Paris veut « déminer » les relations algéro-françaises
Réclamés depuis l’Indépendance, les plans de pose des mines parsemées par le colonialisme français au niveau des frontières est et ouest ont été enfin remis à l’Algérie.
La remise officielle de ces plans a été faite par le chef d’état-major des forces armées français qui a entamé hier une visite de quatre jours en Algérie. « Le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des forces armées françaises a officiellement remis à son homologue algérien, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, les plans de pose des mines placées le long des lignes Challe et Morice par l’armée française entre 1956 et 1959 », a affirmé le même jour l’ambassade de France à Alger dans communiqué transmis à notre rédaction. Cette décision marque, selon la même source, la volonté des autorités françaises « de progresser pour lever les obstacles hérités du passé et leur souhait de bâtir des relations de confiance avec l’Algérie ». Il a fallu 45 ans après l’Indépendance pour que les Français fournissent les cartographies de ces engins de la mort semés par leurs aïeuls durant l’époque coloniale. Des engins qui ne cessent de faire des victimes parmi des civils innocents algériens, en particuliers les enfants et les bergers.
Près de 40 000 personnes tuées
Il est encore difficile d’avoir le nombre exact de victimes de ces mines. Si certaines sources avancent le chiffre de 3000 personnes tuées depuis l’Indépendance, d’autres donnent un bilan beaucoup plus lourd. Elles font état de 40 000 morts et de 80 000 blessés. En tout cas, beaucoup de vies humaines auraient pu être sauvées si ces plans avaient été remis à temps. L’on se demande encore pourquoi la France a attendu jusqu’à aujourd’hui pour mettre à la disposition de l’armée nationale les documents facilitant les opérations de déminage au niveau des frontières. Cette attitude a été vivement critiquée par les autorités algériennes.
Dans un discours prononcé le 21 novembre 2005 à Djelfa, où il a assisté à la cérémonie de clôture de l’opération de destruction du dernier lot des stocks de mines antipersonnel de l’ANP, le chef de l’Etat a critiqué la position française. Soulignant l’ampleur du bilan causé par ces mines, le président Bouteflika a reproché à certaines puissances internationales, dont la France, le non-respect des conventions internationales, telles que la convention d’Ottawa. Une convention portant sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction.
Avec la remise de ces plans, la France de Nicolas Sarkozy tente ainsi, selon des observateurs, de lever les obstacles, nombreux, qui entravent les relations algéro-françaises. Des relations qui butent, entre autres, sur le refus de la France de reconnaître les crimes commis par son armée coloniale en Algérie. Il a rappelé que la ligne Morice, du nom du ministre français de la Défense, André Morice, constituée de barbelés et de mines, surveillée en permanence, a été construite à partir de juillet 1957 le long des frontières de l’Algérie avec la Tunisie et le Maroc. Longue de 460 km à la frontière tunisienne et de 700 km avec le Maroc, cette ligne a été doublée par une autre ligne, dite la ligne Challe, du nom du général Maurice Challe, commandant en chef en Algérie de 1958 à 1960. En tout, 11 millions de mines antipersonnel ont été enfouies pour empêcher les moudjahidine, à l’époque, d’accéder en Tunisie et au Maroc. Depuis 1962, l’ANP a entamé des opérations de nettoyage des régions infestées par les mines. Elle a réussi à détruire 8 millions de mines, alors que trois autres millions présentent toujours une source de danger pour les populations des régions limitrophes.
Il y a 9 ans, la France ratifiait la convention d’Ottawa…
- 3-4 décembre 1997 : signature par 123 Etats, y compris la France, de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel – et assistance médicale, sociale, économique – et déminage
- 1er juillet 1998 : promulgation de la loi Loi n° 98-537 (parue au JO n° 151 du 2 juillet 1998) autorisant la ratification du protocole sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs tel qu’il a été modifié le 03 mai 1996 (protocole II, tel qu’il a été modifié le 03 mai 1996), annexé à la convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi sur certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination
- 8 juillet 1998 : ratification de la convention d’Ottawa par la France et adoption d’une loi nationale d’interdiction des mines. Création d’une Commission nationale pour l’Elimination des mines antipersonnel avec les organisations humanitaires.
- 23 juillet 1998, la France dépose aux Nations Unies les éléments de ratification de la Convention d’Ottawa
- 1er mars 1999 : la convention d’Ottawa entre en vigueur
La Convention d’Ottawa énonce un large cadre pour lutter contre le problème des mines à travers le monde. Les États qui souscrivent formellement aux obligations que renferme le document s’engagent notamment à :
- mettre fin immédiatement à la production, au transfert et à l’emploi des mines antipersonnel;
- détruire leurs stocks de mines dans un délai de quatre ans après l’entrée en vigueur de la Convention dans leur pays;
- déminer les terrains contaminés;
- venir en aide aux victimes des mines;
- entreprendre des campagnes d’information afin d’atténuer les risques;
- coopérer pour assurer le plein respect de la Convention.1
Les mines françaises continuent à blesser et à tuer en Algérie
Les mines ne sont pas seulement disséminées à la frontière mais partout où l’armée française en sentait la nécessité de protéger ses arrières. Ainsi, le 26 août 2007, un enfant, âgé de 14 ans, a sauté sur une bombe antipersonnel datant de l’époque coloniale, enfouie sous terre dans la région de Béni Ksila, près du littoral, à l’ouest de Béjaïa. La victime, qui a eu une jambe amputée à la suite de cet accident, voulait cueillir des figues lorsqu’elle a marché sur l’engin explosif.2