Pour Jean-Marie Le Pen, l’apartheid était «au départ une volonté de promotion des deux communautés»
Le président d’honneur du Front national a eu des mots ambivalents vis-à-vis du système raciste en vigueur en Afrique du Sud jusqu’en 1991.
Le président d’honneur du Front national Jean-Marie Le Pen a estimé samedi que l’apartheid était «au départ une volonté de promotion des deux communautés» blanche et noire en Afrique du Sud. Interrogé sur les propos de Manuel Valls sur l’existence d’un apartheid «territorial, social, ethnique» en France, M. Le Pen a estimé dans son journal de bord vidéo qu’il était fait au Premier ministre «une querelle sémantique qui ne me paraît pas très saine.»
«J’ai compris ce qu’il a voulu dire, même s’il a des responsabilités importantes dans la situation actuelle», a assuré le cofondateur du FN, «que des communautés se constituaient de façon séparée, et qui étaient un apartheid de fait». Et de poursuivre: «L’apartheid est compris comme une abomination de la désolation par un certain nombre d’imbéciles, y compris de droite, n’est-ce pas, alors que c’était une politique de développement séparé.» Pour l’eurodéputé, «on peut la contester, elle a été contestée, et d’ailleurs elle a été renversée, si j’ose dire, mais c’était au départ une volonté de promotion des deux communautés.» «On peut juger cela plus ou moins sévèrement mais on ne peut pas trahir la pensée de ceux qui l’avaient élaborée», a demandé le patriarche du FN, âgé de 86 ans.
L’apartheid était une doctrine visant à imposer à tous les niveaux de la société une stricte ségrégation raciale, qui a durablement marqué l’Afrique du Sud. Le pays s’était déjà employé à séparer les races depuis l’arrivée des premiers colons hollandais. Mais la politique d’apartheid – littéralement le fait de mettre les choses à part en afrikans, terme généralement traduit par «développement séparé» – a été systématisée après la victoire aux élections de 1948 du Parti national, un mouvement ouvertement raciste qui voulait protéger les intérêts afrikaners face à ce qu’il qualifiait de «péril noir».
Lors de la mort de Nelson Mandela, début décembre 2013, Marine Le Pen avait salué la mémoire de Nelson Mandela, homme de «réconciliation» et de «patriotisme». Mais en 1990, Jean-Marie Le Pen, alors président du FN, avait déclaré à propos de la libération du futur président sud-africain: «Cela ne m’a ni ému, ni ravi. J’ai toujours une espèce de méfiance envers les terroristes, quel que soit le niveau auquel il se situe».
L’apartheid
L’apartheid en Afrique du Sud
L’apartheid était à l’origine un mot afrikaans signifiant « séparation, mise à part ». C’était un système politique organisé à partir d’une discrimination raciale rigoureuse qui promouvait « le développement parallèle et séparé des races » (interdiction des relations sexuelles interraciales, habitats séparés …).
Ce système a été mis en place par le Parti national afrikaner à partir de sa victoire électorale de 1948. Il a été aboli en 1991.
L’apartheid organisait une séparation territoriale systématique entre quatre groupes ethniques :
- les Noirs représentaient 79,2 % de la population sud-africaine lors du recensement de 2010. Ils se répartissent entre une dizaine d’ethnies dont les plus importantes sont les Xhosas et les Zoulous.
- les Blancs sont les descendants d’immigrants européens arrivés dans le pays à partir de 1652. Parmi eux : les Afrikaners (60 % ), surtout d’origine néerlandaise, et les anglophones (40 %), en majorité d’origine britannique. Ils représentent 9,1 % de la population sud-africaine.
- les Coloured (ou métis) représentent 8,8 % de la population sud-africaine
- les Indiens : ce sont les descendants des coolies recrutés dans les régions de Madras et de Calcutta à partir de 1860, et qui furent engagés dans les plantations de canne à sucre du Natal. Ils représentent 2,6 % de la population.
A partir de 1951, des “bantoustans” ont été mis en place pour accueillir séparément les différents groupes ethniques d’Afrique du Sud. Au total, 13 % de la superficie du pays étaient occupés par ces bantoustans (« terre des peuples »), le reste étant réservé à la population blanche – le but étant de rendre les Blancs majoritaires dans le reste du pays.
Plusieurs millions de Noirs ont été déplacés vers les bantoustans entre 1960 et 1980 et se sont vu du même coup retirer leur citoyenneté sud-africaine pour leur donner celle de leur bantoustan. Ils ont été alors considérés comme des étrangers dans leur propre pays et ne disposaient plus de leurs droits civiques.
Toute sa vie, Nelson Mandela s’est battu contre ce système.
Marine Le Pen en flagrant délit de mensonge
Marine Le Pen était l’invitée, mercredi 26 juin 2013, de la matinale de France Inter. Questionnée sur Nelson Mandela, elle a répondu que c’était « une figure d’apaisement » et que la fin de l’apartheid, « un système évidemment profondément contestable, condamnable et injuste », avait été « une bonne nouvelle pour le monde entier ».
Interrogée sur les positions de son père elle a effrontément soutenu que celui-ci « a toujours condamné l’apartheid » en Afrique du Sud. Avait-elle oublié que ce dernier n’avait été «ni ému ni ravi» par la libération du leader de l’ANC, qu’il avait même qualifié de terroriste dans l’émission « L’heure de vérité » en 1990 ?
Matinale de France Inter le 26 juin 2013
Au journaliste Patrick Cohen, qui lui faisait remarquer qu’au moment de la libération de Nelson Mandela, Jean-Marie Le Pen ne s’était dit « ni ému ni ravi », la présidente du Front national, qui n’en est pas à son premier mensonge dans une émission, a lancé à plusieurs reprises : « Vous vous trompez. » Avant de soupçonner le journaliste d’avoir été « chercher [ses] informations à Libération ou à Mediapart ». La pauvre a décidément la mémoire courte (ou sélective) car son père a bien tenu ces propos au cours d’une émission « l’Heure de vérité » en mai 1990. Quant à son affirmation, « mon père a toujours condamné l’apartheid », elle est contredite par ses propos dans cette émission.
L’heure de vérité, le 9 mai 1990 (Ecouter les déclarations de JM Le Pen à partir de 57′)