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La guerre d’Algérie vue par les Algériens, de Benjamin Stora & Renaud de Rochebrune

Les deux auteurs précisent d’emblée, dans une note de la quatrième de couverture, l’ambition de leur livre : «rapporter, à partir de toutes les sources possibles, un récit, lisible par tous, de cette guerre telle qu'elle a été vue, vécue et relatée par les Algériens, et en premier lieu par les militants et combattants indépendantistes. Comme l'aurait fait, en historien, un hypothétique envoyé spécial français de l'autre côté de la “ligne de front” pendant le conflit. » Ils poursuivent : «Ce changement de perspective permet de jeter un regard neuf sur ce qu'on appelle généralement, du côté algérien, la guerre d'indépendance, la guerre de libération nationale ou la Révolution. Qu'il s'agisse des dates essentielles, du nombre des victimes, du déroulement des batailles, du comportement des populations civiles, des rapports entre Européens et Algériens, de l'utilisation de la violence ou de la torture, des objectifs de la lutte ou, bien sûr, des “héros”, tous les aspects du conflit, et notamment les plus tragiques, prennent un jour totalement différent.» Ci-dessous la présentation de cet ouvrage publiée dans le Magazine de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, le 26 mars 2012.

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Renaud de Rochebrune & Benjamin Stora

La Guerre d’Algérie vue par les Algériens

1. Le Temps des armes (Des origines à la bataille d’Alger)


Préface de Mohammed Harbi


Paris, Denoël, 13 octobre 2011, 448 p., 23.85 euros.

Compte-rendu de Mustapha Harzoune1

Disons le d’entrée, le livre ne renouvelle par la recherche et les savoirs sur l’histoire de la Guerre d’Algérie. Il offre l’occasion de remettre en perspective cette guerre non pas depuis 1954 mais depuis l’irruption de l’armada française sur la terre algérienne jusqu’en 1957, année où se termine ce premier tome. Nos deux auteurs montrent que l’opposition algérienne à la conquête, puis au colonialisme et enfin la revendication d’indépendance, n’a jamais cessé. C’est peut-être le premier enseignement de ce livre : la présence étrangère sur cette terre fut toujours perçue, de manière plus ou moins tranchante, comme illégitime.

Rochebrune et Stora se sont faufilés du côté algérien, dans les caches, dans les maquis, dans les réunions clandestines où ils ont écouté des hommes de l’ombre et perçu les enjeux et les rivalités. Cinq chapitres rythment ce récit en autant de dates charnières : l’attaque en 1949 de la poste d’Oran2, le 1er novembre 1954, le 20 août 1955 et l’insurrection dans le Constantinois, août 1956 et le Congrès de la Soummam et enfin la bataille d’Alger en 1957. Lorsque l’on parle de cette guerre, on ne parle pas de la même histoire, en France et en Algérie. Et la liste est longue des ignorances réciproques et parfois partagées.

« L’art français de la guerre »

Ainsi, connaît-on en France les horreurs commises en Algérie au nom de la mission civilisatrice par les troupes de Bugeaud ? Sait-on combien de morts sont à mettre au crédit de ce que les Algériens appelèrent la « syphilisation » ? Entre les années 1830 et 1870, il y eut entre un et trois millions de morts selon les sources, soit entre un tiers et les deux tiers de la population globale, suivant là encore des estimations.

Sait-on que ces « indigènes » s’opposèrent continuellement au régime colonial et militèrent, les armes à la main puis politiquement pour que les choses changent. En vain. Toujours en vain…

Sait-on en France que des Algériens avaient pris le maquis dès 1945 ? Que la torture était pratiquée bien avant la bataille d’Alger ? Que des Algériens ont été liquidés, à Paris, bien avant le 17 octobre 1961 ?

Sait-on aussi que la première revendication officielle d’indépendance remonte à 1927 ?

Sait-on la responsabilité des « civils européens » et de quelques officiels dans le déclenchement des émeutes du 8 mai 1945 (voir le livre de Jean Pierre Peyroulou, Guelma, 1945. Une subversion française dans l’Algérie coloniale, préface de Marc Olivier Baruch, éd. La Découverte, 20093) ? On peut ignorer le nombre de victimes algériennes de la « répression » – de 15 000 à 35 000 morts selon les historiens, 45 000 pour le FLN – mais sait-on que cela se fit au prix de sauvageries, de bombardements aveugles, de villages passés à la mitrailleuse, de « charniers remplis à ras bord« , de corps brûlés dans des fours à chaux, et tout cela, avec pour toile de fond, un peuple en liesse qui fêtait la victoire sur la barbarie nazie !? Les Algériens ont-ils tort d’évoquer ici la qualification de « crimes contre l’humanité » ?

Sait-on que la guerre d’Algérie aurait pu commencer dès 1949 ? Sait-on que les consignes données aux militants du 1er novembre 1954 interdisaient l’usage de la violence contre les civils européens (voir page 97 les circonstances rapportées sur la mort des époux Monnerot) ?

