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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024
Entre 1961 et 1962, l'appelé Bourdet a enseigné aux petits Algériens. (Photo sd)

L’association des anciens appelés en Algérie contre la guerre

Les appelés qui ont combattu en Algérie peuvent, à 65 ans, toucher une retraite du combattant, d'environ 500 euros par an. Mais, pour certains d'entre eux, cet argent est inacceptable, "taché de tout le sang coulé en Algérie". C'est ainsi que s'est créée, le 8 janvier 2004, l’Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre (4ACG). Les membres de l’association (loi 1901) sont d'anciens appelés en Algérie qui reversent l'intégralité de cette retraite afin qu'elle soit utilisée au financement de projets humanitaires – donnant ainsi un sens à ce qui n'en avait pas. Pour contacter les 4ACG : http://www.4acg.org/spip.php?rubrique19

D’anciens appelés offrent leur pension en  » réparation « 

par Isabelle Mandraud, Le Monde, 21 mai 2010

Comme tous les appelés qui ont combattu en Algérie, Rémi Serres aurait pu, à 65 ans, toucher une pension de 500 euros par an. Mais, pour ce modeste agriculteur à la retraite, cet argent était inacceptable, « taché de tout le sang coulé en Algérie ». Encouragé par le Comité des objecteurs du
Tarn, il a choisi de la verser dans son intégralité en faveur de projets humanitaires. C’est ainsi qu’est née, en 2004, l’Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre (4ACG).

Au départ, ils étaient quatre, tous agriculteurs. Ils sont aujourd’hui 120, anciens ingénieurs, directeurs d’hôpital ou assureurs, sans compter les adhérents amis, hantés par leur mémoire. Longtemps, ils se sont tus. Désormais, ils racontent, écrivent, visitent les classes d’école.

Michel Berthélémy, ex-publicitaire puis salarié de l’ANPE, avait 20 ans quand il a été affecté en 1960 dans un bataillon de dragons, près de Sétif. « Le premier soir, dit-il, on nous a montré des prisonniers entassés dans des clapiers dont on ouvrait les portes en excitant les chiens. » Et puis il y a eu ce tir sur un jeune de 14 ans, qui ne s’efface pas : « Son corps a été exposé au centre du village, pour l’exemple. »

Stanislas Hutin, 24 ans à l’époque, était, lui, dans l’infanterie. Il a consigné tout ce qu’il voyait, ce qu’il vivait, dans un carnet de bord (publié en mai 2002 par l’université de Toulouse-Le Mirail), les humiliations, les prisonniers maltraités, « passés à la magnéto » (la gégène), la « corvée de bois » (exécution sommaire)… « Les appelés s’avilissaient à vive allure avec des gradés qui leur inculquaient la peur, se souvient M. Hutin. Quand j’écrivais à ma mère, ça choquait ma famille. Encore maintenant, avec mes cousins, militaires de carrière, on ne peut pas en parler. »

Avec l’ensemble des pensions reversées, près de 70 000 euros par an, l’association – dont Simone de Bollardière, veuve du général qui dénonça la torture en Algérie, devint présidente d’honneur en 2006 – finance des projets de développement en partenariat avec d’autres associations.

Ainsi, à Tazla, un petit village de Kabylie détruit en 1958, 4ACG investit dans un programme hydraulique ; à Boumerdès, dans la construction d’un centre de jeunes ; à Oran, pour la réhabilitation du patrimoine… D’autres projets ont vu le jour dans des pays meurtris par la guerre, en Tchétchénie, en Palestine, ou dans d’anciennes colonies.

Son caractère contrit, proche de la repentance, lui attire l’hostilité des autres associations d’anciens combattants. « On trahit ! On dit des choses qui ne doivent pas être dites… Mais nous, on regrette ce qui s’est passé. A nos yeux, l’argent des pensions, oui, c’est de l’argent sale », lance M. Berthélémy.
Nul besoin, pour ces militants, de regarder de l’autre côté. « Les horreurs des fellaghas, c’est aux Algériens d’en parler », tranche M. Hutin. Entre eux, ils parlent de « réparation » et évitent le terme de réconciliation. Trop ambigu, à leurs yeux. « Est-ce qu’il ne s’agirait pas plutôt d’une réconciliation
avec nous-mêmes ? »
Lors de leur dernière assemblée générale, les 4ACG ont voté la création d’un groupe  » mémoire  » et pris contact, en Algérie, avec la Fondation Wilaya 4, qui a, depuis sa création en 2001, recueilli le témoignage de centaines de combattants algériens. Ensemble, avec l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA), ils espèrent défricher une mémoire partagée.

