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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

L’inquiétant visage de l’identité nationale, par Bernard Girard

Après ses commentaires sur la circulaire Besson aux préfets, Bernard Girard1 revient sur le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 12 novembre 2009 à la Chapelle-en-Vercors. L'enseignant en histoire dénonce dans ce discours une stigmatisation de toute une partie de la population : jamais expressément nommées, mais clairement identifiées par les comportements mis en cause – même s'ils sont ultra-minoritaires –, les personnes immigrées ou “issues” de l'immigration sont désignées comme des menaces à notre soi-disant «identité nationale française».

L’inquiétant visage de l’identité nationale

L’instrumentalisation de l’histoire par Sarkozy n’est pas une chose nouvelle : du discours de Dakar à celui du Latran, de la récupération de Jean Jaurès à celle de Guy Môquet, de l’esclavage aux enfants de la Shoah, le chef de l’État a eu maintes fois l’occasion de montrer, outre sa très grande ignorance du passé, une forte propension à sortir les faits historiques de leur contexte pour les tourner à son profit personnel. Mais avec le discours tenu le 12 novembre à la Chapelle-en-Vercors, il est allé beaucoup plus loin, beaucoup trop loin.

De la guerre de Cent ans à Bir Hakeim, de Valmy au Chemin des Dames, dans un invraisemblable salmigondis de dates, de faits sans rapport les uns avec les autres, de personnages, Sarkozy a tracé sa conception simpliste et caricaturale de l’identité nationale qui se ramène, selon lui, à la « fierté » d’être français, à l’ « amour de la patrie ». Une nationalité, où les souvenirs religieux – le sacre de Reims, Notre-Dame de Paris ou le Mont-Saint-Michel – et militaires occupent une place quasi exclusive. Souvenirs religieux ? Chrétiens, plus exactement, car dans cette mémoire figée, pétrifiée, de la collectivité, aucune place n’est laissée aux Protestants, aux Juifs, aux Musulmans, aux non-croyants, à tous ceux dont il faut bien reconnaître que, dans l’histoire, ils ont été davantage opprimés par l’Eglise catholique que le contraire. Cette fixation sur les racines chrétiennes de la France n’empêche d’ailleurs pas Sarkozy, le chanoine de Latran, de vanter les mérites de la laïcité : « la France – affirme-t-il – est un pays où il n’y a pas de place pour la confusion du spirituel et du temporel ».

Pour arriver à ses fins, Sarkozy, on le voit, n’est pas à une contradiction près : l’allusion à la confusion du spirituel et du temporel prend place, dans le discours présidentiel, juste après une digression pas vraiment fortuite sur la burka : « La France est un pays où il n’y a pas de place pour la burka, où il n’y a pas de place pour l’asservissement de la femme (…) ». Et c’est à partir de là que tout dérape : d’insinuations malveillantes en allégations péremptoires, par petites touches successives, toute une partie de la population se trouve, de fait, même si elle n’est jamais expressément nommée, stigmatisée, mise à l’écart de la collectivité.

Bien que la burka, de l’aveu des autorités, soit un phénomène ultra-marginal, et, de toutes manières, sans rapport avec l’Islam, Sarkozy saisit l’occasion pour se lancer dans une violente diatribe contre des comportements dont il sait bien qu’ils seront attribués à l’immigration. « La France est un pays où il n’y a pas de place pour l’asservissement de la femme ». Qui est visé sinon la religion musulmane ? « On ne peut pas vouloir bénéficier de la sécurité sociale sans jamais se demander ce que l’on peut faire pour son pays ». Que dénonce-t-on, sinon ces « vagues » d’immigrés qui viennent creuser les déficits sociaux ? « On ne peut pas vouloir bénéficier des allocations chômage sans se sentir moralement obligé de tout faire pour retrouver du travail parce que les allocations sont payées par le travail des autres ». Qui est ainsi désigné à la vindicte populaire sinon ces étrangers qui viennent manger le pain des Français ? « On ne peut pas vouloir profiter de la gratuité des études (…) et ne pas être assidu aux cours, ne pas témoigner de la considération pour ses professeurs et ne pas respecter les bâtiments qui vous accueillent ». Mais de qui parle-t-on sinon de ces jeunes, à la peau sombre, qui encombrent nos écoles et contribuent au déclin de ce qui est « l’une des plus belles conquêtes de la République » ?

D’un responsable politique politique digne de ce nom, on pourrait espérer une analyse un peu moins sommaire sur le chômage, les déficits sociaux ou l’échec scolaire et qui se sont d’ailleurs aggravés par sa faute. Mais la dénonciation brutale et inconsidérée de toute une population, pourtant constitutive de la collectivité, permet de contourner ce questionnement. Le débat identitaire, voulu par Sarkozy et organisé par un ministre chargé de lutter contre l’immigration, est pervers et biaisé. Il joue sur les peurs, les phobies, entretient les vieux fantasmes racistes et xénophobes, donne une légitimité nouvelle à une extravagance anthropologique qui était jusque-là l’apanage de l’extrême-droite, celle du Français « de souche », nécessairement menacé par l’étranger.

C’est à la Chapelle-en-Vercors, haut lieu de la résistance au nazisme que Sarkozy, dans son discours, a rassemblé dans un même amalgame l’invasion de la France par l’armée allemande en 1940 et les immigrants d’aujourd’hui. Ce nouvel exemple de la manipulation de l’histoire dont il est coutumier, et qui dépasse, par sa force symbolique, ce à quoi il nous avait jusqu’ici habitués, ne semble pas avoir présentement suscité – en particulier dans la mouvance liée à la mémoire de la Résistance – de réactions à la hauteur de l’imposture. Est-ce le signe qu’en France on s’habitue peu à peu à l’intolérable ?

Bernard Girard


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