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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024

L’ambassadeur de France en Algérie : nous devons regarder notre histoire commune en face et l’assumer chacun de son côté

Le quotidien algérien de langue française L'Expression rapporte dans son édition du 1er avril 2007 d'importantes déclarations de l'ambassadeur de France en Algérie. Bernard Bajolet aborde les relations économiques1, et les rapports «humains» entre les deux pays. Vous trouverez ci-dessous ce qui concerne ces derniers : les relations culturelles, les rapports au passé et le problème des visas. Observant que les mémoires se délient, l'ambassadeur n'hésite pas à déclarer que «[la] mémoire doit être partagée. Le plus grand chemin à faire est celui des Français, mais cela ne veut pas dire que les Algériens n’ont aucun chemin à faire. On a tout de même progressé. On n’est pas au bout du chemin. Il faut regarder l’histoire en face pour être en paix avec son passé et construire le futur. C’est par toute chose concrète que ce travail de mémoire doit se faire. Il faut qu’il n’y ait aucun sujet tabou entre l’Algérie et la France»

COOPÉRATION CULTURELLE : «Excluons tout sujet tabou»

La culture est ce qui reste lorsque tout est dilué. C’est ce que pense sans doute l’ambassadeur de France, parlant de la coopération algéro-française.

«Aucun accord culturel n’est aussi ambitieux que celui que nous allons proposer à l’Algérie», a souligné l’ambassadeur de France en Algérie, avant de poursuivre que, «pour la France, le Maghreb est un partenaire stratégique et l’Algérie, particulièrement, a une part importante dans cet échange». M.Bernard Bajolet a tenu à faire ces déclarations lors du débat «A coeur ouvert» organisé lundi dernier par notre quotidien L’Expression.

La France désire se rapprocher de l’Algérie via le pôle culturel.

Potentiellement, c’est indéniable. Pour ce faire, «il faut travailler concrètement», dira M.Bernard Bajolet, qui ajoutera: «Nous allons renégocier avec l’Algérie la convention dite Accord de coopération culturelle, qui date de 1986. Nous allons transmettre à la partie algérienne de nouveaux textes de conventions qui définiront les objectifs prioritaires en commun pour les 5 années à venir en matière de coopération. Ce sont des textes liés aux différents aspects de cette coopération dans le domaine culturel certes, mais aussi de l’information, de l’économie, des finances et de la sécurité». Et de faire relever avec conviction: «Je crois pouvoir dire qu’aucun autre accord n’est aussi ambitieux que celui que nous allons proposer à l’Algérie.» Comme l’indiquait récemment M.Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères, la France vise à renforcer son partenariat avec le Maghreb. Aujourd’hui, les autorités françaises affichent clairement leurs intentions de rapprochement et d’approfondissement de leur relation avec le Maghreb et ce, en développant une culture de «l’image».

Cela se traduit sur le terrain par la nette volonté du groupe Canal+, notamment et sa filiale pour l’international Media Overseas, de lancer ses chaînes au Maghreb en les commercialisant à des prix réduits. S’agissant de contrer l’hégémonie de la langue anglaise, M.Bajolet répond, fair-play: «On ne ressent aucune concurrence ni jalousie. Il est légitime que l’Algérie ait d’autres partenaires. La relation entre la France et l’Algérie n’est pas exclusive. C’est naturel. Si l’anglais permet aux Algériens de s’ouvrir sur le monde, c’est tant mieux.»

Il n’empêche que Son Excellence reconnaît toutefois volontiers, que l’audiovisuel est un bon tremplin pour le développement de la francophonie dans le monde. Et d’estimer tout de même: «C’est à nous de faire plus d’effort en communication afin de faire mieux connaître ce qu’on fait, ce qui va peut-être rafraîchir notre image. C’est à la France de veiller à maintenir la place du français en Algérie. C’est vrai qu’il y a beaucoup d’effort à faire. Cet effort doit toucher tous les niveaux, les médias, le livre, l’enseignement supérieur…». Si beaucoup de choses sont en train de se faire au niveau des médias, le cinéma, lui, s’est emparé de cette culture de «l’image». M.Bajolet évoque les nombreuses coproductions entre l’Algérie et la France qu’il convient d’encourager.

