Le nom du général d’armée Joseph Katz ne dit sans doute rien à ceux qui n’ont pas vécu la guerre d’Algérie. Pour ceux qui se souviennent, ce général fut le courageux défenseur de la République face à la rébellion de l’OAS à Oran. Pour les anciens membres de l’Organisation Armée Secrète ou leurs zélateurs, il fut le “Gauleiter, le chef de la Gestapo gaulliste”. Bien que le Conseil des ministres lui ait rendu hommage le 4 août 1962 pour la mission de salut public qu’il avait remplie à la tête du secteur d’Oran, la haine et la calomnie n’ont cessé de le poursuivre.
S’il écrit ce livre trente ans après, c’est pour rétablir la vérité et “l’honneur d’un général” qui ne peut ignorer qu’il demeure pour certains Pieds-Noirs abusés, “le boucher d’Oran”1. L`auteur de ce récit dramatique, consacré aux derniers mois de l’Algérie française à Oran, n’a aucune peine à montrer par les ordres qu’il donna, qu’il se comporta seulement en défenseur de la légalité, face à la rébellion des Européens d’Oran. Ce “boucher” prétendu et ses “gardes rouges” (ainsi les Oranais avaient-ils surnommé les gendarmes mobiles métropolitains) se montrérent plus soucieux d’épargner leurs compatriotes égarés, que de les écraser. Contrairement aux accusations proférées à l’époque, le général Katz ne fit jamais attaquer à l’arme lourde les immeubles tenus par les commandos de l’OAS. Quant au survol de la ville par l’aviation militaire qui n’ouvrit le feu que sur la mer et loin du port, quant au défilé des véhicules blindés dans les rues de la ville insurgée, ce furent de simples opérations psychologiques, non des massacres. Les historiens le savaient, mais une partie du grand public fut et reste abusée par les accusations mensongères de la propagande OAS.
Au-delà de ce nouveau témoignage personnel que l’Histoire enregistrera, le livre du général Katz apporte un récit circonstancié des mois de folie criminelle que l’OAS imposa aux populations européenne et musulmane d’Oran. La tâche de l’Armée française consistait moins à rétablir l’ordre qu’à éviter que les deux communautés n’en viennent à se jeter l’une contre l’autre. L’OAS au contraire multipliait chaque jour les attentats dans le but opposé. En provoquant des heurts sanglants, elle espérait essentiellement obliger la Légion, cantonnée à Sidi-Bel Abbès, à sortir de sa réserve et à se prononcer contre “l’usurpateur de Gaulle”. Or, le général Katz ne disposait que de 5 000 hommes, dont 2 000 gendarmes ou CRS métropolitains pouvaient seuls être chargés des opérations dissuasives : fouilles et contrôles des véhicules et des immeubles. Face à une ville insurgée, où toute la population européenne, environ 200 000 habitants, était ralliée à l’OAS par foi, peur ou désespoir, c’était a priori une mission impossible. Pourtant, elle fut en grande partie réussie : les massacres prévisibles entre les communautés furent évités malgré les fusillades et les bombardements au mortier des quartiers musulmans, malgré les “ratonnades”, les assassinats individuels ou collectifs. Il fut impossible toutefois d’éviter les lourds bilans de victimes. Les rapports quotidiens des forces de l’ordre en font foi : ainsi le 22 février 1962, 29 victimes de l’OAS (11 morts et 18 blessés), le 23 février : 11 morts et 13 blessés, le 28 février : 37 morts et 47 blessés. Encore, le général Katz convient-il, qu’après les accords d’Evian, il n’osait plus transmettre les chiffres de victimes de peur de provoquer la rupture du cessez-le-feu. Et ce n’est pas lui, mais le préfet de police qui communiqua plus tard le bilan total. Du 19 mars au 1er juillet 1962 on dénombra à Oran comme victimes de l’OAS : 32 membres des forces de l’ordre tués et 143 blessés ; 66 Européens civils tués et 36 blessés ; 410 Algériens tués et 487 blessés. On comprend dès lors pourquoi le jour de l’indépendance fut ressenti par la population européenne avec terreur. Abandonnée par les commandos de l’OAS, elle redouta à tort un massacre général. Pourtant le 5 juillet fut un “jour maudit” selon l’expression du général Katz : 25 Européens et plus de 80 Algériens s’entretuèrent ; des Européens furent enlevés et la plupart d’entre eux disparurent à jamais.
Ce livre apportera enfin des informations inédites à ceux qui veulent savoir ce que fut précisément cette OAS III, qui fonctionna très indépendamment d’Alger. On y apprend que l’OAS d’Oran fut en majorité composée de civils et dirigée par des civils. Les véritables chefs ne furent ni Jouhaud, ni Gardy, ni Dufour, comme on le croyait, mais des hommes du petit peuple oranais : Micheletti, Georgeopoulos Athanase Tassous2, “le Gitan” Pancho Gonzalès, ou le responsable des “commandos israélites”, Benichou Yaya. Ainsi s’expliquent peut-être la folle popularité de ces hommes parmi les petites gens et l’insouciance de ces chefs frustes quant aux conséquences de leurs actes pour l’avenir de leur communauté. Il est vrai que les projets des militaires n’étaient pas moins irréalistes. Que penser des plans dérisoires d’un général Gardy, rêvant en juin 1962 de reconstituer des presidios comme dans l’Algérie du 18e siècle, sous le nom de plates-formes territoriales ? Alors même qu’à Alger l’OAS avait conclu le 17 juin avec le FLN des accords verbaux de cessez-le-feu, l’OAS d’Oran continua à détruire, à incendier, au nom d’une stratégie de la terre brûlée. Avec le recul, l’aveuglement de ces chefs irresponsables confond, mais on le sait : Quos vult perdere, Jupiter prius dementat (ceux que Jupiter veut perdre il commence d’abord par les rendre fous). Le général Katz, qui a par son action, bien mérité de la République, a droit aussi pour ce témoignage capital à la reconnaissance des historiens.
