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Édition du 15 mars au 1er avril 2025

l’impunité des dirigeants israéliens, une des causes principales de la poursuite de la guerre

L’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le jeudi 5 novembre, une résolution demandant à Israël et aux Palestiniens d’enquêter sur les accusations de crimes de guerre contenues dans le rapport Goldstone sur la guerre dans la bande de Gaza.
Après deux jours de débats, ce texte, non contraignant, a été voté par 114 voix contre 18 et 44 abstentions. Israël et les Etats-Unis ont voté contre, de même que plusieurs pays européens2. Dès vendredi matin, Israël a rejeté la résolution, arguant par la voix du ministère des affaires étrangères qu’elle "est totalement coupée des réalités auxquelles Israël fait face sur le terrain".
Le texte s’appuie sur les conclusions du rapport sur l’intervention israélienne dans le territoire palestinien, en décembre et janvier derniers, établi par le juriste sud-africain Richard Goldstone et commandé par le conseil des droits de l’homme de l’ONU. Dans son rapport, rendu public le 15 septembre, le juriste fustige les deux parties mais réserve ses traits les plus durs à Israël. Le conflit s’est soldé par la mort de près de mille quatre cents Palestiniens et de treize Israéliens.3
L'Etat d'Israël a le droit de se défendre, mais dans le respect de ses obligations à l'égard du droit humanitaire international et du droit international. Laisser son agression à Gaza bénéficier de l'impunité inciterait Israël à commettre d'autres crimes de guerre et d'autres crimes contre l'humanité, comme l'expose Pierre Stambul, membre du Bureau National de l’Union Juive Française pour la Paix, dans l'entretien repris ci-dessous.

Ce qui vient de se passer est pire qu’une erreur d’analyse

Interview de Pierre Stambul, Le Jour d’Algérie, le 9 octobre 20091

  • 1) Vous avez été parmi les nombreuses personnes, dont des Juifs, ayant condamné cette guerre et soutenu la population de Gaza. Quel est votre sentiment par rapport à la réalisation du rapport Goldstone?

Une des principales causes de cette guerre qui dure depuis des décennies, c’est l’impunité des dirigeants israéliens. C’est le fait qu’à diverses périodes de l’histoire, ils ont pu violer frontalement le droit international, tuer sans procès, « nettoyer ethniquement » des territoires, interdire aux Palestiniens le retour dans leur pays, raser le Sud-Liban ou commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Gaza. Il n’y a jamais eu de sanctions alors que partout dans le monde, des dirigeants ou des Etats ont été sanctionnés pour moins que cela. Pour l’establishment israélien, l’absence de sanctions équivaut à un permis de tuer, au permis « d’achever la guerre de 48 » comme ils le disent si bien en « transférant » les Palestiniens au-delà du Jourdain. Faute de sanctions, les dirigeants israéliens peuvent continuer face à leur opinion publique à se considérer comme des victimes.

À propos du rapport Goldstone, il faut savoir que son auteur est un Juif sud-africain réputé favorable au sionisme. Mais à la suite du travail tenace et très précis qu’il avait fait contre les criminels de guerre en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, Richard Goldstone a fait un travail extrêmement sérieux.

Pour les Palestiniens, il y a une répétition de vexations qu’ils ont déjà subies : après la catastrophe (Naqba) de 1948, ils avaient été nombreux à témoigner, à expliquer leur souffrance ou le fait que leur expulsion avait été délibérée et organisée. Il aura fallu attendre l’ouverture des archives israéliennes et la confirmation de cette expulsion par les historiens israéliens pour qu’ils soient enfin crus. À propos des crimes commis à Gaza, tous les témoignages palestiniens ont montré que les Israéliens avaient délibérément frappé des zones civiles, massacré des réfugiés, utilisé des armes interdites, tiré contre les hôpitaux. « Propagande », répondaient les dirigeants israéliens. L’importance du rapport Goldstone, c’est qu’il confirme toutes les accusations. Et il donne une matière juridique pour inculper les dirigeants israéliens civils (Livni, Barak, Olmert …) ou militaires (Ashkénazi, Yaalon …).

