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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
Niqab, burqa, hidjab et tchador.

La burqa, la burqa, la burqa vous dis-je !

Le débat semble relancé : faut-il interdire en France le port de la burqa et du niqab ? Question à la fois provocante et oiseuse, tant il semble difficile d'imaginer l'adoption aujourd'hui en France d'une loi instaurant une discrimination religieuse1. Mais, une fois de plus, un débat stigmatisant les personnes de confession musulmane, ou d'origine maghrébine, ou ...
Niqab, burqa, hidjab et tchador.
Niqab, burqa, hidjab et tchador.

Enfin, la représentation nationale se mobilise contre… la burqa

par Alain Gresh, blog du Diplo, le 21 juin 20091

Le pays est entré dans sa plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale. Les chômeurs, en nombre croissant, submergent le Pôle emploi dont les moyens ont été réduits. Les électeurs ont massivement déserté les élections européennes et exprimé leur défiance à l’égard des politiques incapables de répondre à leurs attentes. Sensible à toutes ces critiques, les députés ont décidé de réagir et, dans un sursaut d’unité nationale, sous la houlette du communiste André Gérin, ont décidé de répondre à l’appel du pays : 58 d’entre eux, en grande majorité de droite, ont décidé d’appeler à la création d’une commission d’enquête sur le défi majeur de notre époque : le port de la burqa en France (c’est la seconde commission créée par le parlement depuis l’élection de 2007, la première l’ayant été sur les conditions de la libération des infirmières bulgares détenues par la Libye).

« Un député veut lever le voile sur la burqa», écrit Catherine Coroller (Libération du 19 juin 2009) :

Pour André Gerin, il y a péril. “On voit le problème augmenter de façon exponentielle depuis plusieurs années. Sur la voie publique, sur les marchés. Toutes les semaines on a des remontées des services nous signalant qu’une femme a refusé de se dévoiler pour la photo sur sa carte d’identité, lors d’un mariage… J’ai les mêmes échos de la région parisienne, de Lille et même de zones rurales”, précise le député-maire.

Au ministère de l’Intérieur, un spécialiste du dossier confirme le phénomène en le relativisant : “Le port du voile intégral progresse et s’étend au-delà des petits noyaux d’origine, mais n’est pas pour autant en grande expansion.” Selon lui, les femmes – souvent des converties – décideraient volontairement de porter la burqa ou le niqab sous l’influence des sites Internet salafistes, ces fondamentalistes se réclamant de l’islam des origines. Jugeant la laïcité “menacée”, André Gerin propose la création d’une commission d’enquête parlementaire qui “aura pour mission de dresser un état des lieux et de définir des préconisations afin de mettre un terme à cette dérive communautariste”. Ces préconisations pourront prendre la forme d’une loi, “mais je ne veux pas tirer des conclusions a priori, précise le député. Il faut ouvrir un débat, y compris avec les musulmans, et voir ensemble à quelles conclusions on arrive”.

Le 17 juillet 2008, je remarquais déjà, à propos d’une énième polémique sur la burqa : « La seule chose dont on est certain est que ce n’est pas la dernière. Mais je ne peux m’empêcher de noter cette phrase dans Libération des 12 et 13 juillet 2008 2: « Y a-t-il davantage de frictions entre la laïcité et l’islam ? Difficile à dire, le moindre incident concernant des musulmans étant systématiquement monté en épingle. » La journaliste écrit ces quelques lignes dans un numéro dont le gros titre de Une est : « La France ou la burqa » ; et n’est-ce pas Libération qui a révélé le fameux arrêté concernant le mariage annulé et la virginité, et qui en a également fait sa Une ? ».

Dans un éditorial du Figaro du 19 juin, publié à côté du texte de l’inénarrable Yvan Rioufol (« Les silences de Barack Hussein – au cas où on aurait oublié son prénom – Obama »), Yves Thréard (« Pour que la France ne se voile pas la face ») écrit :

La France a changé depuis l’affaire dite du foulard à l’école et la loi de 2004 qu’elle a inspirée. D’abord, le simple foulard posé sur les cheveux s’est, çà et là dans les quartiers, transformé en voile intégral couvrant l’ensemble du visage, à l’exception des yeux. Ensuite, ses adeptes ne sont plus seulement des ressortissantes étrangères, mais, pour la plupart, des Françaises, nées et élevées ici.

