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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
la route Kaboul-Sarobi.

la guerre coloniale de l’Otan en Afghanistan

Nicolas Sarkozy a commencé son discours du 27 août 2008, devant les ambassadeurs français réunis à Paris, en évoquant l’Afghanistan : «La France combattra les terroristes, partout où ils se trouvent, avec la conviction que le peuple afghan, appuyé par ses alliés, l’emportera sur la barbarie et pourra progressivement y faire face par lui-même». Ce qu'il n'a pas dit, c’est que la guerre menée par l’OTAN depuis bientôt six ans a renforcé les talibans, au lieu de les affaiblir. Les bombardements aériens renforcent le rejet par la population de ce qu’ils considèrent comme une occupation étrangère. Et il ne s’agit pas de bavures, mais bien d’une logique de guerre coloniale.
la route Kaboul-Sarobi.
la route Kaboul-Sarobi.


Pour les Afghans, les forces de l’OTAN sont une armée d’occupation

par Gérard Fussman

professeur au Collège de France (Histoire du monde indien)

[Le Monde du 30 août 2008]

L’embuscade qui a coûté la vie à dix soldats français a rappelé aux Français que l’Afghanistan était toujours en guerre, sept ans après l’intervention des troupes américaines censées le libérer du joug des talibans, et qu’elles ont effectivement libéré de celui-ci.

L’embuscade a été tendue sur une route très fréquentée dans l’Antiquité. Depuis la construction de la route de Peshawar à Kaboul par Sarobi (le Zaroubi des dépêches d’agence) et les gorges du Tang-i Garu, c’est-à-dire depuis près d’un siècle, c’est une route de caravanes. Quand nos soldats y patrouillent, c’est pour protéger le flanc est de la grande base américaine de Begram, qui protège Kaboul et sur laquelle débouche cette route. Mais dire aux citoyens français quelle est la vraie mission de nos troupes à Özbin n’est pas inutile.

La patrouille a été surprise. Les commentateurs militaires nous disent que c’est faute de reconnaissance aérienne et qu’il faudrait des soldats des forces spéciales pour recueillir davantage d’informations. Mais il y a là de nombreux villages, peuplés de gens parlant pachaï ou/et pachto. Au bout de sept ans, sommes-nous si impopulaires que ceux-ci ne livrent aucun renseignement aux troupes venues les libérer ? La vallée d’Özbin est fort proche de la vallée du Panchir, fief du commandant Massoud, dont les héritiers spirituels sont au pouvoir à Kaboul. Même les Panchiris ne soutiennent plus les troupes de l’OTAN ?

La situation est-elle si désespérée qu’on ne puisse patrouiller sur cette route sans mettre en oeuvre une centaine d’hommes au moins et de nombreux blindés ?

La réalité est que les troupes de l’OTAN sont dans une situation pire que les troupes soviétiques. Les Soviétiques tenaient contre le monde entier. Le Pakistan, les pays du Golfe, l’Arabie saoudite, les Etats-Unis d’Amérique et, bien sûr, la France aidaient les « combattants de la liberté ». Les talibans, les héritiers de ces « combattants de la liberté » et parfois conduits par les mêmes chefs (Gulbuddin Hekmatyar), sont théoriquement seuls au monde, condamnés même par les Etats issus de la disparition de l’URSS et les Etats à majorité musulmane. Mais les troupes de l’OTAN ne contrôlent pas plus l’Afghanistan que ne le faisaient les Soviétiques.

La raison en est simple : elles se conduisent et sont perçues comme une armée d’occupation. Les images diffusées après l’embuscade d’Özbin rappellent à ma génération les images des combats en Algérie. A Kaboul, l’ambassade des Etats-Unis et quartier général des forces de l’OTAN est une forteresse protégée par de hauts murs, des sacs de terre, et en première ligne de la chair à canon : des soldats afghans armés d’une simple kalachnikov.

Quand une patrouille américaine en sort, les soldats sont en tenue de camouflage comme s’ils partaient en expédition dans la jungle. Mieux vaut ne pas suivre une de leurs voitures, et encore moins une voiture des « mercenaires civils » nombreux en Afghanistan : ils n’hésitent pas à tirer sans avertissement dès qu’ils se croient menacés.

