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Édition du 1er au 15 décembre 2024

L’artiste Baya (1931-1998),
une icône de la peinture algérienne

L'Institut du monde arabe expose jusqu'au 26 mars 2023 une cinquantaine d’œuvres de Baya (1931-1998). Une artiste très singulière, « découverte » enfant alors qu'elle travaillait dans une ferme coloniale par une artiste européenne d'Alger qui l'adopta en l'employant comme domestique. Reconnue par des surréalistes éblouis par son « art brut » et exposée par le marchand d'art Aimé Maeght à Paris à l'âge de 16 ans en 1947, alors même que les « indigènes » étaient en Algérie interdits de galeries et d'expositions. Elle se remit à produire après l'Indépendance en 1962 et, durant un quart de siècle, eut une importante influence sur les artistes d'Algérie. L'exposition ira ensuite au Centre de la Vieille Charité à Marseille, de mai à septembre 2023. Ci-dessous sa présentation, un article de Philippe Dagen dans Le Monde et une vidéo de France Culture.

Baya, « icône de la peinture algérienne »,
exposée à Paris puis à Marseille



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Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, Paris 5e. Jusqu’au 26 mars, du mardi au vendredi de 10 heures à 18 heures, samedi et dimanche de 10 heures à 19 heures. Entrée : de 3 € à 6 €. Imarabe.org


Présentation de l’exposition



À travers l’exposition « Baya, icône de la peinture algérienne. Femmes en leur Jardin », l’Institut du monde arabe à Paris, puis le Centre de la Vieille Charité à Marseille, rendent hommage à l’artiste algérienne la plus singulière du XXe siècle, propulsée dès l’âge de 16 ans au sommet de la notoriété. Une invitation à (re)découvrir le bestiaire énigmatique de ses céramiques et surtout ses peintures joyeuses et colorées montrant une nature luxuriante, comme une ode à la vie.

Baya n’a pas souffert, comme d’autres femmes artistes, d’un manque de visibilité : elle avait 16 ans lors de la première grande exposition de ses œuvres, organisée à Paris en 1947 par le galeriste Aimé Maeght. Son travail, qualifié à tort « d’art naïf » ou « d’art brut », a exercé une influence majeure, particulièrement en Algérie où elle fut beaucoup imitée par les générations formées après l’Indépendance, pour sa singularité, son raffinement et sa dimension spirituelle.

Les œuvres de Baya conservées au musée de l’Institut du monde arabe, augmentées de la donation Claude et France Lemand, forment un ensemble documentant toutes ses périodes d’activité, de 1947 à sa mort en 1998. Elles viennent compléter le fabuleux trésor des Archives nationales d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence et d’autres prêts. L’ensemble permet de saisir l’évolution de sa peinture – avec notamment l’introduction du thème de la musique à partir des années 1960 –, jusqu’aux émouvantes œuvres de 1998, les dernières réalisées par l’artiste.

« Baya. Femmes en leur Jardin » apportera aussi, dans une perspective d’études coloniales et décoloniales, un éclairage inédit sur le « cas Baya », étayé par l’exploration de ses archives, en particulier sa correspondance avec sa mère adoptive Marguerite Caminat. Comment cette jeune fille non scolarisée (comme 98% des filles « indigènes » de sa génération), qui a connu souffrance et violence, devint-elle, à la fin de la période coloniale, cette Baya maîtrisant le langage des formes et des couleurs et créant un style bien identifiable, propulsée dès l’âge de 16 ans au sommet de la notoriété, éblouissant les amateurs d’art parisiens et faisant l’objet d’une double page (écrite par Edmonde Charles-Roux) dans le magazine Vogue ?

Des visites, conférences, rencontres et publications analyseront le contexte historique, social, économique et esthétique de production de chacune des périodes du parcours de Baya, et étudieront les œuvres dans ce qu’elles ont de contingent, d’unique et d’universel.


Baya, la femme qui a renouvelé l’art algérien



Publié par France Culture, le 9 décembre 2022. Source


L’art de Baya, marqué par son enfance algérienne



par Philippe Dagen, publié par Le Monde le 21 janvier 2023.
Source

Baya
Baya


L’Institut du monde arabe, à Paris, consacre une rétrospective à la peintre et sculptrice autodidacte Fatma Haddad, dont l’œuvre a connu des interprétations très diverses.

Baya est le nom d’artiste d’une peintre et sculptrice algérienne, Fatma Haddad, née en 1931 dans une famille pauvre près de Bordj El Kiffan, à l’est d’Alger, et morte en 1998 à Blida. Brièvement célèbre en France après la seconde guerre mondiale, elle interrompt tout travail artistique en 1953, année de son mariage avec le musicien de style arabo-andalou El Hadj Mahfoud Mahieddine (1903-1979). Elle y revient à partir de 1962 et développe jusqu’à ses dernières années une œuvre, essentiellement picturale, qui est assez largement exposée en Algérie et en France, en particulier au Musée Cantini, à Marseille, en 1982.

Portrait de Baya (1947). ARCHIVES NATIONALES D’OUTREMER
Portrait de Baya (1947). ARCHIVES NATIONALES D’OUTREMER

Ces faits suffisent à mesurer l’étrangeté de son cas : celui d’une artiste qui naît et grandit dans le contexte colonial algérien, ne fréquente aucune école d’art, est rapidement reconnue en raison de ses premières gouaches et, après dix ans d’arrêt, reprend le fil de ses débuts et le tient un quart de siècle.

