L’antisémitisme est le racisme envers les « Juifs », plus précisément envers ceux qui sont considérés comme Juifs. Comme toute forme de racisme, il a son histoire qu’il importe de connaître. Cette page n’a pas pour ambition de faire le tour de la question, mais d’insister sur quelques points qui paraissent essentiels.
L’antisémitisme s’est lentement construit tout au long de l’Histoire : il a d’abord été un antijudaïsme païen, les Juifs refusant de pratiquer le culte de l’empereur et de se soumettre aux Romains.
Puis il y a eu un antijudaïsme chrétien : pour avoir osé assassiner Jésus, le fils de Dieu, il fallait que le Juif soit porteur de tous les péchés. Il fallait lui faire payer sa faute, la plus horrible de toutes, la lui faire payer très cher. Les Juifs sont ainsi devenus le peuple maudit. Cet antisémitisme a imprégné l’Europe pendant des siècles. Après cet antijudaïsme religieux, ou plutôt le renforçant, un antijudaïsme économique apparaît au Moyen-Âge.
Les Juifs, considérés comme « coupables », étaient tenus à l’écart. Ainsi, comme l’a écrit Marx, « le judaïsme s’est conservé non pas malgré l’Histoire mais par l’Histoire ». Au fil de cette histoire, la situation s’est peu à peu figée. Mais déjà, on peut dire avec Sartre : “Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour un Juif”.
Au dix-neuvième siècle, l’antisémitisme européen change de nature et se développe. Deux facteurs y contribuent : le succès de l’idée d' »identité nationale », et les tentatives pour donner un fondement scientifique à la notion de « races humaines » – il a fallu attendre la seconde moitié du vingtième siècle pour que la biologie démontre le caractère complètement fallacieux de cette dernière notion.
C’est en 1879, que l’Allemand Wilhelm Marr invente le mot « antisémitisme ». La genèse du mot se trouve du côté de la philologie : les linguistes européens ayant identifié une origine commune aux langues hébraïque, arabe, araméenne, ils ont rangé toutes ces langues sous l’épithète sémitique1. Mais l’emploi du mot antisémitisme pour désigner la haine des Juifs et d’eux seuls repose sur une double erreur : 1) l’assimilation d’une catégorie linguistique (les langues sémitiques) et d’une pseudo-catégorie raciale, 2) il réduit les usagers des langues sémitiques aux seuls Juifs en oubliant les Phéniciens, les Arabes …
Le dix-neuvième siècle est aussi le temps où des Juifs, progressivement intégrés comme citoyens dans toute l’Europe, s’assimilent et perdent souvent leurs croyances religieuses. La fin du siècle voit également, en réaction à la montée de l’antisémitisme, l’apparition d’un nationalisme juif, le sionisme, qui se développe notamment en Europe centrale et de l’Est, là où existaient de nombreuses communautés juives.
Les Français ont contribué au développement de l’antisémitisme : Arthur de Gobineau qui publie, en 1853-1855, son célèbre Essai sur l’inégalité des races humaines, et surtout Edouard Drumont, dont La France juive (1886) fait le théoricien de l’antisémitisme en France. Avec ce dernier, l’antisémitisme prend une dimension politique : patrons et ouvriers ont un ennemi commun, le Juif, qui appartient en ce siècle à une race à part au moment où la classification en races apparaît comme un concept dit scientifique. C’est ainsi que l’antisémitisme va s’épanouir dans certains milieux nationalistes, socialistes et laïques qui dénoncent le pouvoir de l’argent, exaltent les vertus des classes laborieuses et pratiquent le culte de la Nation.
Mais c’est le nazisme qui a poussé les choses au plus loin en mettant méthodiquement en pratique, pour la première fois dans l’Histoire, la « solution finale » – l’extermination pour appartenance raciale : pour les antisémites modernes un Juif ne peut échapper à sa condition car celle-ci découle de sa « race » (on ne peut changer de race comme on change de religion). C’est ainsi que, par étapes successives, les antisémites sont arrivés aux lois de Nuremberg (1935) et au génocide de 1941-1945. Le Juif est alors devenu sous-homme.
Plus récemment, l’antijudaïsme lié au conflit israélo-palestinien à base d’identification « Juif = Israélien » est difficile à séparer de l’antisémitisme traditionnel.
L’antisémitisme est une des formes du racisme et en tant que tel une atteinte à l’universel ; ce qui suffit à justifier la nécessaire mobilisation de tous2
contre l’une des variantes de l’ennemi commun : celui qui refuse l’autre pour des raisons antérieures à la naissance de cet autre.
Mais dire que l’antisémitisme est un sous-ensemble d’un ensemble plus vaste appelé racisme ne conduit pas à l’y assimiler. Non seulement parce que toute variante du racisme a son histoire et sa spécificité, l’antisémitisme comme les autres ; mais également parce que, pour la première fois dans l’Histoire, l’antisémitisme s’est concrétisé sous la forme à la fois d’un génocide et d’un ensemble de crimes contre l’humanité, atteignant à un degré de planification politique et d’exécution industrielle inimaginables. Il ne s’agit donc pas de comparer les taux d’horreur des diverses grandes exterminations (esclavagiste, coloniale ou inter-ethnique), mais de comprendre que celle-là n’a pas été de la même nature, et qu’on ne saurait l’oublier.
Qu’un antisémitisme « moderne », venu des ghettos urbains, lié à des problèmes sociaux profonds et à la question palestinienne, se trouve renaître maintenant ; que certains Israéliens ou Juifs de la diaspora se réfèrent à la barbarie nazie pour affirmer leur statut éternel de victimes et s’exonérer, le cas échéant, du droit commun, c’est la triste réalité à laquelle nous avons affaire aujourd’hui. Mais il faut être clair : tout en reconnaissant la place tragique de l’antisémitisme, nous refusons de l’isoler du racisme en général.
« Éduquons, afin que personne ne soit plus interrogé ni sur ses origines, ni sur ses croyances. » (Simone Veil)