Quant aux coopérants civils, ils ne sortent pas de leur quartier aux murs hérissés de barbelés. S’ils circulent en ville, c’est dans des 4 × 4 aux vitres teintées, blindés souvent, et hérissés d’antennes. Leur salaire est sans commune mesure avec le salaire d’un Afghan moyen et leur prétention vis-à-vis des Afghans qui travaillent avec eux incommensurable.

Comment veut-on que les Afghans ne se sentent pas dans un pays occupé ? Comment veut-on qu’ils ne se sentent pas plus proches des combattants qui vivent comme eux et qui meurent pour une foi qui est la leur que d’étrangers dont ils ne voient que les armes, les gilets pare-balles, les blindés et les bombardements ? Comment veut-on qu’ils se sentent proches d’un gouvernement théoriquement élu, en fait héritiers d’un commandant Massoud haï par les Hazaras et à Kaboul pour les massacres qu’il y a commis, haï par les Pachtounes parce qu’il n’était pas pachtoune et qu’à leurs yeux il a usurpé le pouvoir ?

Agir auprès des Américains

Ce n’est pas que la présence occidentale n’ait pas été bénéfique : réparation des routes, développement du commerce, ouverture de très nombreuses écoles (dont personne ne sait ce qu’on y enseigne), dévouement de médecins et de certaines ONG, une assez grande liberté d’expression, pourvu qu’on ne parle pas d’islam… Mais tout cela est effacé par la très grande pauvreté de la majeure partie de la population, que le pays, même en état de paix, serait incapable de nourrir, et par le sentiment d’être occupé par des étrangers.

Les troupes françaises en Afghanistan sont ce que jadis on appelait des troupes coloniales. Les Britanniques se sont installés à Maiwand : pure provocation dans un pays qui enseignait à tous ses enfants que la destruction d’une armée britannique à Maiwand en 1880 était la fierté de la nation afghane. Pire, ces occupants sont des non-musulmans, et manifestement aucun pays musulman ne s’est rangé à leurs côtés. Aucun n’a envoyé de troupes en Afghanistan pour soutenir les Etats-Unis, même ceux qui n’ont rien à leur refuser : Arabie saoudite, Jordanie, Egypte, Nigeria. Nous envoyons des Mirage à Kandahar, mais aucun de ceux que nous avons vendus aux pays du Golfe n’y est en opérations.

Ce serait un crime de quitter l’Afghanistan. Il y a à Kaboul des Afghans qui se battent pour survivre, des gens qui ont cru en notre parole. On ne peut laisser revenir au pouvoir ceux qui interdisent aux femmes l’accès des écoles et des dispensaires et lapident les femmes adultères, pour qui l’éducation se résume à l’apprentissage par coeur du Coran. Mais il ne faut pas se dissimuler qu’ils ont l’appui de la population mâle, qui dans sa grande majorité partage les mêmes idées, et à qui aucune perspective n’est offerte, sauf celle d’un retrait prévisible, à terme, des troupes occidentales.

Ce n’est pas à un historien de dire aux politiques ce qu’ils doivent faire. Mais pour battre les talibans, il faut d’abord les couper de la population. Cela implique que les troupes occidentales se fassent discrètes dans leur action, que les Afghans aient au moins l’impression d’être maîtres chez eux, et que l’idéologie des talibans soit combattue, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Tout cela dépend des Etats-Unis : militairement, économiquement, politiquement, nous ne sommes que leurs supplétifs. C’est auprès d’eux que nous devons agir.

