Communiqué LDH
Après la « racaille », les « sous-hommes »
Une fois de plus, le président de la Région Languedoc-Roussillon Georges Frêche a tenu en public des propos scandaleux. La Ligue des droits de l’Homme s’indigne de ce que, lors d’un rassemblement organisé par lui samedi 11 février devant la Maison des rapatriés de Montpellier, où il a regretté la suppression de l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui soulignait le “ rôle positif ” de la colonisation, et vanté longuement les bienfaits de celle-ci, il s’en est pris violemment à un représentant d’une association de harkis.
Selon la presse, Georges Frêche a tenu les propos suivants : « Vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus jusqu’à la fin des temps […] Vous êtes des sous-hommes ! Vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur ! » ; « les harkis se sont fait égorger comme des porcs ».
Étant donnée l’appartenance politique de Georges Frêche et la présence du député PS du Pas-de-Calais Jack Lang à ce rassemblement, la Ligue des droits de l’Homme attend du Parti socialiste une condamnation claire de ces propos.
Paris, le 13 février 2006
« Nous voulons que le PS prenne une position officielle »
par Gilles Manceron,
vice-président de la Ligue des droits de l’Homme
- Peut-on trouver une explication aux propos de Georges Frêche ? Selon vous, est-ce simplement du racisme comme le soutient le MRAP ? N’y a-t-il pas une méconnaissance de l’histoire des harkis ?
Il y a bien sûr une méconnaissance de l’histoire. Il y a certainement aussi une motivation électoraliste à courte vue mais c’est vrai que Georges Frêche montre ici qu’il connaît mal l’histoire des harkis. Les harkis ont été pris dans le tourbillon de l’histoire, pris de tous les côtés, entre les demandes de soutien dans les maquis et dans l’armée. C’est véritablement le drame des paysans algériens, car c’était bien eux les premiers concernés. Les taxer d’être des traîtres, des collaborateurs calqués sur le modèle français comme le fait le président Bouteflika, n’a pas de sens. Ils n’avaient pas de parti politique, ils étaient peu scolarisés, voire illettrés.
Et cette idée que les harkis sont des traîtres est largement répandue en Algérie, en France et même à gauche.
La LDH n’envisage pas de porter l’affaire devant les tribunaux comme le fait le MRAP. Nous avons décidé de publier un communiqué pour interpeller le PS afin qu’il condamne les propos de Georges Frêche, qui est tout de même président de région. D’autant que Jack Lang était présent et qu’il a dit qu’il n’avait pas entendu. C’est pour cela que nous voulons que le PS prenne une position officielle
- Le tollé provoqué par ces déclarations relance le vieux débat sur les harkis. Selon vous, comment mettre fin à cette situation floue, à cette méconnaissance ?
Avec un certain nombre de partenaires, nous organisons un colloque le 4 mars sur les harkis dans l’histoire de la colonisation.
Il s’agit de restituer la complexité de l’Algérie rurale de l’époque, de comprendre tout ce qui a pu conduire à des décisions contradictoires. Il faut que l’Algérie reconnaisse une histoire dont les gens n’ont souvent pas conscience. Il faut casser beaucoup de représentations complètement fausses. Il faut surtout reconnaître la complexité de cette histoire: comprendre la responsabilité de la France et les promesses qu’elle n’a pas tenues, comprendre les traitements discriminatoires qu’ils ont subi à leur arrivée. Ce sont ces mêmes discriminations de type colonial que l’on retrouve aujourd’hui.
- Aujourd’hui, quelle est la situation de la communauté harkie en France ? Et en Algérie, comment sont-ils perçus ? L’opinion de Bouteflika est-elle majoritaire ?
La communauté harkie est encore sous le coup des discriminations prises contre elle à son arrivée. Aujourd’hui, les petits-enfants vivent dans des cités proches des anciens camps de harkis. Ces cités sont comme les lègues des camps d’origine. La communauté est toujours marginalisée, toujours stigmatisée, toujours vue de façon simpliste comme des traîtres. Aujourd’hui, ils souffrent d’une double stigmatisation puisqu’en plus ils portent des noms d’origine maghrébine. C’est une situation très délicate.
En ce qui concerne le point de vue de Bouteflika, il est souvent partagé car il arrange les Algériens. Tous les harkis ne sont pas partis à la fin de la guerre. Il y avait beaucoup de situations difficiles internes à la société algérienne. De ces problèmes-là, ils n’en parlent pas trop, et au contraire, ils stigmatisent les harkis partis en France pour externaliser ce problème qui est au cœur des préoccupations de la guerre. Aujourd’hui, quand des gamins algériens se disputent, le mot « harki » revient souvent. La société algérienne a donc du travail à faire pour que les anciens harkis puissent circuler librement en Algérie, être enterrés en Algérie…
Propos recueillis par François Sionneau
(le lundi 13 février 2005)1
Les réactions au PS
Le PS demande timidement des explications
[Liberation.fr – lundi 13 février 2006 15:23]
Le PS a invité à demi-mot le président de la région Languedoc-Roussillon à faire une mise au point sur ses déclarations de samedi mettant en cause des harkis, tout en insistant sur «le contexte ».
