Table ronde organisée par l’Association Maurice Audin, le mardi 22 mai 2018
de 17h45 à 20h, dans l’auditorium de l’Hôtel de ville de Paris, 5 rue Lobau, 75004 Paris.
L’affaire Audin, emblématique des pratiques de l’armée française pendant la « bataille d’Alger » en 1957
avec Gilles Manceron,
Sylvie Thénault : Armée et pouvoirs spéciaux à Alger, 1957.
Fabrice Riceputi : Les enlèvements suivis de disparition durant la « Bataille d’Alger ».
Pierre-Jean Le Foll-Luciani : La répression contre les communistes en Algérie de 1955 à 1957.
L’entrée libre mais inscription obligatoire (se munir d’une pièce d’identité) à :
L’Association Maurice Audin poursuit, depuis 2002, le travail du Comité Maurice Audin dont Pierre Vidal-Naquet a été secrétaire, puis président, de 1957 à 1963. Sur ce comité, un mémoire de François-René Julliard intitulé Le Comité Maurice Audin. Des intellectuels en lutte contre la torture pendant la guerre d’Algérie , a été présenté à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, sous la direction de Sylvie Thénault, dans le cadre du Master 1 d’histoire contemporaine.
Il se fonde notamment sur une interview que Gérard Tronel avait accordée à François-René Julliard. C’est Gérard Tronel qui avait fondé l’Association Maurice Audin et le Prix Maurice Audin de mathématiques (voir l’article publié par notre site après sa mort).
L’association Maurice Audin est à l’origine du vœu adopté à l’unanimité, sur proposition de l’exécutif municipal, par le Conseil de Paris le 3 mai 2018, relatif à la réalisation d’une stèle en hommage à Maurice Audin au cimetière du Père-Lachaise, dont voici le texte :
« Considérant que le jeune mathématicien Maurice Audin, militant de l’indépendance algérienne, a disparu dans la nuit du 11 au 12 juin 1957, à l’âge de 25 ans ;
Considérant que, plus de soixante après, les circonstances de sa mort de sa mort restent non élucidées ;
Considérant que le dossier a connu de nouveaux développements, notamment la reconnaissance par François Hollande le 18 juin 2014 que Maurice Audin est mort pendant sa détention ;
Considérant que le dossier a eu un nouveau retentissement ces dernières semaines, avec de nouvelles prises de position de députés et d’historiens, et d’appel à l’ouverture des archives ;
Considérant que malgré ces nouveaux développements, il est impossible à ce jour d’en connaître l’aboutissement, mais que familles et associations – dont l’association Maurice Audin – ont toujours poursuivi la recherche de la vérité, accompagnés dans leur démarche par de nombreux chercheurs, mathématiciens et citoyens.
Considérant qu’il est important pour la Ville de Paris d’accompagner ce travail ;
Considérant que la Ville de Paris a rendu un hommage public en 2004 en inaugurant une place à son nom dans le 5e arrondissement, mais que le projet de stèle commémorative y afférent n’a pas pu aboutir ;
Considérant que Maurice Audin, dont le corps n’a jamais été retrouvé, n’a pas de sépulture et que la construction effective d’une stèle permettrait de prolonger l’engagement de la municipalité ;
Sur proposition de l’exécutif municipal, le Conseil de Paris émet le vœu qu’une stèle commémorative soit réalisée en hommage à Maurice Audin au cimetière du Père-Lachaise. »
Par ailleurs, l’Association a publié, le 21 mars 2018, sur son site internet, la déclaration suivante :
Maurice Audin, espoir, certitudes, détermination
Déclaration de l’Association Maurice Audin,
21 Mars 2018.
Ces dernières semaines l’affaire Maurice Audin est revenue sur le devant de la scène. Après une lettre de dizaines de personnalités au président de la République, des actes forts ont ponctué la période : déclaration publique de Cédric Villani, député, a l’occasion de l’hommage à Gérard Tronel, suivi d’un interview dans l’Humanité, dans lequel Cédric Villani rapporte que Emmanuel Macron a « l’intime conviction que Maurice Audin a été tué par des soldats français ». Conférence de presse de Sébastien Jumel et Cédric Villani, députés, en présence de Josette Audin, Pierre Audin, Claire Hocquet, avocate de la famille et d’un ministre conseiller de l’Ambassade d’Algérie.
Ces prises de position ont été largement relayées par les médias. Permettant même de faire surgir des témoignages comme celui d’un appelé publié dans l’Humanité. Un espoir s’est levé. Mais il ne doit pas être déçu.
L’armée française a toujours prétendu que Maurice Audin s’est évadé. François Hollande, alors président avait fait lit de cette version, il déclarait dans un message transmis à l’occasion du Prix Maurice Audin, le 18 juin 2014: « Maurice Audin est mort pendant sa détention » Malheureusement il n’est pas allé plus loin.