Gérard Fussman

Le (début du) discours de Nicolas Sarkozy à la Conférence des Ambassadeurs au Palais de l’Elysée, le 27 août 20081

Il y a 10 jours, 10 soldats français sont tombés en Afghanistan au cours de combats contre des terroristes talibans. Ils sont tombés au service d’une cause juste, dans le cadre d’une mission approuvée par l’ONU : la lutte contre le terrorisme, la lutte pour nos valeurs, pour la liberté et les droits de l’homme dans un pays martyrisé par une barbarie obscurantiste. Souvenons-nous : les lapidations dans les stades, les mutilations, les droits des femmes bafoués. Nos soldats sont tombés pour protéger la France, pour protéger les Français de la menace directe du terrorisme, qui prend pour une large part sa source dans cette région du monde. C’est cela qui est en cause en Afghanistan.

Il y a un an, je vous disais ici même qu’un des principaux enjeux des années à venir serait d’éviter la confrontation entre l’Islam et l’Occident. Une confrontation que veulent provoquer ces extrémistes qui rejettent toute ouverture, toute modernité, toute diversité. Je vous disais que notre devoir était d’aider, d’encourager les forces de modération et de modernité en Afghanistan. C’est ce que nous avons fait et que nous continuerons de faire.

Notre présence militaire, décidée à juste titre dès 2001, a été renforcée. La France joue tout son rôle, avec ses Alliés européens — 25 des 27 membres de l’Union –, américains, canadiens, turcs, pour stabiliser ce pays et pour empêcher le retour au pouvoir d’un régime allié à Al Qaïda. Ce renforcement, nous l’avons décidé dans le cadre de la nouvelle stratégie des Alliés, définie à l’initiative de la France au sommet de Bucarest. Elle reste valable : un engagement dans la durée ; une approche globale, civile et militaire, avec une coordination accrue de l’aide ; la nécessaire coopération du Pakistan ; mais surtout la prise en charge progressive par les Afghans eux-mêmes de leurs responsabilités de sécurité. C’est à mes yeux l’objectif prioritaire car c’est la première condition d’un succès dans la durée. Dans la région Centre, celle de Kaboul, c’est la France qui, depuis ce mois d’août, est chargée d’organiser, dans un délai maximum d’un an, ce transfert de responsabilités au profit de l’armée afghane. Dès demain, 28 août, la sécurité de la ville de Kaboul lui sera confiée.

Certains disent : il faut mettre l’accent sur la reconstruction. C’est ce que j’ai fait : notre aide civile a été doublée. Notre pays a organisé en juin dernier une conférence de soutien à l’Afghanistan qui a été un succès remarquable puisqu’elle a rassemblé quelque 20 milliards de dollars d’aide pour les prochaines années.

Bien sûr la situation reste difficile et dangereuse. Mais mesurons les progrès accomplis : des institutions démocratiques avec de nouvelles élections en 2009/2010 ; la scolarisation de près de 6 millions d’enfants contre 800 000 en 2001 ; un système de santé qui a permis de réduire la mortalité infantile d’un quart : ce sont 40 000 enfants sauvés chaque année ; dans tous les domaines, un progrès sans précédent de l’égalité entre hommes et femmes ; des infrastructures restaurées ; 4000 kilomètres de routes construites… Qui croira que tout ceci aurait été possible sans notre présence militaire ?

Quelle serait l’alternative ? Un retrait militaire serait suivi du retour des Talibans et d’Al Qaïda, et sans doute de la déstabilisation du Pakistan voisin. Ce n’est pas concevable. Soyons clairs : la France, membre permanent du Conseil de Sécurité, assumera ses responsabilités. Elle ne cèdera pas aux terroristes. Elle les combattra, partout où ils se trouvent, avec la conviction que le peuple afghan, appuyé par ses alliés, l’emportera sur la barbarie et pourra progressivement y faire face par lui-même.

[…]

Nicolas Sarkozy

Eric Margolis invité par Frédéric Taddei, en avril 2008.


«Vous allez entrer dans une guerre, que j’appelle guerre coloniale moderne, contre la plus grande tribu du monde, les Pachtounes.

«Cette guerre commence à gagner le Pakistan où il y a 15 millions de Pachtounes. Si vous n’arrêtez pas la guerre bientôt, vous allez avoir la guerre en Afghanistan et au Pakistan, une énorme guerre que l’OTAN ne gagnera jamais. […] »


  1. http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id=1725&cat_id=7&lang=fr.
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