Les débuts de la conquête de l’Algérie
L’Algérie faisait officiellement partie de l’Empire turc. A sa tête était un dey qui avait sous ses ordres les trois beys d’Oran, de Médéa et de Constantine. La population comprenait des Berbères et des Arabes, tous musulmans, et un certain nombre d’Israélites.
Le prétexte de la conquête de l’Algérie fut un incident futile. Au cours de négociations à propos de fournitures de blé faites jadis au Directoire, le dey s’emporta jusqu’à frapper l’ambassadeur français de son chasse-mouches (1827), puis il fit tirer sur un navire qui venait lui demander des excuses. Polignac, qui cherchait un succès militaire pour augmenter son prestige en France, fit occuper Alger (juillet 1830). Moins d’un mois plus tard, Charles X était renversé.
La France allait-elle rester en Afrique ? La majorité de l’opinion publique y était opposée – à l’exception des commerçants de Marseille. Louis-Philippe, absorbé par des difficultés de toutes sortes, désireux de garder de bons rapports avec l’Angleterre qui a toujours vu avec méfiance l’expansion coloniale de la France, se décida à occuper tout au plus quelques villes sur la côte : Oran, Bougie, Bône, Mostaganem. C’est ce qu’on appela l’occupation restreinte. Dès qu’on dépassait les murailles de ces villes on se heurtait aux chefs des tribus arabes.
L’un de ces chefs était Abd-el-Kader. Fils d’un saint personnage, réputé lui-même pour sa piété et sa bravoure. Abd-el-Kader avait été proclamé émir par les tribus de la région de Mascara dans l’Oranie. Les Français signèrent avec lui un traité d’amitié (1834) et l’aidèrent à imposer son autorité aux autres tribus. Bien plus, désireux de se décharger sur lui de la lourde tâche d’administrer le pays, ils lui reconnurent en 1837 la session des provinces d’Alger et d’Oran, à l’exception des régions côtières, à condition qu’il admît la suzeraineté de Louis-Philippe.
Tranquilles de ce côté, les Français se retournèrent vers l’Algérie orientale et enlevèrent la ville de Constantine (1837), après un échec très meurtrier (1836). Pour donner un débouché maritime à la ville. Ils créèrent le port de Philippeville. Puis ils consolidèrent les régions déjà occupées, y fondèrent des postes militaires, y établirent des colons, y ouvrirent des routes, y desséchèrent les marais.
Brusquement, en 1839, prenant pour prétexte que les Français s’étaient avancés dans une zone qui lui était réservée, Abd-el-Kader se jeta sur la riche plaine de la Mitidja, au sud d’Alger, et la mit à feu et à sang.
Bugeaud contre Abd-el-Kader
Le gouvernement de Louis-Philippe comprit alors qu’il était impossible de faire sa part à Abd-el-Kader, qu’il fallait anéantir sa puissance et conquérir l’Algérie entière, Ce fut l’œuvre du général Bugeaud, nommé gouverneur de l’Algérie en décembre 1840.
Bugeaud finit par disposer de plus de 100 000 hommes. Depuis le début de la conquête, des corps nouveaux avaient été créés dans l’armée d’Afrique, composés soit de Français (zouaves, chasseurs à pied, chasseurs d’Afrique), soit d’indigènes (fantassins comme les tirailleurs, cavaliers comme les spahis). Entouré de bons généraux, Lamoricière, Changarnier, Bedeau, Cavaignac, Bugeaud employa de nouvelles méthodes de guerre : il allégea l’équipement des soldats, remplaça les voitures par des bêtes de somme, mit l’artillerie à dos de mulet. Les troupes furent divisées en colonnes mobiles; elles pourchassèrent l’ennemi par une incessante offensive et, pour l’affamer, firent le vide devant lui, incendiant les villages, raflant les troupeaux. Les deux adversaires se montraient également impitoyables.
En 1843 la Smala, c’est-à-dire le camp d’Abd-el-Kader avec sa famille, ses serviteurs, ses troupeaux, fut enlevée par le duc d’Aumale, l’un des fils de Louis-Philippe, Quand Abd-el-Kader obtint l’appui du sultan du Maroc, les troupes marocaines furent battues par Bugeaud sur les rives de l’Isly (1844), pendant qu’une escadre française, commandée par le prince de Joinville, bombardait les ports marocains de Tanger et de Mogador. Abd-el-Kader réussit encore quelques meurtrières surprises comme à Sidi Brahim; mais, traqué sans relâche, il dut finalement se rendre au général Lamoricière (1847).
Organisation de l’Algérie
Une ordonnance de 1845 avait divisé l’Algérie en trois provinces (Alger, Oran, Constantine), chacune divisée en territoire civil, territoire mixte et territoire arabe. Le premier, officiellement pacifié, était administré à la française par des fonctionnaires civils ; les deux autres étaient administrés par des officiers et les indigènes y gardaient leurs lois.
L’Algérie était une colonie d’un type tout à fait nouveau. D’une part les Européens y arrivèrent de plus en plus nombreux, attirés par l’espoir d’y être installés sur les terres les plus fertiles. La moitié d’entre eux seulement était composée de Français : en 1847, sur près de 110 000 colons, on comptait 48 000 Français, 31 000 Espagnols, 16 000 Italiens et Maltais. D’autre part il existait en Algérie, ce qui ne se trouvait pas aux Antilles, une population libre de deux millions d’indigènes. Comment organiser la colonisation, quel statut donner aux indigènes, quels liens créer entre ces deux populations si différentes et pourtant appelées à vivre côte à côte ?
Les Français du temps de Louis-Philippe ne savaient comment résoudre ces problèmes, si nouveaux et si délicats. Bien des systèmes furent tentés. Alors que Lamoricière voulait favoriser les grandes sociétés capitalistes, seules assez riches, disait-il, pour mettre le pays en valeur, Bugeaud les voyait d’un assez mauvais oeil; il savait qu’elles pensaient surtout à s’emparer de dizaines de milliers d’hectares, quitte à ne pas toujours les coloniser. Il aurait préféré la colonisation militaire à la manière des Romains: après qu’une région aurait été soumise, des sous-officiers et des soldats s’y établiraient et, aidés par l’Etat, la cultiveraient. Bugeaud ne fut pas suivi par le gouvernement.
Plus intéressantes étaient ses vues sur la manière de traiter les indigènes : d’abord les soumettre, fût-ce au prix de mesures impitoyables ; mais, une fois la soumission obtenue, les laisser s’administrer eux-mêmes sous le contrôle de l’autorité française, particulièrement des bureaux arabes (composés d’officiers français qui parlaient arabe et étaient au fait de toute, les questions indigènes ),les protéger contre ceux qui voudraient les dépouiller de leurs terres, améliorer leur sort matériel et moral et les rallier ainsi à la France.