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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

La France raciste et celle qui réagit

Les semaines passent et se ressemblent au Front national. Après l'épisode de la caricature raciste de la ministre de la Justice Christiane Taubira publiée sur la page Facebook de la candidate FN aux municipales dans les Ardennes, les déclarations douteuses de Marine Le Pen sur la barbe des otages français d'Arlit, cette fois-ci c'est une tête de liste FN d'origine algérienne qui fait vaciller la stratégie de dédiabolisation du parti d'extrême-droite : Nadia Portheault, candidate du Front national à Saint Alban (Haute Garonne), rend sa carte du parti en dénonçant le racisme qui y règne. Condamnant les «dérapages vers l'injure raciste», Harry Roselmack déplore le retour de la France raciste.

Harry Roselmack : « La France raciste est de retour »

[Le Monde daté du 6 novembre 2013]

Depuis longtemps, la France joue au bras de fer. Sa République contre sa société. Ses idéaux face à son quotidien. Deux forces opposées, en équilibre précaire, comme ces poignées de mains tenues en équerre par des biceps gonflés à bloc. La République, née de la révolution contre les privilèges, s’est dotée d’un triptyque impossible pour tordre le bras à la nature même des hommes : liberté, égalité, fraternité pour en finir avec la division, le rapport de force, l’assujettissement de l’autre. C’était sans compter l’homme derrière le citoyen. Cet insoumis refuse tous les diktats, et surtout ceux qui ambitionnent d’imposer de bons sentiments. Jamais, ni sous la terreur du Comité de salut public de ses débuts sanglants, ni après la tentative de Mai 68, la République ne parvint à l’égalité, la liberté et la fraternité.

Il y a pourtant une chose que la République a su créer : un sentiment d’appartenance et d’attachement national chez des gens de classes sociales différentes, de cultures différentes, de couleurs différentes. Je me vois peu, mais je ne me vois pas Noir. En tout cas, je ne me qualifie pas comme tel, en général. Je suis d’abord un homme, un fils, un frère, un mari et un père, un citoyen, un journaliste, un passionné et… oui, oui, c’est vrai, je suis noir. La République, son slogan et ses lois parviennent, la plupart du temps, à me le faire oublier.

« ME VOILÀ RAMENÉ À MA CONDITION DE NÈGRE »

Et voilà qu’une minorité grandissante qui se présente comme gardienne ou salvatrice de cette République française vient briser cette prouesse cocardière. Me voilà ramené à ma condition nègre. Me voilà attablé avec d’autres Noirs parce qu’ils sont noirs. Et me voilà en train de m’offusquer d’une idiotie qui ne m’atteignait guère : le racisme. Parce que l’expression de ce racisme, dans la bouche d’une candidate Front national aux municipales (exclue depuis), était primaire, parce qu’elle recourait à une iconographie profondément choquante qui niait au nègre le statut d’être humain, elle m’a amené à m’interroger, en tant que Noir d’abord, en tant que citoyen, fils, père et mari ensuite.

La France sursaute en se découvrant communautarisée, mais ce que je décris témoigne du fait que le communautarisme en France n’est ni naturel ni spontané. C’est une réaction née d’une duperie : le hiatus congénital entre la promesse républicaine et la réalité de la société française.

En vérité, le « dérapage » d’Anne-Sophie Leclere n’est pas pour me déplaire. Parce qu’il n’est pas qu’un dérapage, il est l’expression, peu reluisante, d’une vision du monde partagée au sein du Front national. S’il est faux de dire que tous les électeurs et militants du FN sont racistes, il était tout aussi faux de dire qu’il n’y a pas de racisme dans ce parti. La xénophobie, le racisme en constituent même le ciment essentiel. Et il n’est pas inutile que son vernis républicain, grossier maquillage dont Marine Le Pen le badigeonne consciencieusement, s’écaille de temps en temps.

« Y’A BON BANANIA »

Ce qui me chagrine, c’est le fond de racisme qui résiste au temps et aux mots d’ordre, pas seulement au sein du FN, mais au plus profond de la société française. C’est un héritage des temps anciens, une justification pour une domination suprême et criminelle : l’esclavage et la colonisation.