Eléments biographiques
Le général d’armée (cadre de réserve) Joseph Katz, qui arrêta le général Edmond Jouhaud, l’un des putschistes de la guerre d’Algérie, en avril 1961, contre le général de Gaulle, est mort, mardi 6 mars 2001, à Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales). Il était âgé de quatre-vingt-treize ans.
Né le 1er janvier 1907 à Paris, Joseph Katz, pupille de l’Assistance publique, devance l’appel à 18 ans et découvre l’armée, qui deviendra sa vraie famille. Solide gaillard, carré d’épaules et assez fort en gueule, il est, comme enfant de troupe, remarqué par un enseignant en philosophie, Jean Beauffret, qui sert comme sous-lieutenant du contingent et qui va l’aider à préparer son baccalauréat, puis à présenter le concours d’entrée à l’école des sous-officiers de Saint-Maixent (Deux-Sèvres), d’où il sort dans les premiers rangs.
Lieutenant en 1939, Joseph Katz est blessé sur la Somme en 1940, évacué vers Bordeaux, puis rejoint l’Allier où il rencontre le futur colonel Pierre Fourcaud, l’un des « patrons » des services secrets pendant et après la seconde guerre mondiale, auprès duquel il travaille pour se renseigner sur les opérations menées par Vichy contre les résistants et les maquisards. En 1944, il sert dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI) de l’Allier, où il est plus spécialement chargé de la liaison avec les maquis d’Auvergne et les saboteurs de la SNCF.
Après 1945, le commandant Katz est affecté dans l’infanterie, notamment en Allemagne. Puis il est officier stagiaire à l’Ecole supérieure de guerre en 1948-1950. Avec le grade de colonel, il est, en 1954, à la direction des services financiers et des programmes au ministère de la défense. En 1956, il est nommé en Algérie, où il sera responsable des territoires militaires de Ghardaïa et de Laghouat.
En mai 1958, quand des chefs militaires, comme les généraux Raoul Salan et Jacques Massu, appellent le général de Gaulle au pouvoir à l’issue d’une insurrection à Alger, Joseph Katz se rallie au chef de la France libre. Promu général de brigade, il est nommé commandant du groupement de subdivisions de Rennes, puis, à partir de 1959, de celui de Perpignan.
Commandant le secteur autonome d’Oran en février 1962, Joseph Katz assurera avec le grade de général de division l’intérim du commandement du corps d’armée d’Oran, en juin de la même année, après l’assassinat de son titulaire, par un jeune Oranais de 20 ans qui agit pour le compte de l’Organisation armée secrète (OAS), hostile à l’indépendance de l’Algérie. A ce titre, il organise la lutte contre l’OAS, contre la recrudescence des violences dans la région et, en mars 1962, il procède à l’arrestation du général Edmond Jouhaud, l’un des putschites du coup d’Etat militaire d’avril 1961 à Alger.
POURSUIVI PAR L’OAS
Les partisans de l’Algérie française ont, à l’époque, qualifié de « boucher d’Oran » le général Katz, qui n’hésitait pas, par exemple, à faire tirer les bombardiers B-26 dans la mer pour effrayer la population oranaise, fidèle aux irréductibles de l’OAS, ou à rétablir brutalement l’ordre lors de fusillades et de chasses à l’homme mortelles, le 5 juillet 1962, entre Algériens et Européens. Pour son action contre l’organisation subversive et pour avoir restauré l’esprit de discipline de la troupe sous son autorité, Joseph Katz sera cité à l’ordre de l’armée.
En août 1962, il devient l’adjoint, à Baden, du général Emile Cantarel, qui commande le 2e corps d’armée français stationné en Allemagne. Il est néanmoins poursuivi par des commandos OAS. Fin 1963, il obtient le commandement de la région militaire de Bordeaux, avec le rang de général de corps d’armée. Début 1968, il est admis en deuxième section (cadre de réserve), non sans que, entre-temps, un ministre, Edmond Michelet, et le maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas, pressent le général de Gaulle pour qu’il soit élevé au rang et à l’appellation de général d’armée.
De sa carrière militaire, qui est un exemple de promotion sociale, le général Katz tirera deux livres publiés aux éditions de L’Harmattan : L’Honneur d’un général, Oran, 1962, paru en 1993, et Une destinée unique 1907-1996 en 1997.
- Voir par exemple le texte de Geneviève de Ternant : «Cela se passait le 5 Juillet 1962 à Oran», ainsi que
l’exposé de Joseph Hattab Pacha, président du Comité Véritas. (Note de LDH-Toulon) - C’est ce même Athanase Georgopoulos qui fut nommé membre de la commission d’indemnisation des anciens de l’OAS, en décembre 2005. (Note de LDH-Toulon)