Déclaration commune des quatre fondateurs de l’association
Nous sommes quatre anciens appelés en Algérie.
A cette époque, nous les gars du contingent, nous n’avons rien dit. Nous n’avons pas eu le courage de hurler notre désaccord au monde.
Aujourd’hui, bien que percevant de modestes retraites, nous avons décidé de refuser pour nous-mêmes la retraite du combattant et de la reverser à des populations qui souffrent de la guerre ou à des organismes qui oeuvrent pour la paix.
Ce que nous avons vu et vécu en Algérie, l’inutilité de ce conflit, la conscience de l’horreur de la guerre, le désir de transmettre cette mémoire aux jeunes générations, nous poussent à cette démarche.
Dans cet esprit, nous venons de créer l’AAAACG : Association des Anciens Appelés en Algérie Contre la Guerre
Au fil du temps, les quatre fondateurs ont été rejoints par des anciens appelés de toute la France, nommés «membres adhérents», et par des sympathisants, appelés «amis».
Lors de l’assemblée générale à Lyon, les amis étaient intégrés comme membres actifs de l’association dont le nom devient: Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis contre la Guerre
Rémi Serres
agriculteur retraité, marié, père de 3 enfants, militant pacifiste et ancien membre de la Confédération paysanne1
Février 1958, j’ai 20 ans, je découvre la guerre. Et la misère : les enfants pieds nus dans la neige, courant derrière le camion poubelle, cherchant parmi les détritus un quignon de pain ou un reste de sardines en boîte
Opérations, embuscades, accrochages se succèdent.
Les regroupements de population vident les villages, qui sont brûlés par l’armée française.
Prisonniers abattus sans jugement, femmes violées, torture instituée en système : rien ne justifie de telles pratiques. Et nous les appelés nous avons gardé le silence. Nous n’avons rien dit.
Cette guerre, comme la plupart d’entre nous, m’a profondément marqué.
A mon retour, j’ai tenté d’oublier. Jusqu’au jour où mon fils, objecteur de conscience et insoumis, m’a demandé de témoigner à son procès. J’ai accepté, et ainsi j’ai pu dire publiquement combien la guerre est une absurdité, et par conséquent le service militaire, qui n’est rien d’autre qu’une préparation à la guerre.
Mon fils a été relaxé. Mais l’accusation ayant fait appel, mon fils fut à nouveau poursuivi et obligé de se cacher pendant dix longues années.
A 65 ans, j’aurais eu bien des raisons de toucher la retraite du combattant, eu égard à la modeste retraite d’agriculteur. Mais pour moi, cet argent était taché de tout le sang coulé en Algérie, chargé de toutes les souffrances infligées au peuple algérien. Cet argent, je n’en voulais pas pour moi. Mais je voulais qu’il soit utile à ceux que nous avions fait souffrir.
J’en ai parlé au Comité des Objecteurs du Tarn. Le COT m’a aidé et encouragé dans ma démarche. Il fallait trouver d’autres appelés. Georges Treilhou a dit oui et a été immédiatement très actif. Deux autres compagnons nous ont rejoints : Armand Vernhettes et Michel Delsaux.
C’était parti pour l’aventure ! Conférences, réunions, rencontres se sont succédées. Et un jour, Daniel Mermet me téléphone et propose une rencontre. Il est venu à la ferme enregistrer son émission Là-bas si j’y suis en présence du « groupe des quatre » et des membres du COT. C’est ce jour-là qu’a vraiment commencé à se développer notre association.
Je tiens beaucoup à remercier nos amis du COT. Sans eux, nous n’aurions jamais vu le jour. Ce sont eux qui ont su rendre concrète notre idée de départ. Merci !
Armand Vernhettes
agriculteur en retraite, marié, père de 2 enfants , ancien responsable professionnel, élu communal et cantonal de 1965 à 2001
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Affecté dans dans une compagnie disciplinaire en mars 1959 pour avoir refusé une formation de gradé, j’arrive en Algérie en juillet 1959. Dès la seconde nuit, on me met un GMC dans les mains pour une opération, avec 30 gars sur le plateau.
Très vite, je suis muté dans un commando de chasse, avant de rejoindre une nouvelle compagnie, où je rencontre Rémi Serres sur un piton de Grande Kabylie, où nous avons passé plusieurs mois. Puis Rémi est libéré.