  • 2) Quel est votre sentiment par rapport au report de son étude par l’assemblée générale de l’ONU ?

Je partage totalement l’étonnement et la colère de toutes les ONG palestiniennes. Il y avait avec le rapport Goldstone une occasion unique de démontrer aux yeux de tous qu’Israël a un comportement d’Etat voyou. Il y avait une occasion unique de traîner en justice les responsables du massacre de Gaza. Il faut savoir que les Israéliens voyagent beaucoup et que 15% d’entre eux vivent à l’étranger. Ils sont politiquement, économiquement ou moralement extrêmement sensibles à ce qui se dit d’eux. La prise en compte du rapport Goldstone aurait pu (et aurait dû) être un tournant majeur annonçant l’isolement de ce pays et l’inculpation de ses dirigeants. On pouvait espérer que, comme Pinochet arrêté en Angleterre pour ses crimes commis au Chili, des dirigeants israéliens seraient enfin appelés à répondre de leurs crimes. On vient d’assister à un terrible gâchis, aux conséquences graves, qui nous ramène en arrière et qui offre une victoire facile à Nétanyahou.

  • 3) Certains ont accusé la direction politique palestinienne de « trahison » après ce report? Que s’est-il réellement passé selon vous pour que ce rapport ne soit pas discuté en cette date à l’assemblée générale de l’ONU ?

Il n’est pas facile pour une association juive française de dire qui sont les bons ou les mauvais Palestiniens. Mais la décision politique de l’Autorité Palestinienne de contribuer à enterrer le rapport Goldstone est à la fois une catastrophe et une faute politique majeure. Notre sentiment est partagé par toutes les ONG palestiniennes, par les milliers de manifestants qui ont essayé de défiler à Ramallah, et bien sûr par les survivants de Gaza pour qui ce report est une insulte.
En privé, j’ai pu à plusieurs reprises discuter avec des dirigeants palestiniens liés à l’Autorité Palestinienne. Ils sont les premiers à dire que les concessions à sens unique, les pseudo négociations où l’on ne discute que de la sécurité de l’occupant et les négociations parrainées par les Etats-Unis, ne mènent nulle part et tournent le dos à une paix juste. En public, la seule voix qu’on entend du côté de l’Autorité Palestinienne, c’est celle d’une bourgeoisie proaméricaine qui se fait aujourd’hui traiter de « collabo » par de nombreux Palestiniens.

Déjà le congrès du Fatah à Bethléem avait donné l’image assez triste de délégués, arrivant en voiture de luxe, coupés de leur peuple, insensibles à la colère montant y compris de la base de leur parti et réaffirmant une stratégie de soumission à l’Amérique.

Qu’est-ce qui a dû se passer ? Les Israéliens ont dû dire que si l’Autorité appuyait le rapport Goldstone, ce serait la fin du « processus de paix ». Comme si ce processus existait. Nétanyahou a fait sa campagne électorale sur une agression « préventive » contre l’Iran en passant sous silence toute évocation de négociations. En bon héritier de Jabotinski qui fut il y a 80 ans l’idéologue de la conquête sioniste, il est pour le « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des 5 millions de Palestiniens qui vivent en Palestine au-delà du Jourdain. Il veut tout garder : Jérusalem, les colonies, la vallée du Jourdain. Comment l’Autorité Palestinienne peut-elle faire croire à un quelconque processus de paix ? Il y a là, pour le moins, une méconnaissance complète du sionisme et de sa stratégie. On peut imaginer que l’Autorité Palestinienne joue la carte Obama en espérant qu’après le discours du Caire, celui-ci finira par faire pression sur les dirigeants israéliens. C’est l’inverse qui se passe et ce sont les Etats-Unis qui font pression sur l’Autorité Palestinienne pour qu’elle renonce sans avoir rien obtenu en échange à ce que la Justice internationale fasse appliquer le droit.

