précaires.
Depuis le début de l’été, les expulsions de familles Roms de leurs lieux de vie se multiplient partout en France, dernièrement à Saint Denis ou encore à Dunkerque, avec pour seules alternatives une nouvelle errance ou une aide au retour au pays d’origine. Ces éloignements « volontaires » aident à gonfler les statistiques du Ministère de l’Immigration artificiellement car nombre de ces « expulsés » peuvent – fort heureusement- revenir en France dans les semaines qui suivent. Ces familles sont ainsi, en fait, seulement déplacées d’une commune à une autre, dans une précarité croissante.
Abroger ces mesures transitoires pour ces citoyens européens et leur permettre un libre accès à l’emploi, mobiliser les dispositifs existants de droit commun pour les accompagner dans leurs projets de vie, et mettre en œuvre le droit à un habitat digne pour tous par la construction massive de logements accessibles pour répondre à la crise du logement, seraient une meilleure réponse que d’en faire les boucs émissaires d’une politique sécuritaire inefficace.
Qu’il s’agisse des Gens du voyage ou des Roms, il est urgent que le gouvernement cesse de confondre des situations et des actes avec les origines des personnes concernées.
Gens du voyage : les amalgames du gouvernement
Les violences survenues à Saint-Aignan (Loir-et-Cher) après la mort d’un membre de la communauté des gens du voyage ont amené Nicolas Sarkozy, mercredi 21 juillet, à annoncer la tenue d’une réunion le 28 juillet à l’Elysée sur les « problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms ». Le président de la République a précisé que cette réunion « fera le point sur la situation de tous les départements et décidera des expulsions de tous les campements en situation irrégulière ».
De nombreuses associations s’en sont aussitôt indignées : « Il ne faut pas faire une réunion pour stigmatiser une ethnie » car « cela donne l’impression que tous les gens du voyage et tous les Roms sont des criminels et des délinquants », a réagi la Ligue des droits de l’Homme.
Le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, a d’ailleurs pris soin de préciser que le chef de l’Etat « ne cherche pas à stigmatiser une communauté mais à répondre à une problématique », sans toutefois évacuer les approximations : « On a beau être rom, gens du voyage, parfois même français au sein de cette communauté, eh bien on doit respecter les lois de la République. »
- Saint-Aignan : un problème de droit commun ?
Sans commenter directement l’annonce faite par Nicolas Sarkozy, le sénateur UMP Pierre Hérisson, président de la commission nationale consultative des gens du voyage et auteur en 2008 d’un rapport sur leur stationnement, redoute que « l’accident de Saint-Aignan » ne suscite « des amalgames ». Pour lui, « ce qui s’est passé à Saint-Aignan relève du droit commun. Ce n’est pas un problème lié aux gens du voyage ».
D’autant que le maire de Saint-Aignan, Jean-Michel Dillon (divers droite), confirme que la famille de la victime appartenait certes à la communauté des gens du voyage, mais vivait sédentarisée dans des logements « en dur » depuis deux générations.
- Roms et gens du voyage : deux communautés distinctes
Le sénateur de la Haute-Savoie rappelle en outre que les Roms ne peuvent en aucun cas être considérés comme des gens du voyage. Bien que mises côte à côte dans la même phrase par Nicolas Sarkozy, ces deux communautés n’ont ni la même histoire ni le même statut juridique, et n’entretiennent aucune relation. « On a d’un côté les Roms, qui sont des citoyens étrangers de l’Union européenne [principalement de Roumanie et de Bulgarie], et de l’autre les gens du voyage, qui sont des Français à part entière, et depuis plus longtemps que les Bretons et les Savoyards », détaille Stéphane Lévêque, directeur de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat).
M. Lévêque dit « ne pas bien comprendre » ce qu’envisage réellement le chef de l’Etat en annonçant « les expulsions de tous les campements en situation irrégulière » : « S’il parle des bidonvilles occupés par des migrants roms en situation d’extrême précarité, cela ne ferait qu’amplifier leurs difficultés et celles des collectivités. S’il parle des gens du voyage, il faut alors rappeler que le dispositif d’accueil n’est pas suffisant. »
- Des aires d’accueil obligatoires dans les communes de plus de 5 000 habitants
L’accueil des gens du voyage est encadré par la loi « Besson » du 5 juillet 2000, qui prévoit l’élaboration, dans chaque département, d’un schéma déterminant les secteurs géographiques et les communes où doivent être implantées les aires permanentes d’accueil. La loi précise que toutes les communes de plus de 5 000 habitants doivent faire partie de ce schéma départemental, et donc comporter une aire d’accueil.
Selon M. Lévêque, moins de 50 % des places prévues par ces schémas avaient été effectivement réalisées fin 2008. « On est parti de zéro en 2000, et il y a actuellement vingt-quatre mille terrains en France », tempère Pierre Hérisson, estimant que cette loi a posé les bases « pour traiter un problème alors considéré comme une patate chaude ».
- Les « grands passages », sources de conflits avec les collectivités locales
Mais pour le sénateur, ces aires d’accueil familiales, qui comptent souvent une trentaine de places et qui s’adressent à des populations très ancrées localement, relèvent davantage d’une « politique de logement social adapté » que d’une problématique spécifique aux gens du voyage. Les grands rassemblements, à l’occasion par exemple de pèlerinages religieux estivaux, sont en revanche à l’origine de fréquents conflits avec les collectivités locales, comme dernièrement à Dole, à Vesoul, à Agde, ou encore dans le Pas-de-Calais.
C’est l’Etat qui a la charge d’organiser l’accueil des gens du voyage lors de ces rassemblements. Quelques « aires de grand rassemblement », dans le Sud-Ouest et dans l’Est, peuvent accueillir jusqu’à vingt-cinq mille caravanes. La loi prévoit également des « aires de grand passage » (deux cents à deux cent quarante caravanes). Une circulaire du ministère de l’intérieur (PDF) du 13 avril recommande aux préfets d’aménager « au moins deux aires de grand passage par département » et détermine les conditions d’accueil (caractéristiques du terrain, désignation de référents responsables chez les gens du voyage…)
« C’est la première année que c’est organisé, et cela se passe donc tant bien que mal, avec plus ou moins de bonheur », reconnaît M. Hérisson. Il précise que le Var, l’Hérault, la Savoie, la Haute-Savoie et l’Ain sont les départements « les plus prisés » par les organisateurs de ces grands passages et qu’« une seule organisation – Vie et Lumière, une mission évangélique des Tsiganes de France – est à l’origine de 95 % des grands passages ».
Lecture
La France contre ses Tsiganes
Comme chaque année, les pouvoirs publics attendent la fin de l’année scolaire pour expulser les tsiganes. Emmanuel Filhol montre comment cette politique de discrimination, qui contredit les principes de la République, s’est lentement mise en place, avant de se durcir au XXe siècle.
La suite : http://www.laviedesidees.fr/La-France-contre-ses-Tsiganes.html.