Pourquoi, demande-t-il, la Grande Bretagne n’a-t-elle jamais fait amende honorable pour la traite des Noirs en Afrique, comme cela a été le cas pour la famine en Irlande ? Pourquoi n’a-t-on pas érigé de monument public digne de ce nom pour exprimer les regrets de la nation comme cela a été fait à Berlin avec le Musée de l’Holocauste?
Plus important encore, pourquoi n’a-t-on pas reconnu officiellement que c’est grâce aux richesses soustraites à l’Afrique et aux Africains si la Grande Bretagne est aujourd’hui un pays dynamique et prospère? Ne serait-ce point là une raison suffisante pour que la Grande Bretagne répare ses torts auprès des descendants d’esclaves africains ?
Ces interrogations tombent à point nommé au moment où Blair et Bush, les mains encore éclaboussées du sang irakien, cherchent à s’autoproclamer les sauveurs de l’Afrique. La proposition du G8 sur l’effacement de la dette a été présentée comme un acte de générosité de la part des pays occidentaux.
Mais personne ne s’est préoccupé d’expliquer que pour bénéficier de ces largesses, les gouvernements africains devront accepter certaines « conditions », parmi lesquelles celle de céder leurs services publics à des compagnies privées. Et là, cela n’a rien d’altruiste. C’est ce que les banquiers d’affaires appellent «remplacer la dette par l’équité», l’équité étant ici la souveraineté nationale. Le plus savoureux dans cet accord, c’est que ce crédit, qui a déjà été largement remboursé en intérêts, a été consacré essentiellement à acheter des produits d’importation aux pays occidentaux et au Japon, ainsi que du pétrole à des pays qui déposent les profits qu’ils en tirent dans des banques de Londres ou de New York. Cet argent n’a donc quitté les pays riches que dans les livres de comptes. Personne n’a jugé bon de relever que la somme due par les pays africains est infime comparée à la dette des pays occidentaux vis-à-vis de l’Afrique.
Les spécialistes sur lesquels s’appuie Beckford dans son documentaire estiment à des milliards et des milliards de livres la dette de la Grande Bretagne envers les Africains du continent africain et ceux de la diaspora. Même si cette estimation est un point de repère intéressant, elle est établie sur des bases inexactes. Non pas que la dette soit surévaluée mais parce que la somme exacte est impossible à calculer. En effet, sans l’Afrique et sans son prolongement dans les plantations aux Caraïbes, le monde actuel tel que nous le connaissons n’existerait pas.
Les bénéfices réalisés grâce à la traite des esclaves pour la production de sucre, de café, du coton et du tabac ne sont que la partie visible de l’iceberg. La partie immergée, c’est la façon dont cette activité a bouleversé l’économie en Europe. En Angleterre, la banque, les compagnies d’assurances, les constructions navales, le textile, la métallurgie (fer et cuivre), les villes de Bristol, de Liverpool et de Glasgow ont connu, directement ou indirectement, une expansion considérable avec les plantations qui prospéraient grâce au travail des esclaves.
Dans son livre remarquable, «Les Africains et la Révolution industrielle», Joseph Inikori montre comment les consommateurs africains, libres ou asservis, ont assuré le développement de l’industrie naissante en Grande Bretagne. Malachy Postlethwayt, spécialiste d’économie politique déclarait en 1745 : « Le commerce britannique est un superbe édifice composé de commerce à l’américaine et de puissance navale posé sur des fondations africaines ».
Dans « la Grande Divergence« , Kenneth Pommeranz explique pourquoi c’est l’Europe, plutôt que la Chine, qui a connu la première l’essor industriel. Aux deux réponses qu’il fournit – l’abondance de charbon et les colonies du Nouveau Monde – il aurait dû en ajouter une autre : l’accès à l’Afrique occidentale. En effet, le continent américain des premières colonies a été davantage peuplé par les Africains que par les Européens.
Avant 1800 il y avait bien plus d’Africains que d’Européens qui traversaient l’Atlantique. Les esclaves du Nouveau Monde avaient une importance capitale également, aussi étrange que cela puisse paraître, pour le commerce de l’Europe avec l’Orient. En effet, les marchands, qui revenaient de leurs voyages avec des bénéfices sous forme d’étoffes, avaient besoin de métaux précieux pour acheter des produits de luxe en Asie. Et c’est grâce au troc de ces étoffes, en échange d’esclaves Africains destinés à être vendus en Amérique, que l’Europe pouvait mettre la main sur l’or et l’argent nécessaires au système. Les compagnies des Indes orientales ont été, finalement, à l’origine de la domination de l’Europe sur l’Asie et de l’humiliation qu’elle a fait subir à la Chine au XIX°.