Qui connaît en France Ahmed Zahana ? La place que tiendra son exécution, guillotiné le 19 juin 1956, dans le déclenchement de la bataille d’Alger4 ? Quid d’Abane Ramdane ? De Ben M’hidi (assassiné sur ordre par le commandant Aussaresses – lire le roman de Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme, Actes Sud 2010 )?

Sait-on que la première bombe à Alger qui vise aveuglément des civils innocents explosa rue de Thèbes en aout 1956 et est l’œuvre des ultras de l’Algérie française ? Que les auteurs étaient connus et qu’ils n’ont jamais été inquiétés ? Se doute-t-on, ici, que le « contre-terrorisme » a pu précéder les « terroristes« 5 ? Qui connaît en France celui qui seul incarna l’honneur de son pays aux heures sombres où les soldats de la République torturaient : Paul Teitgen (lire, une fois de plus, les pages fortes que lui consacre Alexis Jenni, dans L’Art français de la guerre6, Gallimard, 2011) ?

Sait-on la part de l’intransigeance des ultras, les responsabilités des autorités dans l’inéluctabilité de la lutte armée ; et des monstruosités ? Se doute-t-on, en France, à quel point les responsables français, de la métropole et plus encore ceux d’Alger, ne comprirent rien à cette lutte algérienne, la renvoyant à un panarabisme piloté depuis le Caire ou à l’avant poste du communisme international ?

Sait on en France que dans l’Algérie de papa « à peine 15% des hommes et 6% des femmes parlent plus ou moins bien le français » ? Qu’il existait des « camps d’hébergement » que les Algériens appelaient « camps de concentration« , que des villages entiers étaient « nettoyés« , vidés de leurs populations (voir le récent Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence7, éd. Odile Jacob, 2012) ?

Se placer du côté algérien c’est déjà, en ces années 1945-1957, montrer la disproportion des méthodes utilisées, l’aveuglement et la surdité politiques, les horreurs infligées aux populations au nom de la « responsabilité collective » et la torture érigée en système d’un régime colonial devenu insurrectionnel, bafouant et défiant l’Etat de droit (il faut lire là aussi le récent livre de Claire Mauss-Copeaux intitulé Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres8, éd. Payot 2011) .

« Le paradis et l’enfer »

Mais cette « guerre d’Algérie vue pas les Algériens » révèlera ou rappellera au lecteur d’autres faits d’importance : sait-on, en Algérie cette fois, que le nationalisme algérien fut pluriel ? Qu’il fut traversé par moult conflits opposant réformistes et indépendantistes ; politiques et partisans de l’action armée, politiques et militaires ? Que ces oppositions se réglèrent souvent dans une « atmosphère de méfiance et de règlements de comptes » ? Il y eut certes le FLN, mais quid du MNA de Messali Hadj ? Quid des voix démocrates ? Quid des alternatives pluriculturelle et laïque portées aussi par des militants indépendantistes ? De ce point de vue, ce livre pointe aussi les absences et les amnésies de l’histoire officielle, algérienne cette fois.

C’est par la violence que les Algériens règleront leurs désaccords, et très tôt, avant même la création du FLN (voir par exemple la crise dite « berbériste » de 1949). Qu’en est-il alors de la violence exercée contre le peuple, contre les mous, les pacifistes et ceux qui ne partageaient pas la ligne dictée par le FLN ? Quelle place le peuple algérien tenait-il pour les cadres du FLN ? N’était-il qu’un simple pion que l’on pouvait exposer au moindre risque, voir sacrifier (en août 55, dans le nord-constantinois, ou en octobre 61 à Paris ) ? Que sait-on en Algérie des massacres de Ioun-Dagen (Bejaïa) en 1956 et de Melouza en 1957 ? Comment, entre étonnement, réserve, indifférence, hostilité, peur, adhésion, évolua l’attitude des populations algériennes ? Quid de la responsabilité de Zighout Youcef dans l’usage de la violence contre les civils ? Des règlements de compte ordonnés par Abane Ramdane contre les militants algériens du MNA ? Se doute-t-on en Algérie du service que les Français ont rendu en organisant, le 22 octobre 1956, le premier détournement d’avion de l’histoire, évitant ainsi au mouvement nationaliste sa première guerre des chefs ?

Comme l’écrit en préface Mohamed Harbi, « les Algériens en général, cultivent un rapport singulier à leur histoire. C’est à la fois leur paradis et leur enfer« , ce livre peut aider chacun à forger les outils indispensables pour non pas choisir entre le paradis ou l’enfer, mais mieux distinguer l’un de l’autre et en mesurer les enchevêtrements. Peut-être que ce livre contribuera à apaiser la guerre des mémoires en incitant les responsables politiques des deux pays à encourager l’écriture, par des historiens algériens et français, de cette page de l’histoire commune.

Mustapha Harzoune
  1. Source : http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2012/3/la-guerre-d-algerie-vue-par-les-algeriens-1le-temps-des-armes-des-origines-a-la-bataille-d-alger.

    Noter que toutes les notes de cet article ont été ajoutées par LDH-Toulon.
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