Ce qui vient de se passer est pire qu’une erreur d’analyse. Seuls le boycott, le désinvestissement, les sanctions, les poursuites juridiques contre les dirigeants, l’isolement politique, moral et économique d’Israël peuvent débloquer la situation et obliger la société israélienne à changer de cap. Avec le rapport Goldstone, cet objectif était facilité.

Je ne parle pas des centaines de milliers de victimes de Gaza pour qui ce report est une horreur et une forme de négationnisme de ce qu’ils ont subi.

  • 4) L’étude de ce rapport par l’assemblée générale de l’ONU aurait-elle, d’après vous, pu arriver à une condamnation de cette guerre par l’opinion publique internationale et l’institution onusienne ?

Oui, bien sûr. Depuis la guerre du Liban et encore plus depuis le massacre de gaza, les opinions publiques évoluent. On voit des associations de la société civile, des syndicats se rallier à l’idée du boycott d’Israël. Plus personne ne peut ignorer l’occupation et le maintien contre la Palestine d’une domination de forme coloniale. Plus personne ne peut ignorer que les dirigeants israéliens ont choisi la fuite en avant, l’annexion et l’occupation sans fin. Les opinions publiques ont fortement évolué alors que les gouvernements, surtout en Europe, ont fait la démarche inverse. Une condamnation juridique internationale des crimes de guerre israéliens serait le moyen d’obliger ces gouvernements à cesser ce soutien indigne, au colonialisme et à la destruction de la Palestine.

Sur l’institution onusienne, je suis personnellement critique. C’est par un vote de l’ONU que l’Etat d’Israël a été créé, mais l’ONU n’a jamais été capable d’imposer le droit au retour des Palestiniens ou l’évacuation des territoires occupés. Cette impuissance interroge.

  • 5) L’étude de ce rapport aurait-il pu, comme le disent certains responsables israéliens, porter préjudice à la relance des négociations de paix ?

J’ai envie de dire, c’est quoi la paix ? Quand les dirigeants israéliens parlent de paix, ça veut dire souvent « foutez-nous la paix ». Il y a 60 ans, la grande majorité des Palestiniens a été expulsée de son pays. Négocier la paix, c’est reconnaître ce « crime fondateur » et examiner par la négociation les moyens de « réparer ». Cela ne peut se faire que sur la base du droit international et d’une totale égalité des droits dans la région. Jamais, les négociations n’ont été faites sur cette base et c’est la raison de l’échec total du processus d’Oslo. Négocier en parlant de la sécurité de l’occupant et en n’attaquant pas frontalement les questions de l’occupation, des colonies, des prisonniers ou des crimes commis ne mène nulle part. Tous les gouvernements israéliens veulent imposer comme préalable le fait accompli. Sur cette base-là, une fois de plus on exigera une capitulation des Palestiniens et s’ils refusent (comme Arafat à Taba et Camp David), on les condamnera à mort et on cherchera des dirigeants plus dociles. Ce n’est pas une « relance des négociations de paix » qu’il faut viser. C’est l’application du droit international qui fixera les bases de la négociation.

En ce qui concerne le gouvernement actuel en Israël, il est clair qu’il ne voudra jamais d’une paix qui soit autre chose qu’une capitulation. Il saura courber la tête s’il se fâche avec Obama en consolidant le fait accompli et en attendant des jours meilleurs. Négocier avec lui sans rapport de force est une illusion dangereuse.

« Nous ne sommes pas une armée de pillards et de braqueurs », se défend Israël

[LEMONDE.FR avec AFP, le 10 novembre 2009 18h47]

L’armée israélienne a commis des « erreurs » et des civils ont été touchés « accidentellement » durant la dernière offensive à Gaza, mais elle n’a commis aucun crime de guerre, a assuré mardi 10 novembre le chef d’état-major, le général Gabi Ashkenazi, devant une commission parlementaire. « Nous ne sommes pas une armée de pillards et de braqueurs. (…) Nous n’avons identifié aucun incident lors duquel un soldat aurait délibérément visé une femme ou un enfant », a plaidé le général.

Il s’agit d’un rare commentaire du patron de l’armée sur les conclusions du rapport Goldstone. Dans ce texte commandité par l’ONU, des experts accusent Israël et les groupes armés palestiniens de « crimes de guerre » durant les combats à Gaza, qui ont tué 1 400 Palestiniens et 13 Israéliens entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009.