De retour en France, nous nous rencontrons à nouveau. Et nous prenons conscience, enfin, de ce qui s’est passé. Conditionnés, mal informés, nous n’avons pu, ni su, réagir. La torture existait dans notre camp comme partout. Pratiques ignobles, corvées de bois, «liquidation» d’enfants et de vieillards, viols, prisonniers attachés à des figuiers en plein soleil pendant plusieurs jours… L’opération Jumelles se déployait : ratissage systématique, bombardements au napalm, montagnes et villages calcinés, rien ni personne n’échappait au désastre…
A l’âge de 65 ans, au moment où nous pouvions demander la retraite du combattant, nous n’avons pas pu. C’est alors que Rémi a l’idée de s’engager dans une action réparatrice envers les Algériens et l’Algérie. Nous nous retrouvons à quatre, et en collaboration avec le Comité des Objecteurs du Tarn, nous décidons de créer l’association des anciens appelés en Algérie contre la guerre.
Aujourd’hui le groupe a grandi, s’est enrichi de camarades partageant les mêmes valeurs.
Nous avons dû nous structurer et nous répartir les tâches.
Nos intentions de rencontres avec nos anciens soi-disant ennemis se concrétisent.
Pour moi, voilà une retraite qui concourt à une meilleure compréhension entre les hommes, et surtout qui permet à cette graine porteuse d’espoir de se développer et d’aider à la Paix entre les hommes et les pays, et plus particulièrement, en ce qui nous concerne, entre l’Algérie et la France.
Michel Delsaux
éleveur ovin, père de 4 enfants, ancien conseiller technique à la Chambre d’agriculture et ancien maire de Montredon (Tarn)3
Appelé en juillet 1957.
Arrivé en Algérie en septembre 1958, pour 14 mois, dans la région de Tizi Ouzou.
Sans y avoir participé directement sur le terrain, j’ai été confronté aux conséquences de cette sale guerre. Les souffrances infligées à la population algérienne, et celles subies par nos camarades, sont de celles qui ne s’oublient pas. Les exactions de toutes sortes, les villages incendiés, les tortures touchant indistinctement hommes, femmes et enfants, laissent en chacun de nous des traces indélébiles.
Quarante ans plus tard, en 2003, je rencontre Rémi Serres au cours d’une réunion. Il me demande si je serais d’accord pour demander ma retraite de combattant afin de la reverser à des associations travaillant en faveur de la paix, en Algérie et ailleurs. Naturellement, c’est oui !
D’autant que cette idée rejoignait une réflexion qui m’était personnelle depuis longtemps déjà, sur l’inutilité des guerres, et la nécessité de travailler pour la paix.
La Grande Guerre, celle de 39/45, n’ont pas suffi aux hommes pour se convaincre de cette évidence, puisque les guerres continuent…
Mais un espoir : que notre réconciliation avec le peuple algérien se fasse comme s’est faite la réconciliation entre les peuples allemand et français…
Georges Treilhou
agriculteur tannais, marié, père de 5 enfants, militant syndical et militant de la paix et des droits de l’homme dans de nombreuses associations4
Nous sommes de la génération envoyée en Algérie, officiellement pour «le maintien de l’ordre », en réalité pour mener une guerre coloniale. A l’époque nous avions vingt ans et peu de conscience politique. Nous sommes partis contraints et forcés mais, pour la plupart, sans résistance. Puis l’armée, entreprise de déshumanisation s’il en est, a su nous conditionner pour nous couler dans le moule. Nous avons pris conscience à notre retour que cette guerre était sans issue et que le pays des droits de l’homme ne s’y comportait pas toujours de façon exemplaire. Les combattants de l’ALN n’étaient pas, comme on nous le disait, que des terroristes sanguinaires, mais l’expression d’un peuple opprimé qui tentait de se libérer. De plus, une minorité puissante de pieds-noirs, hostile à toute évolution, cramponnée à ses intérêts à court terme, minait les intérêts de leur communauté.
Nous avons essayé d’en parler, mais l’opinion française était majoritairement mal informée. Ce que nous disions n’intéressait personne. Alors nous avons mis « le couvercle sur la marmite » et nous avons gardé le silence.
A 65 ans. s’est posée la question de la retraite dite du «combattant ».
Lors d’une réunion de la Confédération paysanne, mon ami Rémi Serres m’interpelle: «Pourquoi ne pas créer une association à qui nous verserions nos retraites pour les redonner ensuite à des gens qui souffrent ou ont souffert de la guerre ? » C’est ainsi que fin 2003, à Albi, l’idée s’est concrétisée par la création d’une association loi 1901. La décision a été prise de commencer à quatre et le 8 janvier 2004 nous avons organisé une conférence de presse ou étaient conviées la presse locale, régionale et nationale, et la radio locale.