C’est une certitude, établie de longue date : Maurice Audin a été enlevé, détenu, torturé, et exécuté/assassiné par des soldats français qui ont fait disparaitre son corps. Il est une des victimes de la torture et du système répressif mis en place. À travers l’armée française, c’est bien la responsabilité de l’État qui est engagé.
C’est donc cette vérité que nous voulons voir reconnue officiellement par les plus hautes autorités de l’État. C’est le sens de notre action, comme c’est celui de très nombreux historiens/ennes, chercheurs, mathématiciens, citoyens. Il semble, que du côté de l’État, du Président, du gouvernement il y ait des hésitations à franchir le pas. La nécessité « d’établir la vérité historique » serait mise en avant et « l’ouverture des archives » serait présentée comme une avancée décisive. Et l’exploitation des dites archives devrait faire émerger une vérité qui permettrait l’expression de la reconnaissance du crime d’État. Nous sommes disponibles pour toute action qui contribuerait à éclairer les zones d’ombres, à explorer encore et encore les archives, à recueillir les témoignages des derniers protagonistes encore en vie, mais nous ne pouvons accepter de faire dépendre la reconnaissance du crime d’hypothétiques — et longues — recherches.
Déjà en 2014, Mme Sylvie Thénault, historienne reconnue de cette période, dans l’article « La disparition de Maurice Audin, les historiens à l’épreuve d’une enquête impossible (1957-2014) » a démontré « l’impossibilité pratique de faire émerger la vérité un demi-siècle après », même si depuis des moyens nouveaux permettent l’audition de témoins clés.
Détermination, car nous continuerons à agir sans relâche pour cette reconnaissance : réunions publiques (22 mai 2018), mobilisation des réseaux sociaux, attribution du prix de mathématiques Maurice Audin, érection d’une stèle commémorative au cimetière du Père-Lachaise…
Nous ne lâcherons pas.
On trouve trouve également sur son site les liens vers un certains nombre d’articles relatifs aux déclarations de Cédric Villani sur l’affaire Audin (voir aussi à ce sujet notre article « Nouvelles informations et demandes sur l’affaire Audin »), ainsi que la traduction d’un article paru en arabe dans un quotidien algérien rapportant le témoignage de Abraz Mustapha (voir aussi, sur ce témoignage, cet article paru en 2015 sur notre site).
Intervention de Cédric Villani
L’action de l’association Maurice Audin pour la reconnaissance de la part de l’État français dans la mort de Maurice Audin est relancée par l’intervention de Cédric Villani dans les médias. Voici quelques commentaires récents :
• « Comment Cédric Villani s’est emparé de l’affaire Audin » (L’Obs)
• « L’État ne cherchera plus à imposer sa version » (L’Humanité)
• « Cédric Villani porte l’exigence de la vérité sur l’affaire Audin » (Histoire coloniale et postcoloniale)
• « Cédric Villani s’associe au PCF pour faire reconnaître le meurtre d’État d’un mathématicien » (Huffington Post)
• « Pourquoi on reparle de l’affaire Audin 61 ans après la mort du mathématicien » (Libération)
• « Audin : le député LREM Villani complice d’un curieux témoignage communiste » (Riposte Laïque)
• « Les derniers rebondissements de l’affaire Audin repris par la presse algérienne » (France Info – Géopolis)
• « L’État fait encore un petit pas dans l’affaire Audin » (Blog Mediapart)
• « Maurice Audin. Un assassinat d’État bientôt reconnu ? » (Le télégramme)
• « La reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin en débat » (La Croix)
• « Affaire Audin : Le président français serait prêt à reconnaître le crime commis par l’armée française » (Huffpost Maghreb)
• « Maurice Audin : les vidéos de la soirée de Lens » (Association Paul Eluard Roubaix)
• Voir aussi le site de Pierre Audin.
Ainsi que le site de l’associaton Maurice Audin
Un nouveau témoignage sur l’affaire Audin
Traduction d’un article paru dans un quotidien algérien en arabe.