Les mémoires se délient.

Aujourd’hui, beaucoup de films sur ou autour de la guerre d’Algérie sont tournés. Même s’il reste encore des choses à faire, une certaine chape de plomb a été levée. «Cette mémoire doit être partagée. Le plus grand chemin à faire est celui des Français, mais cela ne veut pas dire que les Algériens n’ont aucun chemin à faire. On a tout de même progressé. On n’est pas au bout du chemin. Il faut regarder l’histoire en face pour être en paix avec son passé et construire le futur. C’est par toute chose concrète que ce travail de mémoire doit se faire. Il faut qu’il n’y ait aucun sujet tabou entre l’Algérie et la France». Voilà qui est dit! Peut-être que là où la politique a échoué, le traité d’amitié, entre autres la culture, elle, réussira-t-elle à ressouder les liens entre l’Algérie et la France? Enfin,

M.Bernard Bajolet se dit agréablement surpris par la situation linguistique de l’Algérien, qui vit sa francophonie sans aucun complexe, tout en maîtrisant parfaitement les deux langues, arabe et française. Ayant déjà connu l’Algérie dans les années 80, il estime que la situation s’est nettement améliorée, à tout point de vue. Les entreprises françaises installées en Algérie avouent ne pas avoir de difficultés à recruter des cadres algériens.

O. Hind

TRAITÉ D’AMITIÉ : «Il faut un coup de bistouri»

L’ambassadeur de France à Alger estime qu’il faut dépassionner les débats et travailler ensemble pour construire une mémoire commune.

La signature du traité d’amitié entre l’Algérie et la France n’est pas pour demain. La question ne sera pas tranchée avant l’élection du nouveau président de la République française. Souhaité par les présidents Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac et annoncé en mars 2003, lors de la visite du chef de l’Etat français à Alger, le traité de «partenariat d’exception» a été bloqué par la polémique suscitée par la loi française du 23 février 2005, évoquant le «rôle positif» de la colonisation. L’article contesté a été, certes, abrogé mais les négociations restent en panne. Et le traité d’amitié a été, depuis, renvoyé aux calendes grecques. «C’est une question qui sera posée tout de suite au prochain exécutif. C’est à lui qu’il appartiendra de trancher sur l’idée du traité d’amitié», a souligné l’ambassadeur de France, qui ne désespère pas de voir aboutir ce fameux traité d’amitié. «Il appartiendra aux gouvernements de part et d’autre de décider s’il conviendra de le relancer», souligne Bernard Bajolet.

Cependant, pour le représentant diplomatique français à Alger, les relations entre les deux pays ne doivent pas se limiter à la signature du traité d’amitié. «Qu’est-ce que cela va changer? Avons-nous besoin de ce traité pour avancer?», s’est interrogé Bernard Bajolet avant d’ajouter «quelle que soit la réponse apportée à cette question, les relations entre l’Algérie et la France ne peuvent que progresser». C’est un voeu sincère et profond qu’exprime ainsi Bernard Bajolet tout en rappelant que l’Algérie a signé plusieurs traités avec d’autres pays avec lesquels elle entretient des relations amicales sans que cela s’intitule «traité d’amitié», ni ne change beaucoup la réalité de ces relations. Cependant, Bernard Bajolet estime que ce traité d’amitié entre l’Algérie et la France «était un beau projet» qui se justifiait par la «nature particulière de notre histoire commune». Une histoire que «nous devons regarder en face et assumer chacun de son côté».

Abordant indirectement le sujet, sensible, de la repentance, Bernard Bajolet, tout en estimant que les deux parties ont chacune une part de responsabilité, reconnaît néanmoins que «la France a beaucoup plus à se faire pardonner», mais récuse la notion de repentance: «Les Français n’étaient pas tous responsables du système colonial dans lequel ils vivaient.»

