4 000 articles et documents

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024

L’Algérie participera bien aux cérémonies du 14 juillet 2014

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a confirmé le 6 juillet la participation de l’Algérie au défilé du 14 Juillet à Paris pour commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale. «L'Algérie participera [...] dans les mêmes conditions que quatre-vingts autres nations dont des citoyens sont tombés sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, à la manifestation prévue à Paris à cet effet», a-t-il précisé. Une participation qui soulève des vagues en France -- l'extrême droite ayant lancé une campagne de protestation -- et qui, d'autre part, divise les Algériens. Dans une chronique intitulée «14 Juillet “algérien” : geste audacieux, raisons douteuses» publiée le 10 juillet dans Le Quotidien d'Oran, Kamel Daoud note que «le régime a tellement instrumentalisé l'histoire de la guerre d'indépendance que sa décision de “défiler là-bas” heurte». 1 Ci-dessous quelques éléments d'information sur la participation des Algériens à la Première Guerre mondiale.

Première guerre mondiale (1914-1918) :

28 000 morts Algériens oubliés de l’histoire

par Nadjia Bouzeghrane, El Watan le 13 juillet 2014

«La France n’oubliera jamais le prix du sang versé. Cet hommage s’adresse à leurs descendants pour qu’ils soient fiers de leurs parents et conscients que la République a une dette à leur égard.

A celles et ceux qui s’interrogent sur leur destin, leur place et même parfois sur leur identité, aux descendants de ces soldats, je dis ma gratitude
», affirmait le président Hollande lors de sa visite à la Mosquée de Paris pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France lors des deux Guerres mondiales.

Pendant la Première Guerre mondiale, environ 175 000 soldats venant d’Algérie avaient été mobilisés, ainsi que 180 000 originaires d’Afrique noire, 60 000 de Tunisie et 37 000 du Maroc, selon des chiffres officiels français. Avec le début de la guerre, 20 000 Algériens, 8000 Tunisiens et 3500 Marocains débarquent dans les ports français. Sur les 40 bataillons de troupes nord-africaines qui sont au front cette année-là, 32 arrivent entre août et septembre 1914. 1

Dire la vérité

Cette «guerre totale» oblige rapidement à recourir à la conscription, déjà introduite en Algérie en 1912, puis fréquemment au recrutement forcé qui entraîne, en Algérie notamment, de nombreuses révoltes comme celle du Constantinois en 1916, suivies d’une répression sévère.
Au front, les soldats ne sont pas égaux, les inégalités entre indigènes et coloniaux sont relevées par des sous-officiers algériens, notamment le petit-fils de l’Emir Abdelkader, l’émir Khaled. Le service d’organisation des travailleurs coloniaux (SOTC) créé en 1916, mobilise les coloniaux.

La Deuxième Guerre mondiale engage à nouveau en masse les indigènes des colonies. En 1939, des troupes algériennes étaient dans l’armée française défaite par l’Allemagne. Beaucoup sont morts, d’autres furent faits prisonniers. Quatre ans plus tard, en 1943 et 1944, l’armée de Libération, partie d’Algérie, compte dans ses rangs des dizaines de milliers d’Algériens, tandis que d’autres rejoignent les rangs de la résistance.

«C’est difficile d’avoir des chiffres sûrs et fiables, car on parlait de soldats français et les ‘indigènes’ étaient compris dans les pertes françaises. Ce qu’on sait, c’est qu’à partir de novembre 1942 jusqu’à la capitulation allemande en mai 1945, on estime à 100 000 le nombre de tués et disparus et, dans ce nombre, une bonne moitié de Maghrébins. Si on prend par exemple la campagne de Tunisie, l’armée française était constituée majoritairement d’Algériens.

De même lors de la campagne d’Italie après le débarquement à Naples. 54% du contingent en Italie était composé de soldats indigènes. Et pour la libération de la France, les comptes s’équilibrent à partir du moment où on a intégré des Français», souligne Belkacem Recham, chargé de cours à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, auteur de Musulmans algériens dans l’armée française, 1919-1945, éditions L’Harmattan, 1996 (El Watan du mardi 8 juin 2014). Et d’ajouter : «On verra bien comment sera célébré le débarquement de Provence (en août 1944) qui avait impliqué un grand nombre de soldats d’Afrique du nord qui ont libéré la France, de Marseille jusqu’en Alsace». «J’aimerais bien qu’il soit aussi médiatisé que celui de Normandie», le 6 juin 1944.

«Le modèle du silence et des non-dits de l’histoire a échoué»

Aujourd’hui il s’agit de dire et d’expliquer que des Algériens se sont battus pour la liberté de la France. De lever l’anonymat qui entoure ceux qui ont laissé leur vie sur les champs de bataille. De leur donner une mémoire. La reconnaissance qui leur revient. Belkacem Recham cite l’exemple du docteur Benhabib sur la fiche duquel est noté «médecin, résistant, dès 1942». «J’ai retrouvé une lettre de son commandant qui le propose à la médaille de la résistance. On ne la lui donne pas, car il part en Algérie en 1945 au moment des événements du 8 Mai. Il se bat en Algérie, donc il n’a plus droit à l’hommage en France.»

