L’antitsiganisme européen, d’hier à aujourd’hui1
Seuls quelques milliers de Roms ontsurvécu au génocide et aux camps de concentration nazis en Allemagne. Ils se sont heurtés à des difficultés considérables en tentant de reconstruire leur vie, avec leurs familles décimées et leurs biens détruits ou confisqués et, pour beaucoup, une santé détériorée. Pendant des années, les demandes d’indemnisation de ceux qui tentaient d’obtenir réparation ont été rejetées.
Pour les survivants, l’époque post-hitlérienne n’a pas amené la justice. De façon significative, la question de l’extermination de masse du peuple rom n’a pas été soulevée au procès de Nuremberg. Le génocide des Roms – Pharrajimos (ou Porrajmos) – n’a guère été reconnu dans le discours public.
Les crimes commis par les régimes fascistes contre les Roms pendant la même période dans d’autres régions d’Europe ont également été passés sous silence. En Italie, une circulaire de 1926 ordonnait l’expulsion de tous les Roms étrangers afin de «nettoyer le pays des caravanes tsiganes qui, il va sans dire, constituent un risque pour la sécurité et la santé publiques à cause du mode
de vie propre aux Tsiganes ».
L’arrêté disait clairement que le but était de « frapper au cœur de l’organisme tsigane ». Dans l’Italie fasciste, c’est ainsi qu’a été ouverte la voie à la discrimination et la persécution. De nombreux Roms ont été détenus dans des camps spéciaux, d’autres envoyés en Allemagne ou en Autriche puis exterminés.
En Roumanie, le régime fasciste de la «Garde de fer » a commencé à procéder à des déportations en 1942. Comme de nombreux Juifs, environ 30 000 Roms ont été amenés de l’autre côté du Dniestr où ils ont été victimes de la faim, des maladies et de la mort. Près de la moitié seulement ont survécu à ces deux années d’extrêmes souffrances avant le changement de politique.
L’histoire de la répression des Roms en Europe est antérieure à l’époque nazie et fasciste. En fait, elle remonte à plusieurs centaines d’années, après les migrations des Roms du sous-continent indien. Les Roms étaient des étrangers qui servaient de boucs émissaires pour des problèmes dont les autochtones ne voulaient pas assumer la responsabilité. Les méthodes de répression ont
connu bien des avatars avec le temps : esclavage, assimilation forcée, expulsion, internement et extermination de masse.
Des commissions de vérité doivent être mises en place dans un certain nombre de pays européens afin d’établir la vérité sur les atrocités de masse commises contre les Roms. Dans l’idéal, il faudrait que cette mesure touche toute l’Europe. La pleine connaissance et la reconnaissance de ces crimes pourraient contribuer d’une certaine manière à restaurer la confiance des Roms dans toute la société.
Il n’est pas étonnant que de nombreux Roms continuent de voir les autorités comme une menace.
Lorsqu’on leur demande de s’enregistrer ou de donner leurs empreintes digitales, ils craignent le pire. On le comprend d’autant mieux quand ils expliquent les analogies qu’ils voient entre la rhétorique contemporaine anti-rom et le langage utilisé dans le passé en Europe par les nazis, les fascistes et d’autres extrémistes.
Les Roms ont été stigmatisés collectivement comme des criminels dans des propos extrêmement radicaux ces derniers temps. Citons, par exemple, la décision du Gouvernement français, en juillet-août 2010, d’expulser des migrants roms provenant d’autres pays de l’UE, si nécessaire par la force. La campagne du gouvernement s’est accompagnée d’une utilisation flagrante de
rhétorique anti-rom. La communauté rom dans son ensemble a été assimilée à la criminalité. La présence des Roms a été qualifiée de menace à la « sécurité publique », un langage juridique généralement employé pour les situations extraordinaires où l’on considère que la paix et la survie de l’Etat sont en jeu.
Le prétendu lien entre Roms et crime est une rengaine souvent reprise dans les discours de haine. On peut la réfuter et éclaircir les malentendus si les esprits sont ouverts à un échange rationnel. Certains Roms se sont bien sûr rendus coupables de vols. Certains ont aussi été exploités et instrumentalisés par les trafiquants. Dans la plupart des pays, les personnes socialement marginalisées et démunies sont sur-représentées dans les statistiques criminelles, et ce pour des raisons évidentes. Mais il est tout aussi vrai que ces données sont à leur tour influencées parle traitement défavorable que ces personnes subissent généralement dans le système judiciaire actuel.
