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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

La France rapatrie la dépouille d’un soldat mort à Oran en 1956

La dépouille d'un soldat français mort et enterré en Algérie en 1956 a été rapatriée en France. Mais la restitution par la France des crânes des résistants algériens tués dans les combats du XIXe siècle contre la colonisation française ne semble pas à l'ordre du jour. Pourtant, nombreux sont ceux qui, d'une rive ou de l'autre de la Méditerranée, et parfois depuis des années, demandent le retour en Algérie des restes mortuaires des résistants algériens qui se trouvent toujours en France. Aucune réponse n'a été donnée à ce jour à la trentaine de milliers de signataires de la pétition lancée par Brahim Senouci, demandant la “Restitution des têtes des résistants algériens, détenues par le Musée de l'Homme.” Nous reprenons ci-dessous deux articles parus le 7 août dernier, dans le quotidien algérien El Watan, qui font le point sur différents aspects du problème.

[première mise en ligne le 10 août 2017, mise à jour le 12]

La restitution des crânes des résistants attendra !

par Nadir Iddir, El Watan, le 7 août 2017. Source.

La dépouille d’un soldat français exhumée d’un cimetière à Oran a été rapatriée et enterrée samedi à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales). Les honneurs militaires ont été rendus au sergent Jean Vilalta, mort en juillet 1956 à l’âge de 22 ans, à la cathédrale d’Elne.

« C’est une première et certainement une dernière », a déclaré à l’AFP le lieutenant-colonel Christophe Corréa, délégué départemental des armées dans les Pyrénées-Orientales. Le gouvernement algérien a accepté en juin dernier l’exhumation et le rapatriement des restes du soldat après «plus de quatre ans de négociations menées par les familles soutenues par le Souvenir français ainsi que l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre», détaille Christophe Corréa. Selon ce délégué, 300 à 400 soldats français seraient inhumés en Algérie.

L’opération de rapatriement n’a pas manqué de faire réagir les Algériens sur les réseaux sociaux. Un internaute évoque l’«abandon» des restes mortuaires des résistants algériens et «l’inaction» de l’Etat algérien. «Et quid de nos résistants civils enlevés et assassinés dans les geôles de l’armée française, comme cela a été le cas de mon père et dont nous n’avons pas eu la dépouille ?» enrage F. D. Initiateur de la pétition pour la restitution des crânes des résistants algériens en France, l’universitaire algérien établi en France, Brahim Senouci, dénonce, dans un post sur sa page Facebook, «un deal» qu’auraient conclu les autorités des deux pays.

Pour l’enseignant, le retour des dépouilles des résistants algériens «tués puis décapités par une armée régulière qui s’est rendue coupable du plus odieux des crimes, le crime contre l’humanité, ne doit faire l’objet d’aucun marchandage et surtout pas d’un package deal obscène imposé par la France, du style ‘‘vos résistants contre nos disparus »». «Il n’y a aucune espèce d’équivalence entre des résistants morts au combat contre une armée génocidaire qui s’était ‘‘illustrée » notamment par sa cruauté dans les enfumades et les massacres collectifs.

Le retour de nos martyrs doit être posé comme une exigence non négociable. Les autres questions doivent être traitées dans un esprit d’humanité, mais ne doivent pas être utilisées pour brouiller l’image de nos valeureux aïeux», soutient-il. La révélation de l’existence des restes mortuaires des Algériens est à mettre à l’actif de l’historien Ali Farid Belkadi, qui a alerté en 2011 sur l’existence de restes de résistants au Muséum national d’histoire naturelle à Paris (mnhn.fr).

Déjà 30 000 signataires !

Le chercheur a appelé les autorités algériennes à entreprendre auprès de l’Etat français «les démarches nécessaires» au rapatriement en Algérie de ces restes mortuaires. Une seconde pétition a été lancée en mai 2016. Mise en ligne à l’initiative de M. Senouci, le texte a recueilli près de 30 000 signatures et fait réagir, entre autres, un collectif d’intellectuels qui a signé un texte publié par le quotidien Le Monde.

Les signataires expliquent leur démarche et évoquent le précédent kanak : «Soutenir les appels de citoyens algériens à rapatrier ces dépouilles dans leur pays, pour leur donner une sépulture digne, comme cela fut fait pour les rebelles maoris ou les résistants kanak Ataï et ses compagnons (en 2014), ne revient aucunement pour nous à céder à un quelconque tropisme de ‘‘repentance » ou d’une supposée ‘‘guerre des mémoires », ce qui n’aurait strictement aucun sens.

Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de l’histoire de France, celle dont l’effacement participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française.» Les autorités des deux pays ont fini par réagir. Pour parler de coopération. Et puis, plus rien. Le porte-parole du gouvernement français, Romain Nadal, a évoqué, en septembre 2016, l’existence d’«un dialogue étroit».

Le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, avait confirmé, en janvier 2017, l’existence de contacts, mais sans en expliquer la teneur. Le même ministre a affirmé devant les députés de l’APN que l’affaire «est au cœur des discussions avec la partie française». Sans évoquer l’engagement d’un quelconque processus de rapatriement sérieux des crânes des résistants.

Dans un entretien à El Watan (17 mars 2017), le directeur des collections du Muséum national d’histoire naturelle, Michel Guiraud, affirme que son établissement est favorable à la restitution, mais pour que la demande soit recevable, elle doit être entreprise soit par l’Etat dont la personne était ressortissante, soit par un ayant droit, relayée par une démarche diplomatique.

Le directeur est catégorique : «A ce jour, toutefois, le Muséum n’a reçu aucune demande émanant du gouvernement algérien.» Dans sa réponse au message que lui a adressé le président Bouteflika à l’occasion de la fête nationale de son pays le 14 juillet dernier, le président français, Emmanuel Macron, a évoqué «une série de rendez-vous majeurs» qui devront marquer les relations entre les deux pays. La restitution des restes mortuaires des résistants algériens, encore détenus au Muséum, en fera-t-elle partie ?

Les crânes des résistants au Muséum

Les restes mortuaires de quelque 37 Algériens sont entreposés dans des cartons, rangés dans des armoires métalliques, au musée de l’Homme de Paris.

Les restes, des crânes secs pour la plupart datant du milieu du XIXe siècle, appartiennent, entre autres, à Cherif Boubaghla, à Cheikh Bouziane, le chef de la révolte de Zaâtcha (Biskra), à Moussa El Derkaoui et à Si Mokhtar Ben Kouider Al Titraoui.

Selon le Muséum, le nombre d’individus précisément identifiés est de 34, deux autres crânes demandant des recherches plus approfondies pour leur attribuer une identité précise. Selon l’inventaire établi par l’historien Farid Belkadi, le nombre des restes mortuaires est encore plus élevé : 68 au lieu de 36, comme il l’a avancé en 2011.

Le chercheur souhaite la reconstitution faciale du visage des 6 chefs de la résistance. Par ailleurs, il avance une autre piste : le rapatriement des restes des Algériens exilés en Nouvelle-Calédonie.

Nadir Iddir

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Un entretien avec Brahim Senouci :

« Le pouvoir français craint de dégarnir ses musées »
Source.

  • Vous avez adressé deux lettres aux présidents algérien et français (publiées par El Watan et L’Humanité). Vous y interpellez les deux chefs d’Etat sur l’affaire des crânes des résistants algériens entreposés au musée de l’Homme à Paris. Pensez-vous qu’il y ait une volonté franche des deux pouvoirs d’engager rapidement le processus de rapatriement de ces restes mortuaires ?

Non, évidemment. En ce qui concerne le pouvoir algérien, dont il faut rappeler qu’il fonde sa légitimité sur la Guerre de Libération, il n’a probablement guère envie que remonte à la surface ce témoignage physique de la permanence de la résistance algérienne au colonialisme. Il ne souhaite peut-être pas que la narration de cette épopée extraordinaire de la bataille de Zaâtcha vienne concurrencer le récit hagiographique, parsemé de mensonges, qui lui sert de viatique.

Quant à la France, elle ne semble guère pressée de rendre ces restes. En fait, ils font partie de ses collections patrimoniales. Une grande partie de ces collections proviennent de vols (objets précieux, tableaux, armes comme le canon Baba Merzoug, les richesses telles que l’or du Trésor d’Alger…).

Le pouvoir français craint, s’il se plie à l’exigence de rétrocession que nous posons, de devoir faire face à de multiples demandes de restitution, au risque de dégarnir ses musées. Il y a une autre raison en ce qui concerne les restes humains. Le fait de les conserver et d’en faire, horreur !, une partie du patrimoine de la France, permet de conserver une sorte de primat symbolique (mais pas seulement !) sur l’ancienne colonie.

  • Vous avez décidé de «rouvrir» la pétition, qui a accueilli à ce jour quelque 30 000 signatures. Comment expliquez-vous l’élan qui a suivi le lancement du texte en juin 2016 (change.org) ?

