L’histoire à l’école revue et corrigée par le Haut conseil à l’intégration1
C’est ce qu’on appelle un flop : critiquée de toutes parts, à l’exception notable de Valls – surprenant, n’est-ce pas ? – la dernière recommandation du Haut conseil à l’intégration (HCI) tendant à interdire le voile à l’Université aura finalement tourné à la confusion d’un organisme qui, au fil des années, a multiplié – sous forme de rapports et d’avis – les interventions dans un domaine, l’éducation, où il n’a pourtant ni compétence ni légitimité. Avec des préoccupations très proches, inspirées par un système de pensée où dominent les préoccupations identitaires, un récent avis (« Une culture ouverte dans une République indivisible », mai 2013) prétend s’immiscer jusque dans l’enseignement de l’histoire.
Pour parvenir à cette culture ouverte, les deux auteures, Caroline Bray et Sophie Ferhadjan, se mettent en quête d’une « histoire commune » d’autant plus improbable que leurs références pour la définir ne sont pas les meilleures sources et que leur conception de l’histoire s’avère singulièrement datée, réductrice et fortement connotée. Prendre appui sur les déclamations exaltées d’un Renan (1823-1892) – « une nation est une âme, un principe spirituel » – n’est pas le signe d’une démarche historique ou pédagogique très rationnelle. Il est d’ailleurs piquant de voir les défenseurs affichés de la laïcité se laisser porter par des représentations mystiques, pour défendre une conception en réalité bien peu cartésienne, quasi religieuse de la France. Pas le moins du monde émues par la contradiction, les auteures, évoquant « la longue histoire où les femmes ont joué un grand rôle » n’hésitent pas à chercher leurs exemples … dans l’hagiographie chrétienne avec Sainte Geneviève ou Jeanne d’Arc. Un subterfuge qui permet de passer sous silence que la république française fut l’une des dernières démocraties à accorder le droit de vote aux femmes, la lourde discrimination dont elles faisaient l’objet dans le Code civil jusqu’à une époque récente ou encore qu’aujourd’hui, dans le monde professionnel ou la vie politique, l’égalité hommes/femmes est loin d’être assurée. Une discrimination à la française qui ramène à sa juste valeur l’indignation envers les femmes voilées.
Une nouvelle fois, le présent avis reprend la vieille rengaine du HCI selon laquelle « l’histoire a justement cette fonction de rassembler ce peuple divers autour d’un même récit », ou encore appelant à réinventer « un nouveau roman national intégrateur et indispensable à la fabrique d’un peuple ». Un précédent rapport de janvier 2011 évoquait déjà la nécessité de « redonner à l’histoire sa place de fabrique de la nation […], de donner aux élèves le sentiment de faire partie d’un même peuple. » On peine à croire qu’après un siècle de travaux historiques renouvelés, le HCI reste coincé sur une représentation de l’histoire aussi étriquée et pleine de clichés. Au risque de se répéter, il faut quand même rappeler que l’histoire de France à laquelle le HCI se réfère obstinément est une construction politique, une reconstruction des faits plus précisément, mise en scène et en forme au long des siècles d’abord par la monarchie puis, au 19e siècle, par la république, dans le but de légitimer et de conforter leur pouvoir. Un récit mythique, imaginaire, laissant de côté des pans entiers du passé et qui, de ce fait, ne peut pas prétendre être l’histoire des habitants d’aujourd’hui quelle que soit leur ancienneté d’implantation sur ce territoire.
En dépit des évidences, le HCI persiste à distiller ses contrevérités sur l’enseignement de l’histoire, largement relayées par la presse conservatrice. Il est lassant de devoir sans cesse revenir sur cette futile polémique lancée depuis deux ans par Le Figaro selon laquelle, en collège, les rois africains auraient pris la place des Capétiens. L’histoire de l’Afrique noire ? Trois heures en tout et pour tout sur les quatre années de scolarité d’un collégien, dans un cursus qui reste massivement et désespérément dominé par l’histoire politique nationale, ce qui n’empêche pas le HCI de déterrer sa sempiternelle déploration « sur la réduction du temps consacré à l’histoire de France ». Cette analyse, en réalité cette pensée toute faite, s’avère incapable de prendre en considération ce qui devrait pourtant être au cœur de la réflexion sur l’enseignement de l’histoire, celle des contenus scolaires, une problématique parfaitement résumée par Suzanne Citron : « De quel savoir scolaire, et donc de quelle histoire, de quel passé les enfants des écoles et les adolescents des collèges ont-ils besoin, sont-ils demandeurs pour construire leur personnalité, pour se socialiser à côté des autres et pour se comprendre comme Français ou comme habitant venu d’ailleurs dans la France, l’Europe et le monde d’aujourd’hui ? »2.
Mais cette question, le HCI est hors d’état de se la poser, bien davantage préoccupé par la dénonciation obsessionnelle de sa bête noire : l’enseignement de l’histoire serait confronté à « un risque de fragilisation [de son] rôle intégrateur, d’autant que les professeurs se heurtent déjà aux cultures importées des élèves » (p.48). Derrière le mépris de la formule, se découvre le système de pensée typique de cet organisme, une pensée binaire – nous et les autres – qui fait d’une hypothétique culture immigrée et des traditions attribuées au milieu familial la source de tous les maux : « il existe une forte dichotomie – poursuit le rapport – entre le discours tenu par les institutions incarnées par l’école et celui des parents, ce qui explique les difficultés rencontrées à réussir l’intégration culturelle. » Tout au long de ces affligeants rapports du HCI – payés par le contribuable – se trouve quelque chose qui ressemble à la morgue, à la condescendance du colon pour l’indigène. On est effaré de lire sous la plume d’auteurs censés inspirer une politique publique, un verbiage prétentieux, des considérations vides de sens et jamais étayées censées défendre un prétendu modèle républicain – malgré ses tares – contre la menace barbare : « C’est le principe de l’indivisibilité du peuple qui est aujourd’hui remis en question au travers d’une affirmation identitaire qui s’appuie sur des revendications culturelles au nom des libertés individuelles. »
Les analyses du HCI, toutes sorties du même moule, se répétant invariablement d’une fois sur l’autre, ne sont ni crédibles ni honnêtes. Enfermant les individus dans une identité unique définie par le lieu de naissance ou par la religion, elles excluent toute dimension sociale de leur champ d’investigation. Il s’agit là évidemment d’un choix politique. Révélatrice à cet égard, la confusion entretenue entre l’échec scolaire et les défaillances d’une hypothétique intégration culturelle : alors que l’échec scolaire touche massivement les enfants des milieux modestes, incriminer le milieu familial ou les traditions religieuses permet évidemment de ne jamais remettre en cause un système éducatif ou les conditions économiques et sociales qui le génèrent, encore moins le principe intouchable de l’indivisibilité de la république, une république qui s’accommode de toutes les injustices, de toutes les brutalités.
Une façon de voir les choses qui semble parfaitement convenir au ministre de l’Education nationale dont l’activisme en matière de symboles identitaires tranche avec la timidité réformatrice : à la rentrée prochaine, la seule nouveauté consistera à agiter le drapeau tricolore au fronton des écoles. Peillon reprend ainsi à son compte une recommandation ancienne du HCI, fruit du débat sur l’identité nationale voulu par Sarkozy… et concrétisé par la gauche.
- Reprise de l’article publié le 10 août 2013 sur le site Journal d’école.
- Suzanne Citron, Le mythe national, l’histoire de France revisitée, Les Editions de l’Atelier, 2008.