L’exposition qui se tient à l’Institut du monde arabe cet hiver à Paris, avant d’être présentée à la Vieille Charité à Marseille, montre, en une cinquantaine d’œuvres, comment Baya a créé son style et l’a fait fructifier. Par lettres, archives et autres documents, elle raconte aussi comment l’œuvre a été reçue et combien elle a été l’enjeu de querelles d’interprétation.

Enigmes

La première énigme est celle de l’apparition de cette œuvre. Baya a raconté comment, enfant, elle a vu, en Kabylie, des potières au travail, ce qui lui aurait donné l’envie de manier à son tour l’argile. En 1941, orpheline de père et de mère, elle est recueillie avec sa grand-mère dans la ferme horticole de la famille Farges. Elle y est remarquée par Marguerite Caminat, sœur de la propriétaire de l’exploitation et épouse d’un peintre juif britannique réfugié en Algérie, Frank McEwen. Tous deux s’intéressent à la création des enfants, sujet d’études en Europe depuis la fin du XIXe siècle.

En 1943, Marguerite Caminat passe un contrat avec la grand-mère : elle embauche Baya comme servante, la fait venir chez elle, à Alger, lui fait donner des leçons de français et lui fournit papier, couleurs et terre.

Les plus anciens travaux connus datent de 1944 : têtes, femmes aux grandes robes chamarrées, jardins denses. Dès ce moment, alors qu’elle a 13 ans, Baya définit les formes d’un geste sûr et associe les couleurs, souvent au paroxysme de leur intensité, de manière que les figures se détachent soit sur le blanc de la feuille, soit sur des fonds bleus, ocre ou roses à peine moins intenses.

Artiste d’« instinct »

Pourquoi elle en est si capable si tôt, on ne peut l’expliquer. Elle n’est pas passée par les Beaux-Arts d’Alger : jeune fille « indigène » selon le vocabulaire du temps, elle n’y aurait pas été admise. Que connaît-elle en matière d’art ? Ce qu’elle a pu voir d’artisanat, céramiques et tissus.

En 1947, Marguerite obtient la tutelle de Baya, celle-ci ayant été maltraitée par un oncle. La décision est appuyée par le cadi (juge) Mohammed Benhoura, qui deviendra en 1952 le deuxième mari de Marguerite, figure intellectuelle reconnue, proche d’Albert Camus.

En mai 1947, un galeriste débutant vient à Alger, Aimé Maeght. On lui montre des gouaches de Baya. Immédiatement, il décide de l’inclure dans l’exposition internationale du surréalisme que sa galerie accueille en juillet et dont les organisateurs sont André Breton et Marcel Duchamp. En novembre, il lui consacre une exposition personnelle et un numéro de sa revue Derrière le miroir. Succès immédiat et début des interprétations en tous sens.

Tout en affirmant que le « monde musulman [est] scandaleusement asservi », Breton voit Baya comme celle qui redonne du sens à « ces beaux mots nostalgiques : l’Arabie heureuse », espoir qui laisse sceptique. Dans un tout autre genre, les autorités françaises aimeraient faire de son œuvre la preuve du bonheur des colonisés. L’historien de l’art André Chastel la compare à Matisse, mais elle serait une femme artiste d’« instinct » et Matisse, un homme à « la science exacte »…

Deux légendes

En 1948, Jean Dubuffet tente de l’enrôler dans l’art brut. En 1948 encore, elle séjourne à l’atelier Madoura, à Vallauris (Alpes-Maritimes), célèbre pour être celui des céramiques de Picasso. Les deux s’y trouvant en même temps, deux légendes se créent : celle de l’influence de Picasso sur Baya et celle de l’influence de Baya sur Picasso. Si fausses soient-elles toutes deux, elles contribuent à accroître la notoriété de l’artiste, qui n’a pas encore 20 ans.

Les œuvres de cette période ne sont pas de plus grand format que les précédentes mais peuplées de plus d’animaux et d’humains et plus narratives, se référant souvent aux contes que Baya a entendus enfant. La dextérité graphique et picturale est intacte et Baya, jetée d’un coup dans le monde de l’art moderne, se montre remarquablement étanche aux influences. Ni Matisse ni Klee, ni Brauner ni Dufy : aucun contemporain n’affecte sa manière. Les visages sont toujours signalés par une zone claire et par les courbes des sourcils, des yeux et des lèvres. Les orchestrations chromatiques sont toujours aussi puissantes et les compositions tenues par un dessin au crayon préalable.

Baya,
Baya,

Ce style singulier réapparaît tel quel après la décennie du mariage, des maternités et du silence. En 1961, Jean de Maisonseul, futur directeur du Musée national des beaux-arts d’Alger, lui offre couleurs et papier, pour qu’elle recommence. C’est ce qui se passe, et qui n’est pas moins surprenant que ses débuts : elle reprend là où elle s’était arrêtée. Seules évolutions : les oiseaux se chargent d’allusions religieuses ou profanes, des natures mortes réunissent instruments de musique et fleurs, des paysages échelonnent oliviers et dattiers.

Baya a continué imperturbablement ainsi jusqu’à la fin, malgré la maladie et les périls. Quand Blida est devenue l’une des villes les plus dangereuses d’Algérie durant la guerre civile, elle y est restée, refusant la proposition de se réfugier en France et continuant son œuvre. Rien ne pouvait la détourner de la peinture.

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