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Édition du 1er au 15 novembre 2024

L’universitaire Farid Laroussi parle d’un nouveau révisionnisme à propos de la notion de rôle positif de la colonisation

Farid Laroussi est professeur de littérature française contemporaine et de littérature francophone du Maghreb à l'université Yale (Connecticut) aux Etats-Unis. Dans un article paru dans "Le Monde" du 12 mai 2005, il considère que les travaux de chercheurs comme Raphaëlle Branche, François Burgat, Mohammed Harbi, Abdelmalek Sayad ou Benjamin Stora ont établi que le colonialisme français en Afrique du Nord était une entreprise fondée sur l'abus et la violence. Pourquoi la France rebrousse-t-elle chemin sur la question coloniale ? Une République fondée sur les principes d'égalité et de liberté commencerait par demander pardon, c'est-à-dire entrer véritablement dans l'histoire de l'Autre.

Un nouveau révisionnisme

par Farid Laroussi, article paru dans Le Monde le 12 mai 2005.

Sans doute l’exercice de réécriture de l’histoire par le corps législatif est-il autant conditionné par les idéologies ambiantes que par une mauvaise conscience qui ne dit pas son nom. Le dernier exemple français de moquerie historique a eu lieu cet hiver à l’Assemblée nationale. La loi du 23 février 2005 consacre « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » , déclarant tout net que le colonialisme français a été un bienfait.

Auteur du projet de loi, le député Diefenbacher (UMP, Lot-et-Garonne) a sérieusement évoqué devant l’Assemblée « les attentes de la mémoire » et « la vérité historique » . Moi qui avais longtemps cru que le colonialisme avait été affaire d’exploitation économique, de répression politique, d’éradication culturelle et de mascarade identitaire – ­ des deux côtés, d’ailleurs ­-, j’en ai été pour mes frais. Ce fut ma matinée chez la princesse de Guermantes, version temps retrouvé à travers le révisionnisme.

Une pétition conjointe d’universitaires et de la Ligue des droits de l’homme (LDH) circule contre ce qu’ils désignent comme une « loi historicide ». Mais tant que le monde politique ne sera pas l’initiateur d’une impulsion critique, n’en référera-t-on pas à une mystification qui, outre qu’elle n’enseigne rien, historiquement parlant, contraint la réalité sociale à plus de tensions ?

Ce raturage en règle de la mémoire des peuples nous ramène au malaise actuel, né d’une diversité mise à mal par l’échec de l’intégration, ou au vote d’une loi, en 2004, qui officialise la discrimination sur la base de la confession, c’est-à-dire de l’identité. Le ministre Hamlaoui Mekachera parle, dans Le Monde (8-9 mai), de « polémiques infondées » . Mais il incombe à tous, aujourd’hui comme hier, de « polémiquer », sans quoi des centaines de millions d’hommes et de femmes auraient enduré en vain le poids d’un système raciste et de spoliation permanente.

Outre une mauvaise foi patente, quand il évoque la « fraternité d’arme » au sujet des colonisés enrôlés dans la boucherie de 1914-1918, les défenseurs de cette loi ne parviennent pas à trouver un centre de gravité moral face à ce qui ne fut rien d’autre qu’une faillite de l’histoire – ­ et que l’on nomme colonialisme.

Il y a quelques années, un universitaire marocain m’avait déclaré que les Français, je cite, « nous ont construit des chiottes publiques et installé le chemin de fer » . « Sans eux, ajouta-t-il, où en serait-on ? » La mentalité coloniale exhibe de beaux restes. L’estime dont elle continue à recevoir le témoignage dans les pays où elle a été la plus radicale est une curiosité qui a de quoi nous faire douter, justement, du sens de l’histoire.

Les travaux probants de chercheurs comme Raphaëlle Branche, François Burgat, Mohammed Harbi, Abdelmalek Sayad ou Benjamin Stora ont établi que le colonialisme français en Afrique du Nord s’est défini comme une entreprise fondée sur l’abus et la violence. Mais les colonisés auraient mauvaise grâce de se plaindre de la peine que la France s’est donnée pour faire d’eux des citoyens civilisés qui auraient un jour pignon sur la modernité, celle qui passe par la condition postcoloniale.

Tant pis pour les immigrés du continent africain et leurs enfants, dépeints aujourd’hui comme un péril pour le mythe républicain, qui ne sont, au fond, que des survivants. N’est-ce pas cette évidence qui s’annonce dans le futur Musée de l’immigration (prévu en 2006, dans les bâtiments construits pour l’Exposition coloniale de 1931), qui postule une liquidation de la mémoire tant qu’il n’y aura pas de Musée du colonialisme ?

Si l’on désire que l’aliénation d’une époque donnée devienne plus ou moins surmontable pour tous, il faut que les institutions politiques et culturelles de ce pays cessent de refaire l’histoire et prennent conscience de leur rôle historique. Un demi-siècle a été nécessaire à la France pour qu’elle fasse son mea culpa pour son judéocide, sous le gouvernement de Vichy. Il existe désormais un jour du souvenir des déportés. A quand celui des colonisés ? Pourquoi la France rebrousse-t-elle chemin sur la question coloniale ? N’y aurait-il pas comme une parenté retrouvée entre une idéologie qui décide l’élimination d’un peuple et une autre qui valide l’asservissement total de nations entières ?

Les vraies qualités politiques d’une République fondée sur les principes d’égalité et de liberté exigent aujourd’hui un dévouement particulier qui commencerait par demander pardon, c’est-à-dire entrer véritablement dans l’histoire de l’Autre.

Farid Laroussi

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