Pour dépassionner les débats, le diplomate français préconise «un coup de bistouri en lieu et place de grandes déclarations» en abordant tous les sujets sensibles, notamment les essais nucléaires, les mines ou les archives pour faire aboutir le projet du traité d’amitié, plaide le diplomate français. Et d’ajouter: «Il existe une sorte de tronc commun pour regarder l’avenir en face afin d’être en paix avec son passé.» Dans ce contexte, Bernard Bajolet révèle: «J’ai proposé une coopération entre le musée des Armées et le musée du Moudjahid.»

Smail Rouha

«Notre objectif: des visas dans l’immédiat»

M.Bernard Bajolet révèle avoir demandé aux autorités algériennes de faire preuve de réciprocité concernant la délivrance des visas pour les Français.

«Notre objectif est de faciliter la circulation des personnes entre l’Algérie et la France, sans perdre de vue l’autre souci, celui de limiter l’immigration illégale. Il nous semble que ces deux préoccupations sont tout à fait compatibles», affirme l’ambassadeur de France en Algérie, M.Bernard Bajolet.

Aux plus perplexes, l’invité de L’Expression atteste que la France a pesé de tout son poids pour amener ses partenaires européens à réviser la procédure d’octroi des visas pour les ressortissants algériens, jugée, lourde, et, de surcroît, discriminatoire, puisqu’elle ne s’applique ni aux Tunisiens ni aux Marocains. «Les choses, estime-t-il, se sont déjà améliorées, je pense qu’elles vont continuer dans ce sens.»

La première décision prise pour faciliter la circulation des personnes entre les deux pays, a coïncidé avec la visite du ministre de l’Intérieur, M.Nicolas Sarkozy, en novembre 2006. Elle concernait la suppression de la consultation préalable des pays européens de l’espace Schengen avant la délivrance de visas aux ressortissants algériens.
M.Bernard Bajolet reconnaît, quatre mois après, que cela n’a pas été facile, «parce qu’il fallait convaincre certains partenaires réticents de l’espace Schengen», sans pour autant citer les pays concernés. Mais l’on sait déjà que le volet sécuritaire a été le principal argument évoqué par les Européens pour justifier leur position vis-à-vis de l’Algérie.

L’ambassadeur rappelle aussi la mise en fonction d’un nouveau système de délivrance des visas que ses promoteurs qualifient de moderne, d’efficace et de réactif, permettant de réduire les délais inhérents à l’étude des dossiers. Un délai que l’ambassade espère voir baisser encore avec la mise en service, au courant de l’année en cours, du visa biométrique, à la condition que les moyens suivent. Le problème reste, néanmoins, posé pour les visas introduits à Nantes, qui représentent un peu plus de la moitié de l’ensemble des visas déposés par les Algériens. «Il faut rapatrier le plus tôt possible ces dossiers à Alger, pour cela, j’ai besoin de renforcer mes effectifs», a-t-il précisé. Sarkozy avait annoncé, lors de sa visite, le transfert progressif à Alger, dès cette année, du bureau des visas pour les Algériens, qui se trouve actuellement à Nantes. Cette mesure permettra aux Algériens de ressentir d’une manière palpable cette évolution. Par ailleurs, l’invité de notre rubrique «A Coeur ouvert avec L’Expression», confirme le bon avancement des travaux pour la reconstruction du consulat d’Oran, qui sera ouvert cette année. «L’équipe est en train de se constituer» note-t-il, se targuant du fait que son ambassade «bénéficie du plus grand budget immobilier dans le monde». D’ailleurs, l’objectif que s’est assigné Bernard Bajolet est d’«arriver à délivrer les visas dans l’immédiat». Une promesse à encourager.

Concrètement, le nombre des visas de circulation délivrés par l’ambassade de France a augmenté. En 2006, ils ont représenté près du quart des demandes, soit 34.000 visas octroyés. Cette évolution touche principalement les hommes d’affaires, les universitaires, les médecins, tous ceux qui concourent à la relation franco-algérienne.

Dans le même chapitre, M.Bajolet nous révèle avoir saisi les autorités algériennes pour qu’elles fassent preuve de réciprocité en ce qui concerne la délivrance des visas de circulation pour les Français souhaitant se rendre dans notre pays, pour différentes raisons. «Nous avons demandé aux Algériens de faire un petit effort pour régler ce problème», souligne-t-il.

Achira Mammeri
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