Ces problèmes ne donnent aucune excuse pour stigmatiser tous les Roms qui, pour leur très grande majorité, ne contreviennent pas à la loi. Un groupe tout entier ne saurait être blâmé pour les actes de certains de ses membres : c’est là un principe éthique fondamental.
Les propos xénophobes de hauts responsables politiques ne devraient pas être banalisés. Certains esprits mal pensants pourraient les entendre comme l’autorisation de se livrer à des actes punitifs et à des agressions physiques. La rhétorique malheureuse de certains candidats lors des élections italiennes de 2008 a été suivie d’incidents déplorables de violence à l’égard des Roms et de leurs campements. En Hongrie, en 2008-2009, le meurtre de sang froid de six Roms, dont un enfant de cinq ans, a été commis dans un climat lourd de haine déclarée.
L’antitsiganisme est aujourd’hui à nouveau exploité par des groupes extrémistes dans plusieurs pays européens. On a signalé, par exemple, des actes de violence collective contre des Roms en République tchèque et en Hongrie.
En général, les représentants de l’Etat que les Roms rencontrent le plus souvent sont les policiers. Pendant mes missions, j’ai été frappé par les signes des mauvaises relations entre les communautés roms et la police dans plusieurs pays. De nombreux Roms nous ont donné des exemples précis sur la manière dont la police n’a pas su les protéger contre des agressions d’extrémistes. Pire encore, dans certains cas ce sont les policiers eux-mêmes qui étaient à l’origine des violences.
L’antitsiganisme continue d’être répandu dans toute l’Europe. Dans les situations économiques difficiles, la tendance à diriger la frustration contre des boucs émissaires s’affirme et les Roms semblent être une cible facile. Plutôt que de pêcher en eaux troubles, les responsables politiques nationaux et locaux devraient prendre position pour les principes de non-discrimination et de
respect des personnes d’origine différente. A tout le moins, ils devraient éviter de recourir eux-mêmes à une rhétorique anti-rom.
Un certain nombre de mesures concrètes peuvent être prises. Les atrocités passées commises contre les Roms devraient être incluses dansles cours d’histoire. Les membres des professions en première ligne, comme les policiers, devraient être formés à l’indispensable protection de Roms contre les crimes de haine et être sanctionnés s’ils commettent eux-mêmes des abus.
Plus important encore, les élus doivent faire preuve d’autorité morale : ils doivent encourager et vivre dans la pratique l’engagement à respecter et à promouvoir les droits de l’homme pour chacun.
En France … 2
En France, les fréquentes expulsions forcées de Roms originaires de Bulgarie ou de Roumanie ont été dénoncées par les ONG comme portant atteinte aux conditions de vie des populations déjà fragiles au lieu d’améliorer leurs installations. Le nombre d’expulsions a augmenté depuis que le président Nicolas Sarkozy a dénoncé, en juillet 2010, les «camps illégaux» de Roms comme sources de la criminalité, et demandé au gouvernement de démanteler ces camps dans les trois mois. Le 5 août 2010, une circulaire a demandé aux autorités locales de démanteler systématiquement les “camps illégaux”, en précisant explicitement que priorité devait être donnée à ceux habités par des Roms. Après de nombreuses critiques, notamment de la Commission européenne, la circulaire a été annulée et remplacée le 13 Septembre par une autre qui vise les installations illégales indépendamment de leurs occupants3. Médecins du Monde a rapporté que les expulsions multiples ont eu un impact négatif sur l’état de santé des migrants roms et sur la propagation de maladies infectieuses comme la tuberculose. Les organisations non gouvernementales ont signalé que près de 11 000 Roms migrants ont été expulsés de 116 sites entre janvier 2010 et septembre 2011, avec une augmentation notable enregistrée au second trimestre de 2011, et que, dans 85% des cas, aucune solution de relogement adaptée n’a été proposée.
Une expulsion particulièrement inquiétante s’est déroulée le 1er septembre 2011 à Saint-Denis où environ 200 Roms auraient été évacués de force par la police anti-émeute dans une rame de tramway de la RATP, sans aucune indication sur la destination. Certains enfants ont même été séparés de leurs parents4.
- Introduction du rapport de Thomas Hammarberg. » Les droits de l’homme des Roms et des Gens du voyage en Europe » : http://www.coe.int/t/commissioner/source/prems/prems212811_FRA_2612_Roma_and_Travellers_Extraits_A4_web.pdf. © Conseil de l’Europe.
- Référence : rapport de Thomas Hammarberg, page 149 (traduction LDH-Toulon).
- Voir en particulier : 4064.
- Voir : 4609.