Nous avons tout de suite compris que cette démarche séduisait mais aussi dérangeait. Les réactions l’ont vite confirmé (encouragements, mais aussi insultes et menaces ).
Dès le début nous avons voulu que le reversement de nos retraites bénéficie en priorité à l’Algérie, car c’est au peuple algérien que nous avons fait du mal. C’est notre manière de dire « plus jamais ça » autrement que par des discours. Dès la deuxième année, nous avons travaillé avec l’Algérie. Nous avons fait un choix : ne pas être une association caritative ou d’assistance. Nous préférons aider les gens à concevoir et réaliser « leur » projet.
Au-delà du symbole du reversement de nos retraites. nous nous sommes fixés deux objectifs essentiels :
- Cinquante ans après cette sale guerre qui nous a marqués à jamais, il est urgent de tourner la page comme nous avions su le faire avec le peuple allemand. Nous devons donc apporter notre pierre à une réconciliation sincère et indispensable avec le peuple algérien. Les projets que nous soutenons peuvent y aider.
- Nous devons dire inlassablement que :
- aucun conflit ne peut se résoudre durablement par les armes
- la guerre est un engrenage infernal qui conduit fatalement à la barbarie
- nul homme ne revient intact d’une guerre, que ceux qui y sont morts n’ont pas donné leur vie, mais qu’on la leur a volée.
C’est ce message que nous essayons de transmettre, notamment aux jeunes des collèges et lycées qui nous demandent de témoigner.
En résumé. nous voulons dire ceci :
Après les échecs français et américains au Vietnam, après le drame algérien, après la faillite de l’intervention soviétique en Afghanistan, après l’enlisement effroyable en Irak et en Palestine, les dirigeants n’ont-ils pas encore compris que la guerre, avec son cortège de morts civils et militaires, ne règle en rien les problèmes ?
En tant qu’anciens appelés, nous avons le devoir de dénoncer cette folie. A vingt ans nous n’avons pas su ou pas pu réagir. Aujourd’hui nous n’aurions aucune excuse de nous taire!
Le Général de Bollardière avait compris que, au-delà du maintien de l’ordre, c’est le développement concerté qui peut ramener la Paix : utopie ou vérité pour demain ?
Charte des valeurs et objectifs de l’association 4acg
L’Association des Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre
est une association laïque indépendante de toute institution politique, philosophique ou religieuse :
- elle se situe résolument en faveur du respect de la personne humaine, de sa dignité, de son intégrité et de ses droits,
- elle entend s’opposer à tout ce qui détruit ou mutile cette dignité, entrave le développement de tout l’Homme et de tous les Hommes, à tout ce qui prive les peuples du droit à disposer d’eux-mêmes,
- elle refuse la violence et la guerre comme moyens de résolution des conflits, car générant toujours une spirale qui conduit fatalement à la barbarie.
Aussi l’association se déclare-t-elle particulièrement attachée :
- au respect des droits de l’Homme, en particulier à l’application des principes énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,
- à la reconnaissance de l’appartenance à une commune famille de tous les hommes, lesquels doivent exercer, en vue d’un monde plus juste, un mutuel devoir de solidarité et de fraternité,
- à l’amélioration des rapports humains, par l’effort de compréhension des différences culturelles, philosophiques, religieuses et politiques, pour établir une relation non pas basée sur le mépris, le racisme, le rapport de force mais sur la recherche de la paix, qui ne peut exister sans la justice,
- à la résistance, en partenariat avec d’autres associations, à tout ce qui opprime l’homme et qui déshumanise autant l’opprimé que l’oppresseur.
Ses objectifs prioritaires sont :
- de pérenniser ce que les fondateurs ont voulu promouvoir, en particulier financer des opérations de développement dans un but de solidarité, de soutien, de réparation vis à vis du Peuple Algérien et en faveur des populations qui souffrent de la guerre, en reversant leur retraite du combattant à l’Association,
- de travailler, avec les Algériens qui partagent ses valeurs, à la réconciliation de nos deux peuples,
- d’éveiller la vigilance des jeunes par un travail de mémoire et de transmission de ce que ses membres ont vécu, notamment des dérives et abus commis pendant la guerre d’Algérie,
- d’encourager ses membres et ses amis à s’informer des problèmes de société ainsi qu’à lutter contre les situations d’oppression et de manquement aux droits et à la dignité de l’Homme.