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté au début du mois une résolution donnant trois mois à Israël et aux Palestiniens pour ouvrir des enquêtes « crédibles » sur les graves accusations contenues dans le rapport Goldstone, qui doit à présent être transmis au Conseil de sécurité.
Israël, dont l’offensive militaire répondait à des tirs de roquettes sur son territoire à partir de Gaza, a jugé ce rapport « inique, saugrenu et unilatéral » et a rejeté la résolution de l’AG de l’ONU.

Mardi, le général Ashkenazi a souligné que des enquêtes avaient déjà été diligentées par Tsahal, et qu’elles avaient conclu à l’absence de crime de guerre. « Nous avons commis des erreurs et touché accidentellement des civils, de la même manière que nous avons accidentellement touché des militaires israéliens », a-t-il expliqué durant cette réunion à huis clos.

Le chef d’état-major a relevé que, dans le cadre de ces enquêtes, l’armée israélienne avait enregistré 130 plaintes et auditionné une soixantaine de Palestiniens. L’Etat hébreu craint par-dessus tout que ses chefs militaires et ses dirigeants politiques soient jugés et condamnés un jour devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.

Un fiasco

[Editorial du Monde, édition daté du 13 novembre 2009]

Il faut cesser de se payer de mots. Au Proche-Orient, il n’y a pas de « processus » de négociation en cours. Il n’y a pas non plus de perspective de paix. Pour autant, ce n’est pas le statu quo : la situation régresse. Dangereusement. C’est d’abord le fait des Etats-Unis. Barack Obama, il y a quelques mois, avait placé le conflit israélo-palestinien en tête de ses priorités. Il avait exigé d’Israël l’arrêt du développement des colonies de peuplement dans le territoire palestinien de Cisjordanie. C’était, sinon un préalable, du moins une condition pour que puissent s’ouvrir des négociations avec les Palestiniens.

Les Israéliens ont dit non : la colonisation se poursuivra, mais un peu ralentie, a répondu le premier ministre, Benjamin Nétanyahou. Les Etats-Unis ont encaissé : par la voix de la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, ils ont platement endossé la position de M. Nétanyahou… En quelques semaines, M. Obama a perdu dans le monde arabe le crédit que lui avait valu son remarquable discours de juin au Caire. Même en langage diplomatique, cela s’appelle un monumental fiasco.

Le chef de l’Autorité palestinienne et patron du Fatah, Mahmoud Abbas, s’est estimé trahi par Washington. Les Etats-Unis l’avaient déjà malmené en l’obligeant à ne pas défendre et porter devant l’ONU un rapport stigmatisant le comportement d’Israël durant la guerre de Gaza. Agé de 74 ans, M. Abbas est un homme d’une dignité exemplaire. Il est l’un des rares dirigeants de la région à s’être publiquement attaqué au sacro-saint modèle de la « lutte armée », si populaire chez les Palestiniens. Aujourd’hui, largement désavoué dans la population pour le peu de résultat obtenu par la voix pacifique, il menace de démissionner. Conséquence ? L’autre branche du mouvement national palestinien, les islamistes du Hamas, exulte.

M. Nétanyahou a consolidé sa majorité de droite. Il peut s’appuyer sur une opinion qui juge qu’Israël aussi a été trahi en quittant le sud du Liban et le territoire de Gaza, n’obtenant, en retour, que des volées de roquettes. En continuant la colonisation, M. Nétanyahou sait qu’il rend la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël moins probable que jamais.

Petits calculs ici, faiblesse et pusillanimité là. Et, pourtant, le règlement d’une question qui est au coeur des ressentiments du monde arabo-musulman changerait la face de la région. Tous les conflits s’en trouveraient posés de manière moins aiguë, à commencer par le nucléaire iranien. Question : le Nobel de la paix 2009 est-il à la hauteur ?

  1. Référence : http://www.ujfp.org/modules/news/article.php?storyid=603.
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