La France n’est pas peuplée que de colonialistes et de racistes. Il y a des Français attachés à la justice et à la morale. Le journal L’Humanité m’a en quelque sorte mis le pied à l’étrier, en publiant un texte et le lien vers la pétition. Du coup, l’information a été reprise par d’autres journaux tels que La Croix, Afrique Magazine, et a fait l’objet de reportages et d’interviews sur France 24, France Inter, CNN, la BBC…

La presse algérienne, sans surprise et dans son ensemble, a commenté abondamment cette affaire. El Watan lui a consacré plusieurs articles. Le Quotidien d’Oran, El Khabar, l’Expression … en ont également rendu compte. Cette couverture est pour beaucoup dans le fait que le gouvernement s’est enfin décidé à réagir alors qu’il avait connaissance de ce scandale depuis 2011, puisqu’il avait été alerté par l’historien Farid Belkadi.

  • La pétition a-t-elle été remise au directeur du musée français comme vous le suggérez ?

Naturellement. Mieux encore… il a reçu des nouvelles, presque au quotidien, de l’évolution de la pétition, des liens vers les médias qui l’évoquaient… il n’a jamais réagi. Toutefois, il a fait un exposé devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire du Parlement français. La question de la restitution des crânes de nos résistants lui a été posée. Il a répondu qu’il fallait «garantir la traçabilité des matériels et être prêt à les restituer en fonction des situations».

Il a insisté sur la complexité de la procédure en disant : «C’est loin d’être simple, non seulement pour les crânes humains que j’ai mentionnés, mais aussi pour un simple oiseau empaillé ou un batracien plongé dans un bocal.» Vous avez dit racisme ? Sachez que le musée de l’Homme organise en ce moment même une exposition dont la finalité serait d’éduquer les jeunes contre le racisme. L’exposition s’intitule «Nous et les autres»…

  • Vous avez estimé dans un post sur votre page Facebook qu’«il n’y a rien à attendre, aussi bien du gouvernement algérien que du gouvernement français». Vous ajoutez : «Les choses ne changent que par la volonté des peuples. Alors, il faut que nous imprimions une accélération forte, en multipliant les signatures. Nous contraindrons ainsi les pouvoirs de l’une et l’autre rives à faire ce qu’il faut pour que ces restes soient rendus à leur patrie, l’Algérie.» Pourquoi les deux peuples ne créent-ils pas de solides passerelles d’un vrai dialogue ? Est-ce la faute aux pouvoirs des deux pays ?

Pourquoi ? D’abord pour les raisons que j’ai développées au début de cet entretien, mais aussi parce qu’au fil des années, les pouvoirs algérien et français ont créé un réseau complexe d’amitiés, d’intérêts qu’ils souhaitent probablement conserver…

  • D’autres actions sont-elles prévues pour accélérer le processus de protection et de restitution des crânes ? Qui comptez-vous y associer ? Quel rôle doivent jouer les historiens ?

Le nouveau président français semble avoir une attitude plus positive que ses prédécesseurs. Ce n’est qu’une impression pour l’instant. Je lui ai adressé une lettre ouverte. J’espère qu’on la lui mettra sous les yeux. Mais ne soyons pas naïfs. Je réponds aux deux dernières questions ensemble. Il y a en France des historiens remarquables de courage et d’honnêteté intellectuelle, ils l’ont montré en signant une tribune dans Le Monde en juillet dernier pour soutenir la pétition. Ils contribuent (et moi aussi) à un site de la Ligue des droits de l’homme, situé géographiquement à Toulon. Ce site était administré de main de maître par François Nadiras.

C’est une compilation formidable d’à peu près tout ce qui a été écrit sur la colonisation. Il est en train de faire l’objet d’une refonte. En fait, il va être scindé en deux parties d’inégale importance. La première traiterait des problèmes locaux (français). La seconde serait entièrement dédiée à la colonisation.

Dans ce cadre, il y a eu un débat avec des historiens (tous signataires de la tribune du Monde) sur son organisation future. J’ai proposé qu’une rubrique particulière soit consacrée à un échange permanent entre historiens algériens et français. Cette proposition a été acceptée. Je suis persuadé que de cet échange sortira le meilleur, la vérité enfin. Peut-être que nous, Algériens, nous nous sentirons mieux quand le martyre de notre peuple aura droit de cité autrement que comme marchepied vers le pouvoir.

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