Si le constat va de soi, faut-il se résigner à l’accepter par fatalité, comme si tel devait être le cours de l’histoire? ? À le relativiser, sans prévoir que le phénomène prendra nécessairement de l’ampleur? ? Ou encore à l’ignorer poliment, pour ne pas jeter d’huile sur le feu en rallumant une de ces guerres dont la France a le secret? ?

Marianne, fidèle à ses habitudes, annonce la défaite de la laïcité (« La loi sur la burqa ou la défaite de la laïcité », Bénédicte Charles, 18 juin) :

Le débat n’est donc pas de savoir si la burqa se développe en France : 24 heures après la dépêche de l’AFP, personne ou presque ne le nie plus. La polémique porte dorénavant sur la nécessité, ou non, d’interdire ce « vêtement » dégradant. Cinq ans après la loi sur le voile à l’école, voilà où nous en sommes : déterminer si le port de la burqa à l’Afghane ou du niqab à l’Iranienne relève ou non de la simple liberté individuelle. Finalement, la laïcité est peut-être en train de perdre définitivement la partie.

Cette polémique est un feu de paille, elle ne durera peut-être pas, mais on peut être sûr qu’elle ressurgira d’ici un mois, deux mois ou plus… Comme les Une des hebdomadaires sur l’immobilier ou sur le classement des hôpitaux (des écoles, des villes, etc.), l’islam fait partie désormais de ces « marronniers » qui reviennent régulièrement et qui ont l’avantage de remplir du papier sans demander beaucoup de travail. Nombre d’intellectuels éminents sont déjà prêts à fournir à la presse les points de vue et les libres opinions qui appellent à la résistance contre le fascisme islamique. En ce jour de célébration de l’appel du général de Gaulle, quelqu’un se fendra peut-être d’un nouvel appel à la résistance…

Sans oublier, bien sûr, les femmes afghanes… Comme l’explique le député Pierre Lellouche, représentant spécial de Nicolas Sarkozy pour l’Afghanistan, qui justifie l’intervention croissante de la France dans ce pays :

Si je me bats au quotidien pour le droit des femmes en Afghanistan, vous comprendrez bien que je souhaiterais que toutes les femmes en France aient droit à leur corps et à leur personne.

Au début des années 1980, les milices de Rifaat El-Assad, le frère du président syrien, dévoilaient les femmes dans les rues de Damas. Pourquoi ne pas créer de telles milices en France dont la tâche, en plus du dévoilement des femmes musulmanes pourrait être :

  • d’arracher les perruques des femmes juives traditionalistes que les maris obligent à se raser la tête ;
  • d’arracher les tenues des bonnes soeurs qui osent se promener en habit traditionnel (rappelons-nous cette défaite de la laïcité, quand la presse française interviewait soeur Emmanuelle portant un foulard…) ;
  • enfin, de vérifier que la longueur des jupes des jeunes filles de toutes confessions est conforme à l’idée que nous, les hommes, nous nous faisons du droit des femmes à leur corps…

Mise à jour du 22 juin

Le président a parlé. Devant les membres du parlement et du Sénat réunis en Congrès à Versailles, Nicolas Sarkozy a déjà tranché : « la burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République ». « Le Parlement a choisi de se saisir de cette question, c’est la meilleure façon de procéder », a-t-il poursuivi sans relever la contradiction : pourquoi se saisir de cette question si la réponse est déjà donnée ? En réalité, ce « débat » va occuper le devant de la scène pendant des mois, et permettre de faire passer au second plan la crise et les préoccupations sociales. Qu’importe si le résultat, au bout du compte, est de diaboliser un peu plus les musulmans français et, ainsi, d’encourager un peu plus les extrémistes…

Alain Gresh

Le débat sur la burqa nourrit des réactions identitaires au sein de la communauté musulmane

par Stéphanie Le Bars, Le Monde du 17 juillet 2009

Beaucoup n’en reviennent pas eux-mêmes. Alors qu’il y a quelques semaines ils étaient les premiers à juger «inadapté» le voile intégral arboré par certaines de leurs «soeurs», des musulmans adeptes d’un «islam du juste milieu» se surprennent aujourd’hui à prendre leur défense ou tout au moins à exprimer leur «solidarité» avec ces femmes pourtant assez peu représentatives de l’islam de France.