« Les propos de Georges Frêche, si je les ai bien entendus, me semblent à remettre dans un contexte local. Nous connaissons Georges Frêche, nous savons ce qu’il est, ce qu’il représente et nous pensons que si jamais il y a ambiguïté, méprise sur les propos qu’il a tenus, c’est à lui d’en préciser le sens et d’expliquer ses propos», a déclaré le secrétaire national Bruno Le Roux au cours d’un point de presse. «Je ne peux pas penser que ces propos sont conformes à sa pensée», a indiqué ensuite le porte-parole.
Bruno Le Roux a d’autre part pris ses distances avec la prise de position renouvelée de Georges Frêche favorable à la mention par l’article 4 de la loi du 23 février 2005 du «rôle positif de la présence française outre-mer». «Notre position, c’était le retrait de l’article 4. Donc, nous ne pouvons pas afficher de solidarité avec ceux qui regrettent que l’article 4 ait été abrogé», a déclaré le député de Seine-Saint-Denis.
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A l’exception de Fabius, tous ont trouvé des mauvaises raisons de ne pas le condamner
[Didier HASSOUX, Libération, mardi 14 février 2006]
Touche pas à mon Frêche ! Hormis Laurent Fabius, les présidentiables socialistes trouvent toutes les mauvaises excuses du monde pour ne pas condamner fermement les derniers excès de Georges Frêche. C’est que l’homme pèse son poids : 5 000 cartes à lui tout seul dans la fédération PS de l’Hérault (la quatrième de France). Et des militants qui votent presque comme un seul homme, c’est-à-dire comme leur chef. Ce qui lui vaut, malgré ses outrances à répétition, d’être très courtisé en vue des primaires internes du PS, programmées en novembre.
Cautionner. A commencer par Jack Lang. Samedi, à Montpellier, le député du Pas-de-Calais était venu pour un Salon de l’étudiant. Il s’est trouvé embarqué à déposer une gerbe et à cautionner, malgré lui, des propos qu’il dit «ne pas avoir entendus» (Libération d’hier). L’ancien ministre de l’Education met les propos de Frêche sur le compte d’une simple «polémique locale». Exactement ce qu’affirme Bruno Le Roux au nom de la direction du PS : «Remettons les choses dans le contexte de politique locale !» Le secrétaire national aux fédérations a tout de même assuré que le parti demanderait quelques «explications» au «leader maximo» montpelliérain. C’est tout. C’est que Le Roux et son ami le premier secrétaire du PS, François Hollande, savent ce qu’ils doivent à Frêche : leur maintien à la tête du PS. En attendant, pour Hollande, une éventuelle désignation comme candidat en 2007.
Manque de pot : Frêche semble avoir le coeur qui penche pour l’instant du côté de DSK. Mardi dernier, il faisait partie de la centaine d’invités du député du Val-d’Oise à son raout de candidat. Il n’a pas pris la parole, mais tout le monde a remarqué sa présence. Strauss-Kahn lui avait fait savoir qu’il serait le bienvenu. Au lendemain du nouveau dérapage de Frêche, l’entourage de DSK se contente de rappeler que ce dernier a été le principal initiateur de l’appel en faveur de l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui reconnaissait «le rôle positif de la présence française outre-mer». Favorable à cette réhabilitation du colonialisme, Frêche aurait répondu : «Dominique est le meilleur économiste de France. Et la France en a besoin. Le reste je m’en fous.»
«Choqué». En revanche, il estime que ni la France ni le PS n’ont besoin de Laurent Fabius. Qui le lui rend bien, via son bras droit Claude Bartolone. Le député de Seine-Saint-Denis juge les propos de Frêche «honteux», «inacceptables pour un socialiste». Et il demande au parti de «s’en démarquer». Arnaud Montebourg va plus loin, «demandant au PS de s’interroger sur la solidarité avec Frêche». «Profondément choqué», Jean-Marc Ayrault exige, lui, que «Frêche s’excuse» auprès des harkis. Sinon ?
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à Montpellier : silence radio
[Pierre Daum, Libération, mardi 14 février 2006]
Sur les ondes socialistes languedociennes, le silence radio est de rigueur. Robert Navarro, premier secrétaire de la fédération de l’Hérault, est «injoignable», et la militante de permanence s’étonne même que l’on puisse la déranger : «Qu’est-ce que cela a à voir avec le PS ?» André Vézinhet, sénateur et président du conseil général de l’Hérault, refuse de parler. Il s’est contenté d’un communiqué dans lequel il exprime avec vigueur son indignation… sans préciser contre qui il s’indigne. «Ici, confie un élu socialiste sous couvert d’anonymat, personne n’ose lever le petit doigt contre Frêche. Toute contestation est immédiatement traduite devant les tribunaux internes du parti». Personne ? Pas tout à fait. Devant l’«énormité» des propos tenus par le président de région, le Biterrois Jean-Michel Duplaa, conseiller général, proche d’Arnaud Montebourg, ose critiquer son chef: «Les mots employés par Georges Frêche renvoient à une période sombre de l’Histoire de France, et sont inacceptables».
Parmi les alliés de Frêche au conseil régional, les communistes (9 élus) ont «condamné» les propos. Mais les plus courageux restent les Verts (8 élus) : «Dans ses premiers dérapages, confie Maryse Arditi, vice-présidente du conseil, à Libération, on ne disait rien. Mais là, il a à nouveau pété les plombs, et nous reprenons notre totale liberté de parole.»