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Un “kwassa kwassa”, embarcation d'immigrants illégaux, au large de Mayotte, en octobre 2009. (Photo AFP)

La LDH dénonce la “situation dégradante” à Mayotte

Le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) interpelle les ministres de l’Intérieur et des Outre-mer sur la situation à Mayotte, département de l’océan indien marqué par des naufrages en série de bateaux transportant des clandestins. Située à 70 km d’Anjouan, la plus proche des îles comoriennes, Mayotte a été en 2012 le théâtre d’au moins six naufrages de barques à moteur appelées «kwassa-kwassa», dans lesquels plus de 30 personnes sont mortes et plus de 60 portées disparues. Déplorant une succession «d’informations funèbres», la LDH souligne l’intervention «sans précédent» du porte-parole du Haut Commissariat de Nations unies aux réfugiés (HCR), Adrian Edwards, le 9 octobre lors d’une conférence de presse, au lendemain d’un nouveau naufrage.
Un “kwassa kwassa”, embarcation d'immigrants illégaux, au large de Mayotte, en octobre 2009. (Photo AFP)
Un “kwassa kwassa”, embarcation d’immigrants illégaux, au large de Mayotte, en octobre 2009. (Photo AFP)

Lettre ouverte

Monsieur le Ministre de l’Intérieur,

Monsieur le Ministre des Outre-Mer,

A Mayotte, les informations funèbres se succèdent et se ressemblent : 16 juillet, 7 morts dont 4 enfants ; 16 août, décès d’un nourrisson au CRA après interception d’un kwassa ; le 8 septembre, 6 morts et 26 disparus ; le 8 octobre, 3 morts et 13 disparus dans un naufrage… Devant une telle accumulation, le porte-parole du Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) a réagi lors d’une conférence de presse à Genève, en constatant que ce deuxième naufrage de kwassa porte à 109 le nombre de victimes en un mois, dont 69 décès par noyade lors de naufrages au large des côtes de Mayotte pour 2012. Une telle intervention est sans précédent.

C’est que pour le HCR « ce naufrage rappelle les risques encourus par des personnes désespérées qui fuient la pauvreté, les conflits et la persécution. Comme en Méditerranée et dans le golfe d’Aden, la mer entourant les îles de Mayotte est le théâtre de traversées clandestines entreprises par des migrants et des réfugiés en quête de vie meilleure ou de protection ». Et de rappeler que l’année dernière, parmi ces pauvres à la recherche d’un endroit pour vivre, environ 1 200 demandes d’asile ont été déposées à Mayotte, soit 41 % de plus qu’en 2010, 90 % des demandeurs d’asile étant originaires des Comores.

Pourtant l’espoir existait d’un changement de politique, suscité par le rapport des sénateurs M. Sueur, M. Cointat et M. Deplan, en juillet dernier, qui proposaient entre autre une modification du visa dit « Balladur », dont l’effet sur les dangereux embarquements clandestins est avéré. Mais cet espoir a été contredit quelques mois plus tard par les déclarations de M. Christnacht, avant même qu’il ait déposé son rapport d’expertise. Il semble, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Monsieur le Ministre des Outre-Mer, que vous ayez fait vôtre son seul point de vue et n’ayez accordé aucun crédit au rapport des sénateurs.

Les naufrages vont donc continuer et les victimes s’ajouter aux victimes, puisque contrairement à ce que semble avoir perçu M. Christnacht, il s’agit de survie pour certains de ces migrants, ou pour d’autres de coutume ancrée dans des rapports anciens de géographie et de culture.

Ce faisant, le gouvernement va maintenir Mayotte dans une situation où ne règne pas la loi commune de la République et les droits, un lieu où les pratiques sont dérogatoires. Il en découle que les mesures adoptées par votre gouvernement – telle la circulaire sur l’interdiction de retenir des familles dans les CRA et la fin du délit de solidarité – n’y seront pas appliquées.

La Ligue des droits de l’Homme, qui a comme responsabilité politique et morale de défendre l’effectivité des droits, ne peut se satisfaire de l’existence de parcelles de la République où ne s’applique pas le droit commun. Plus largement, nous refusons cette contradiction insupportable qui consisterait pour la France à défendre l’universalité des droits partout dans le monde, sauf dans certaines zones d’exception aux conséquences mortelles sur son propre territoire.

Nous souhaitons, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Monsieur le Ministre des Outre-Mer, que vous preniez la mesure d’une situation aussi singulière, aussi dégradante pour notre pays, et que vous acceptiez l’hypothèse qu’elle ne relève en rien d’une quelconque fatalité ou d’un effet des risques encourus par toute personne qui « prend la mer ». C’est pourquoi nous vous demandons la mise en place de solutions respectueuses de la légitimité républicaine et des droits des personnes. Ces solutions existent et les organisations et associations de défense de tous les droits seraient à même de vous en exposer les logiques, pour peu que vous acceptiez de les entendre.

Cette lettre sera rendue publique le vendredi 19 octobre 2012.

Veuillez croire, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Monsieur le Ministre des Outre-Mer, en ma haute considération.

Pierre Tartakowsky

Président de la Ligue des droits de l’Homme

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