Entre 1961 et 1962, l'appelé Bourdet a enseigné aux petits Algériens. (Photo sd)
Entre 1961 et 1962, l’appelé Bourdet a enseigné aux petits Algériens. (Photo sd)

Les souvenirs d’Algérie de l’appelé Bourdet

[La Nouvelle République, le 5 décembre 2010]

Appelé non-volontaire pour la guerre d’Algérie, le Poitevin Bernard Bourdet a fait ce qu’il pouvait sur place. Il le raconte dans un livre de témoignages.
Entre 1961 et 1962, l’appelé Bourdet a enseigné aux petits Algériens.
Bernard apportait aussi des soins à la population locale dans les villages de montagne.

Bernard Bourdet ne voulait pas la faire cette guerre. Jeune instituteur à l’époque, il s’inscrit en fac pour être sursitaire. Un temps. Puis il faut bien répondre à l’appel. C’est en mars 1961 que Bernard débarque en Algérie, dans la vallée du Cheliff, à 140 km au Sud d’Alger.

Dès le départ, il lui semble que « l’indépendance de l’Algérie va dans le sens de l’Histoire. Leur cause me paraît juste, même si ça n’excuse pas certains actes… Je suis issu d’une famille de résistant, je peux les comprendre. »
Ce qui n’ôte rien à l’angoisse du jeune soldat fraîchement débarqué. « Je craignais de devoir un jour me servir d’une arme pour défendre ma vie. » Ce ne sera pas nécessaire. Sur place, on lui confie d’autres missions. Recenser la population d’une région, délivrer les permissions de se déplacer, de moudre du blé… « Je devais rendre compte de demandes trop importantes, signe que la population locale approvisionnait des maquisards. Moi, je préférais fermer les yeux, et faire en sorte qu’il y ait le moins d’incidents possibles. »
Pas de vague. Ne pas attirer l’attention. Prier pour que ça passe vite. « Le temps que j’ai passé à l’escadron, il n’y a pas eu de tortures », assure Bernard. Mais il sait que ce fut le cas avant. Et après, en d’autres lieux.
En août 1961, le Poitevin est envoyé dans un petit poste isolé pour la surveillance de Dar-el-Beïda. « Une ancienne ferme était en cours de transformation pour devenir une école. » Avec un autre appelé instituteur dans le civil, Bernard commence à faire la classe. « Nos familles nous envoyaient des colis de vêtements qu’on donnait aux familles du village. On savait que les maquisards revenaient au village la nuit, on ne disait rien… Tout ça n’a été possible que parce que nous étions restés entre appelés, que les gradés avaient été nommés ailleurs. De toute manière, notre sécurité tenait en grande partie à l’état de nos relations avec le village. »

Quand il pose son regard d’aujourd’hui sur le conflit d’hier, Bernard ne peut s’empêcher de constater qu’il avait des a priori sur les Harkis, sur les Pieds-Noirs… qu’il a perdus depuis. Au coeur du conflit, on ne voit parfois qu’un pan de vérité. D’ailleurs, une fois rentré, Bernard ne veut plus en parler. « Et je ne suis pas sûr que les gens avaient envie d’entendre… » Ce n’est que quelques années plus tard qu’il a ressorti ses carnets, proche d’un journal intime. D’un journal de guerre qu’il a confié à l’équipe d’historiens de Benjamin Stora.

Aujourd’hui, le retraité ne participe pas aux commémorations. Il n’est pas davantage inscrit dans les associations d’anciens combattants. Enfin si, une association pour laquelle il reverse sa pension, et qui s’applique à mener des actions humanitaires en Algérie.

Un livre, plusieurs paroles

Presque 50 ans après l’indépendance de l’Algérie, de plus en plus d’anciens, civils ou militaires, Français ou Algériens, éprouvent le besoin de témoigner sur cette guerre qui a mis 45 ans à dire son nom. Des documents inédits mais aussi des lettres des carnets, des documents reproduits à l’identique en fac-similés, paraissent aujourd’hui dans un livre coédité par France Info et les Arènes, et réalisé sous la direction de l’historien Benjamin Stora
1. Des extraits des cahiers de Bernard Bourdet, certaines de ses photos aussi y sont publiés. « Nous sommes entrés en contact par le biais de l’association des anciens d’appelés d’Algérie contre la guerre. » Mais dans ce livre, des anciens d’Algérie, de différente opinion politique et philosophique, témoignent.

  1. Algérie 1954-1962, sous la direction de Benjamin Stora et Tramor Quemeneur, éditions France-Info – Les Arènes, 34 €.
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