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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

l’Europe va exclure les territoires occupés de la coopération avec Israël

L'Union européenne a adopté, mardi 16 juillet 2013, un texte prévoyant d'exclure de sa coopération avec Israël les territoires occupés en 1967 – Cisjordanie, Jérusalem-Est, bande de Gaza et plateau du Golan. La directive, qui a été publiée le 19 juillet 2013 au journal officiel de l'Union1, dispose que, à partir de 2014, «tous les accords entre l'Etat d'Israël et l'UE doivent indiquer sans ambiguïté et explicitement qu'ils ne s'appliquent pas aux territoires occupés par Israël en 1967». Cette décision a été rappelée par François Hollande le 17 décembre 2013 dans sa réponse2 à la lettre ouverte que la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme lui avaient adressée le 14 novembre 20132. Nous reprenons ci-dessous la tribune de Daniel Blatman, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, qui qualifie de «parfaitement justifié[e] du point de vue politique autant que moral» toute «initiative de la communauté internationale visant à imposer un boycott des colonies dans les Territoires occupés.»

Le boycott pour sauver Israël de sa politique

Tribune publiée dans Libération le 15 décembre 2013

En juillet, Israël a réagi avec colère contre la décision de la Commission européenne stipulant qu’à dater du 1er janvier 2014, les pays membres de l’Union imposeraient un boycott des produits fabriqués dans les territoires occupés et n’autoriseraient plus le financement de projets scientifiques dans lesquels seraient impliqués des chercheurs ou des institutions liés aux colonies.

Les hommes politiques israéliens ont repris à cette occasion les clichés consacrés sur la mémoire historique de l’Europe dont ils déploraient la disparition ; on a pu entendre des allusions à peine voilées à la persistance d’un antisémitisme traditionnel ; des déclarations absurdes selon lesquelles Israël était tout à fait capable de se passer de la coopération technologique et scientifique de l’Europe ont été proférées. Puis, sans surprise, le gouvernement israélien a accepté de se plier aux conditions imposées par la Commission.

L’idée d’imposer un boycott a toujours été considérée comme une question délicate par de nombreux juifs. Il est vrai que l’histoire juive ne manque pas d’exemples où ils ont été les victimes d’un boycott antisémite. Pourtant, en mars 1933, une organisation juive n’a pas hésité à se rallier à l’idée de boycott. Moins de deux mois s’étaient écoulés depuis l’accession de Hitler au pouvoir en Allemagne et l’antisémitisme nazi menaçait l’existence même des Juifs dans ce pays. Lors d’une assemblée extraordinaire, les responsables juifs américains décidaient de boycotter tous les produits allemands importés aux Etats-Unis. Le rabbin libéral, Stephen Samuel Wise, qui dirigeait alors le Congrès juif américain, déclara lors de cette réunion : «L’époque de la modération et de la prudence est terminée. Nous devons faire entendre notre voix en tant qu’êtres humains […]. Cette attaque n’est pas dirigée contre les Juifs d’Allemagne, mais contre l’ensemble du peuple juif.»

Ce sentiment d’urgence n’est pas ressenti aujourd’hui par les dirigeants juifs libéraux dans le monde. Ils sont bien conscients pourtant de la dégradation rapide d’Israël qui se transforme progressivement en pays d’apartheid. Ils ont lu toutes les informations concernant les crimes de guerre commis par les colons dans les Territoires et même, parfois, par les soldats de Tsahal. Or, leur silence est assourdissant.

Certes, aux Etats-Unis comme en Europe de nouvelles organisations ont été créées, qui ne ménagent pas leurs critiques à l’encontre de la politique israélienne – comme J Street et J Call. Mais dans leurs critiques, elles n’osent pas aller au-delà de certaines limites ; elles dénoncent, mais n’envisageraient pas d’agir contre les méfaits dénoncés. Elles se plient ainsi à une tradition bien ancrée dans les judaïcités de la diaspora selon laquelle, seuls les citoyens de l’Etat juif auraient le droit d’intervenir dans les décisions qui engagent son avenir et son destin.

Or, malheureusement, trop nombreux sont les citoyens israéliens indifférents au développement des courants racistes qui visent les Palestiniens ou les réfugiés venus d’Afrique. Des hommes politiques et des rabbins extrémistes ne se privent pas pour prononcer contre eux des discours ouvertement haineux, usant d’une terminologie qui rappelle les slogans antisémites de l’Europe des années 30.

Les constructions dans les colonies, la réquisition des terres et les spoliations, l’emprisonnement et l’expulsion sans procès de réfugiés africains ainsi que la brutalité des colons sont avalisés par le gouvernement israélien. Cela ne l’empêche pas de dénoncer, avec un cynisme à toute épreuve, toute initiative de la communauté internationale visant à imposer un boycott des colonies dans les Territoires occupés.

Il s’agit là pourtant d’un boycott parfaitement justifié du point de vue politique autant que moral. Il faut boycotter, bannir et poursuivre en justice les colonies et tous ceux qui commettent des crimes de guerre dans les Territoires occupés. Or, la seule voix juive qui se fait clairement entendre hors d’Israël est celle des groupes religieux extrémistes et racistes qui expriment leur soutien à la violence exercée à l’encontre des Palestiniens et à la séparation raciale en Israël. Le silence des dirigeants juifs humanistes de par le monde devient incompréhensible.

Si le judaïsme humaniste – confiant en la possibilité d’une coexistence pacifique entre deux Etats, Israël et Palestine – a renoncé à cet idéal, qu’il se taise n’a rien d’étonnant. Mais si l’idéal d’un Etat juif tolérant, humaniste et pacifique revêt quelque importance à ses yeux, il ne peut se fier aux seuls Israéliens.

L’appel du rabbin Wise en 1933 garde toute son actualité et c’est l’avenir du peuple juif qui est en jeu.

Après plus de quarante-cinq années d’occupation pendant lesquelles Israël a exercé sa domination sur un autre peuple, le cancer raciste a pénétré dans les couches profondes de la société israélienne. Les judaïcités du monde doivent aider Israël à s’en délivrer. Il s’agit là, de toute évidence, d’une opération douloureuse. Cela nécessite un soutien actif au boycott des colonies racistes dans les Territoires occupés qui transforment Israël en un pays d’apartheid ; cela signifie le refus absolu de coopérer avec toux ceux qui sont liés au maintien des colonies : qu’ils soient ministre des Affaires étrangères ou chercheur, rabbin ou viticulteur. Il ne faut négliger aucune action qui irait dans le sens d’une rupture claire entre le cœur d’Israël et les colonies dans les Territoires occupés. Les judaïcités de par le monde doivent assumer la mission que la génération actuelle leur impose : boycotter tout ce ou ceux qui ont un rapport avec les colonies et tenter ainsi de sauver Israël de sa politique.

Daniel Blatman

professeur d’histoire contemporaine

Université hébraïque de Jérusalem

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