Mais ce racisme a laissé des traces et, si on était capable de lire l’inconscient des Français, on y découvrirait bien souvent un Noir naïf, s’exprimant dans un français approximatif, et dépourvu d’Histoire ou, tout du moins, d’oeuvre civilisatrice. Une vision que certains cultivent aujourd’hui encore, à leur corps défendant parfois. Combien de fois ai-je dû expliquer à un restaurateur ou même à un camarade que les vieilles affiches « Y’a bon Banania » qu’ils accrochent à leurs murs ne peuvent pas être regardées qu’avec amusement ou nostalgie. Comme certains albums de bande dessinée qui ont égayé notre enfance, elles laissent des empreintes d’un autre temps dans nos imaginaires.

Tant que l’on laissera ces peaux de Banania traîner dans nos cerveaux, des glissades et dérapages vers l’injure raciste sont à craindre. Surtout par les temps qui courent, avec cette crise qui alimente la xénophobie de son bien étrange carburant : la jalousie envers plus mal loti que soi.

Harry Roselmack (Journaliste)

Une candidate FN rend sa carte en dénonçant le racisme de son parti

[Le Monde.fr avec AFP, le 5 novembre 2013]

Dégoûtée par le racisme et l’homophobie d’une partie des cadres et militants locaux, la candidate du FN à Saint-Alban renonce à briguer la mairie, et rend sa carte d’adhérente.
La candidate du Front national à Saint-Alban, Nadia Portheault, d’origine algérienne, renonce à briguer la mairie de cette commune au nord de Toulouse, dégoûtée par le racisme et l’homophobie d’une partie des cadres et militants locaux, a-t-elle indiqué, lundi 4 novembre, à La Voix du Midi.

Nadia Portheault et son mari, Thierry, ont également décidé de rendre leur carte d’adhérent. Le couple a constaté « un décalage entre le discours de Marine [Le Pen] et celui de la base militante, explique la jeune femme. Cette ambiguïté permanente, entre la vitrine et une arrière-boutique spécialisée dans les blagues vaseuses sur les Arabes et les homos, n’était plus supportable ».

« PROPOS NÉONAZIS ET FASCISTES »

Certes, « tout le monde n’est pas à mettre dans le même panier », a-t-elle nuancé, mais, outre les militants, elle a mis aussi en cause le comportement de certains responsables départementaux du parti, sans les nommer. Un cadre du Front national de la Haute-Garonne lui aurait même lancé : « Toi et tes enfants, vous êtes bons pour le four. »

« Je voulais être candidate sous mon nom de jeune fille : Djelida. On m’a vivement conseillé de privilégier mon nom d’épouse, allant même jusqu’à me dire que mon prénom était déjà presque un handicap. »

Dans un courrier adressé à Mme Le Pen et publié par La Voix du Midi, Thierry Portheault fait également état chez certains militants et responsables de « propos néonazis et fascistes bien engagés et un dégoût des Arabes » ; il évoque un responsable se vantant du tatouage de croix gammée porté par son frère ou encore un autre responsable affirmant « qu’il déteste les homos et les Arabes », et de militants qui « disent qu’il faut tuer tous les Arabes ».

PLAINTE EN DIFFAMATION

Selon le Front national, Mme Portheault, adhérente depuis 2012, s’était montrée comme son mari, ancien militant de l’UMP, une militante très zélée lors de la campagne présidentielle de Mme Le Pen. Et c’est « naturellement » que le Front lui avait accordé l’investiture et son soutien pour les municipales quand elle l’avait demandé.

Mais le secrétaire départemental du Front national, Julien Leonardelli, a catégoriquement rejeté les accusations du couple. « Tous les membres de mon bureau, je les connais personnellement. Aucun d’entre eux n’est capable de tenir des propos aussi ignobles et inqualifiables », a-t-il affirmé, précisant avoir fait procéder à des vérifications au sein du parti.

Il a indiqué qu’une plainte en diffamation était en cours de formulation : les Portheault « devront répondre devant la justice et apporter des preuves de tout ce qu’ils avancent ». Il a mis les accusations sur le compte de l’aigreur de M. Portheault de ne pas avoir un poste de responsabilité au sein du Front national, et sur le découragement de Mme Portheault devant les réalités d’une campagne municipale.

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