«Jusqu’à présent, je pouvais dire sans problème aux jeunes filles qui se posaient la question, que cette tenue est inadaptée en France. Aujourd’hui, même si je le pense toujours, je ne peux plus le dire, témoigne Abdallah Dliouah, imam dans la région lyonnaise. Ce serait ressenti comme une trahison dans un contexte où les musulmans se sentent stigmatisés.»

Echaudée par les débats qui ont précédé l’adoption de la loi de mars 2004 sur l’interdiction du foulard islamique à l’école, la communauté musulmane ressent comme une attaque contre l’islam en général les discussions engagées depuis l’installation de la mission d’information parlementaire sur le port du voile intégral en France, le 1er juillet. Présidée par le député communiste (Rhône-Alpes) André Gerin, la mission a reçu mercredi 15 juillet une dizaine d’associations féminines et les maires d’Evreux (Eure) et de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Tous les intervenants se sont prononcés pour l’adoption d’une législation permettant de donner «un coup d’arrêt» à ces pratiques «antirépublicaines, racistes, machistes, communautaristes ou troublant l’ordre public».

«Les musulmans, quelles que soient leurs convictions religieuses, sont scandalisés que l’on envisage une nouvelle loi d’interdiction, qu’ils jugent islamophobe», assure Saïd Branine, responsable du site Oumma.com. «Et pourtant, a priori, l’écrasante majorité des musulmans ne sont pas très partants sur le niqab», précise le webmaster, qui a lancé un sondage sur le sujet et dont les résultats seront envoyés en septembre à la mission. Le site a aussi mis en ligne un sketch qui dénonce l’absurdité d’arrêter une femme en niqab.

Les sites communautaires foisonnent de réactions dénonçant «l’acharnement» ou l’opportunité politique d’un débat destiné à «détourner l’attention de l’opinion publique des difficultés» du moment. Beaucoup craignent que cette attaque anti-burqa ne cache une nouvelle offensive contre «le voile islamique normal». «C’est une étape pour rendre plus difficile la vie des musulmans en France», s’inquiète M. Dliouah.

Une pétition «contre une nouvelle loi islamophobe» a recueilli quelque 5 700 signatures en trois semaines. Elle met en garde contre «le repli communautaire, les tensions identitaires et les discriminations sociales des musulmans» que, selon les initiateurs du texte, une nouvelle loi ne manquerait pas de provoquer. «La France aura les musulmans qu’elle mérite, écrit l’un des signataires, Jamal Elmidaoui, citoyens à part entière, intégrés à la communauté nationale ou entièrement à part et repliés sur eux-mêmes.»

«Sur ce sujet, les musulmans sont écorchés vifs et il n’y a guère de place pour le débat ou la nuance, estime Mohammed Colin, responsable du site Saphir news. Ce débat est perçu comme une agression contre l’islam. Lorsqu’on maltraite une partie de l’identité d’une personne, on la renforce. C’est un jeu dangereux. Couplé au meurtre d’une musulmane dans un tribunal en Allemagne, il suscite un climat de paranoïa inquiétant.»

Une partie des musulmans regrette le fossé qui se creuse sur cette question avec les non musulmans, qu’ils sentent «majoritairement favorables à une loi». Des tensions sont en outre apparues entre des salafistes, partisans du niqab, et certains imams. Mahmoud Doua, imam à Talence en a fait les frais le 5 juillet : après une intervention télévisée dans laquelle il condamnait pourtant le principe d’une loi, il s’est fait molester par des salafistes. Il a porté plainte.

Stéphanie Le Bars

  1. Source : http://blog.mondediplo.net/2009-06-21-Enfin-la-representation-nationale-se-mobilise.
  2. «L’islam est-il incompatible avec la laïcité ?» par Catherine Coroller.
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