L’Afrique n’a pas favorisé l’essor de l’Europe uniquement. L’huile de palme, le pétrole, le cuivre, le chrome, le platine et surtout l’or ont été et sont encore essentiels à l’économie mondiale. Seule l’Amérique du Sud, grâce à ses mines d’argent florissantes à l’époque, aura permis, plus que l’Afrique, de gonfler la réserve mondiale de métaux précieux.
Ainsi, la pièce de monnaie la « guinée », avait été ainsi nommée en hommage à l’abondant apport en or de l’Afrique occidentale ( …). Je suis prêt à parier qu’une grande partie de cet or placé dans les coffres du FMI et censé financer l’allègement de la dette des pays africains provient des pillages effectués à l’époque en Afrique.
Beaucoup se complaisent à accuser les défaillances des gouvernements des pays africains et de leurs politiques économiques, la famine et les épidémies qui y sévissent depuis les années soixante. Mais la fragilité de l’Afrique actuelle est la conséquence directe de deux siècles d’esclavage suivis d’un siècle de colonialisme. De la même façon, la « décolonisation » n’a pas été ce qu’on veut bien croire : la France et la Grande Bretagne se sont toutes deux efforcées de fausser le projet de souveraineté politique.
Il est extraordinaire de constater qu’aucun de ceux qui parlent de dictature et d’usurpation de patrimoine national en Afrique ne semble se rendre compte qu’Idi Amin a accédé au pouvoir en Ouganda grâce à des manœuvres en sous-main de la Grande Bretagne et que les généraux au Nigeria étaient soutenus et manipulés dès 1960 pour préserver les intérêts pétroliers britanniques.
Il est cocasse également de voir aujourd’hui le Daily Mail et le Telegraph (qui, il y a à peine une vingtaine d’années, soutenaient Ian Smith en Rhodésie et l’apartheid en Afrique du Sud) se préoccuper autant des Droits de l’Homme au Zimbabwe. Le drame, avec Mugabe et les autres, c’est qu’ils ont trop vite compris au contact des Britanniques comment gouverner sans véritable soutien populaire et comment légiférer dans le sens d’intérêts privés sans merci.
La volonté des occidentaux de voir s’installer la démocratie en Afrique est loin d’être évidente. On parle de tragédie du Congo en oubliant de préciser que c’est un homme d’Etat britannique, Alec Douglas-Home, qui a convenu avec le président US en 1960 que Lumumba, le président élu populairement, « ferait bien de tomber dans « une rivière infestée de crocodiles « .
L’esclavage et le colonialisme en Afrique ne font pas partie d’un passé révolu ni d’une page d’Histoire qui n’aurait rien à voir avec nous. Le monde qu’ils ont engendré est là tout autour de nous en GB. Et ce n’est pas seulement en termes économiques que l’Afrique contribue à la domination des Blancs en Grande Bretagne aujourd’hui.
Le Brésilien Jean-Charles de Menezes, aurait-il été abattu dans une station de métro si ses traits physiques n’avaient pas constitué la preuve de son ascendance africaine ? Ses cheveux légèrement bouclés, sa peau beige pâle, le désignaient comme un dangereux étranger. D’une certaine façon, son assassinat ressemble à celui d’Anthony Walker, tué à coups de hache, et à celui de la centaine de victimes noires mortes depuis 1969 dans d’étranges circonstances en garde à vue, dans les commissariats ou à l’hôpital.
Cet univers d’insécurité, partie intégrante de la condition des Noirs, est la survivance de l’esclavage. […]
Au début de l’année, Gordon Brown a déclaré à des journalistes au Mozambique que la Grande Bretagne devrait cesser de demander pardon pour le colonialisme. La vérité, pourtant, c’est que la Grande Bretagne n’a toujours pas reconnu la partie immergée de son passé colonial, et encore moins présenté ses excuses.
Richard Drayton – Traduction Emcee1
- Cette traduction est parue sur le blog de Emcee.