L’affaire Maurice Audin alimente la chronique historico-politique depuis cinquante-sept ans. Le 11 juin 1957, Maurice Audin, professeur de mathématiques à la faculté d’Alger et militant communiste de l’indépendance algérienne, soupçonné d’héberger des membres actifs du PCA (parti communiste algérien) est arrêté, chez lui, sur dénonciation par les parachutistes. (Ce jeune père de trois enfants est né le 14 février 1932 à Béja (Tunisie) et mort à Alger en 1957). Dans la nuit-même, il est emmené dans une villa à El Biar, sur les hauteurs d’Alger pour y être interrogé. Il ne donnera plus signe de vie. Un rapport émanant de la 10ème région militaire, 10ème division parachutiste, 1 RCP (référence : N. de S. n 636/col) du colonel commandant le secteur Alger-Sahel en date du 24/6/57 fait part de l’évasion de Maurice Audin, détenu au centre de triage d’El Biar, (qui) devait subir un interrogatoire par la P.J., le 22 juin 1957, au matin. C’est le début d’une terrible galère pour Josette, sa femme, qui remuera ciel et terre, en vain, pour retrouver la trace de son époux. En France, l’affaire fait grand bruit et devient, après 1962, la preuve de la pratique de la torture en Algérie. Plusieurs personnalités soutiennent la thèse selon laquelle Maurice Audin aurait été tué par ses tortionnaires. Maurice Audin est devenu le symbole de la répression et de la torture en Algérie grâce au livre La question, d’Henri Alleg (militant communiste, ancien directeur d’Alger Républicain) et L’affaire Audin, de Vidal Naquet (historien, militant communiste pour l’indépendance de l’Algérie). La grande muette (l’armée) maintiendra pendant plus de cinquante ans la version de l’évasion. Dans La Vérité sur la mort de Maurice Audin, édition Equateurs, 2014, l’auteur, Jean-Charles Deniau, réalisateur de documents historiques et journaliste d’investigation, retrace les derniers moments du jeune mathématicien. Se basant sur le témoignage du général Paul Aussaresses avant sa mort, il explique que c’est le général Massu qui a donné à ses hommes l’ordre d’exécuter Maurice Audin. Il a été décidé d’en faire un exemple. L’ordre est alors donné par Massu à Aussaresses dont les sbires vont emmener Audin de nuit dans les faubourgs d’Alger pour l’exécuter à l’arme blanche et l’enterrer dans une fosse dans un endroit que l’on ne connaît pas avec exactitude. Selon les dires d’Aussaresses, le corps de Maurice Audin se trouve dans une zone qui se situerait entre Zeralda et Koléa.
Voilà des renseignements que l’on peut aisément avoir en consultant les journaux de l’époque ou en cliquant sur internet. Mais la vérité, la vraie, que recherche Mme Josette Audin se trouve ailleurs, loin des documents officiels et des aveux faussement amnésiques de criminels, au soir de leur vie. Abraz Mustapha, dit Moh Djebbour, aujourd’hui septuagénaire, retraité de la Sonacome et résidant à Ain Taya, nous raconte, par l’intermédiaire de son neveu Oumaza Brahim, une histoire troublante de similitudes. Mon oncle maternel Mustapha était, à l’époque, un jeune adolescent. Il gardait une vache dans le cimetière de Ben Salah (à trois kilomètres d’Oued Alleug, dans les environs de Koléa). L’histoire commence comme un conte. A Oued Alleug, le lieutenant Argentin Lagaillard est tristement célèbre : les prisonniers questionnés par ses soins finissent tous dans le cimetière de Ben Salah. On creuse à peine le sol, on y met le corps et on le recouvre sommairement de terre. Abraz Mustapha, habitant à El Matmar, un quartier de résistants, entouré de fil de fer, connaissait tout le monde. Après le départ des militaires, il déterre, sans peine, le corps pour l’identifier, et renseigne les parents du mort pour qu’ils puissent l’inhumer dignement. C’est sa façon à lui, jeune adolescent, d’aider la révolution. Un soir de l’été 1957, c’était la fin du mois de juin, Mustapha voit une jeep 4X4 avec six parachutistes à bord s’arrêter non loin de sa vache et lui, jeter un corps dans une fosse qui existait déjà et le recouvrir de terre. Après leur départ, il s’approche de la tombe et découvre le visage du mort. C’était un Européen habillé d’une veste légère, témoigne-t-il. C’est comme du daim, ajoute-t-il, impressionné par la qualité du tissu.: quand il a été arrêté, il avait une veste claire et légère ; on était au mois de juin. Oumaza Brahim, le neveu, qui représente un peu la mémoire collective de la région, a délimité l’endroit désigné par son oncle maternel avec deux pierres blanches (voir photo). Cet espace semble vide. Les alentours sont pleins de tombes. On a dû et trouver des ossements, ce qui explique que personne n’a creusé de tombe à cet endroit ! argumente Brahim. Ce dernier a contacté Josette Audin et Gérard Tronel, président de l’association Maurice Audin. A la question pourquoi avoir attendu cinquante-sept ans pour en parler, Mustapha Abraz explique, selon son neveu, que c’est en regardant une vidéo sur les aveux d’Aussaresses, en entendant ce dernier situer l’endroit dans la région de Koléa et en remarquant que les dates coïncidaient que le souvenir lui était revenu en mémoire. Je n’ai jamais oublié cette scène, parce que, pour moi, adolescent, les Français ne se tuaient pas entre eux !
Josette Audin qui a cherché, pendant plus d’un demi-siècle, la tombe de son mari, a, aujourd’hui, avec ce témoignage, un élément sérieux, un bout d’indice, pour pouvoir aboutir. L’association Maurice Audin qui semble, d’après ses e-mails, s’intéresser plus à la possibilité d’existence d’autres Français torturés et enterrés par les militaires, peut, maintenant, faire avancer les choses. Du côté algérien et du côté français, il y a tout un travail de fouilles et de tests ADN à faire pour qu’enfin, Maurice Audin puisse reposer dans une tombe décente.