Militant de la mémoire et bédeiste, Kamel Mouellef rappelle qu’«à Lyon, les Algériens étaient dans l’armée qui a libéré la ville, il n’y a même pas une stèle pour les honorer. Des Algériens ont saboté des machines dans des usines pour bloquer l’avancée des Allemands en 1940, ils ont été abattus, on a dit que c’était par racisme de la part des occupants. Ce qui est faux. 2014 est l’occasion de pouvoir écrire ces pages d’histoire. Il faut ouvrir les archives. Contre les blocages, 2014 devrait être une année décisive. Les autorités françaises doivent la vérité aux Algériens» (El Watan du 4 mars 2014). Il y a quelques années, avec les dessinateurs Batiste Payen et Tarek, Kamel Mouellef avait réalisé un livre de bandes dessinées intitulé Turcos, le jasmin et la boue, par lequel il rendait hommage aux combattants d’Afrique du Nord impliqués dans la guerre de Crimée (1850), celle de Prusse (1870) puis la Grande Guerre de 1914 à 1918.

Kamel Mouellef prépare une deuxième BD, en hommage cette fois aux soldats indigènes résistants qui pourrait s’intituler Les Oubliés de la Résistance. «Oui. Les Algériens, il serait temps d’en parler. A Lyon, les Algériens étaient dans l’armée qui a libéré la ville, il n’y a même pas une stèle pour les honorer. Des Algériens ont saboté des machines dans des usines pour bloquer l’avancée des Allemands en 1940, ils ont été abattus, on a dit que c’était par racisme de la part des occupants. Ce qui est faux. 2014 est l’occasion d’écrire ces pages d’histoire. Il faut ouvrir les archives. Contre les blocages, 2014 devrait être une année décisive. Les autorités françaises doivent la vérité aux Algériens » (El Watan du 4 mars 2014).

«Le modèle du silence et des non-dits de l’histoire a échoué. Donc laissons faire un autre modèle. Racontons notre histoire, mais toute notre histoire… Le temps nous permet de raconter l’histoire. C’est important de part et d’autre de la Méditerranée. On a besoin de se comprendre et, pour se comprendre, il faut comprendre nos aînés», nous affirmait Pascal Blanchard, historien, président du groupe Achac, à l’origine de nombreuses manifestations commémoratives (colloques, expositions, rencontres-débats) à travers le territoire français (El Watan du 9 octobre 2013).

Nadjia Bouzeghrane

_______________________

Michelle Mann : «Les combattants des colonies ont fait l’objet de mesures discriminatoires»

par Sophia Aït Kaci, El Watan le 13 juillet 2014

Michelle Mann, chercheure en histoire à l’université de Brandeis (Etats-Unis) consacre ses travaux à l’impact de la Grande Guerre sur la société algérienne. Elle scrute les archives françaises témoignant de la politique menée à cette époque.

  • L’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914. Dans les jours qui suivent, l’administration coloniale se met en branle pour mobiliser l’empire français. Quel est l’état d’esprit à Alger au moment de l’entrée en guerre ?

Michelle Mann : Le gouverneur général de l’époque s’appelle Lutaud. Le 5 août, il fait publier une déclaration dans laquelle il demande à la population de soutenir la France. Il en appelle aussi à l’unité, ce qui est plutôt ironique quand on sait qu’il a rédigé deux textes distincts, l’un à l’adresse des 900 000 colons européens et l’autre pour les 3,5 millions de musulmans, d’«indigènes musulmans». Dans le second, il met en exergue la bravoure des musulmans qui «ne connaissent pas la peur», tout en les menaçant de ce que «Dieu n’aime pas les traîtres». Cette déclaration donne le ton de l’attitude ambivalente des autorités pendant toute la guerre. D’un côté, elles ont besoin de recourir aux troupes indigènes et, de l’autre, elles craignent que celles-ci ne se retournent contre le pouvoir colonial.

  • Qu’en est-il justement des hommes envoyés au front ? La mémoire collective a retenu l’image de soldats enrôlés de force pour servir de chair à canon…

Entre 1914 et 1918, près de 200 000 soldats algériens partent à la guerre, 87 000 engagés et 82 000 recrutés par voie d’appel. Les autorités sont surprises par la forte proportion d’engagés. Les raisons sont diverses : pour certains, c’est la prime d’incorporation. D’autres font le pari que ce sacrifice permettra d’obtenir plus de droits. Il s’agit de jeunes citadins éduqués imprégnés des idées républicaines. Mais les engagements forcés, sous la pression de l’administration, sont aussi une réalité.

  • En face, l’Allemagne tente très tôt de rallier à elle les combattants issus des colonies. Surtout après l’entrée en guerre de l’empire ottoman à ses côtés…

Effectivement, les Allemands mènent une propagande acharnée pour convaincre les Nord-Africains de rejoindre leurs coreligionnaires de l’empire ottoman. Ils recrutent notamment des imams égyptiens et tunisiens pour prôner le djihad contre l’impérialisme français. Sans grand résultat. Mais de son côté, la France réagit par une contre-propagande ; elle veut montrer l’image d’une nation bienveillante à l’égard de l’islam et des musulmans. En toile de fond, certains stratèges pensent aussi à l’après-guerre et à la lutte d’influence qui se jouera pour récupérer les territoires sous administration ottomane. Ils cherchent donc la sympathie des leaders arabes.

  • Concrètement, comment cela se manifeste ?

L’armée veut montrer qu’elle est respectueuse des pratiques religieuses en fournissant des rations sans porc et sans alcool, en autorisant la pratique du jeûne pendant le Ramadhan, en installant des mosquées dans l’arrière-front. La construction de la Grande Mosquée de Paris se décide aussi à cette époque. Et l’envoi de dignitaires religieux d’Afrique du Nord pour le hadj est une décision censée impressionner les dirigeants des pays arabes.

Paradoxalement, ces signes voulus comme une ouverture témoignent d’une racialisation de la religion – idée selon laquelle les musulmans sont une «race» non assimilable à la «race française» qui plus est – et contribue à les isoler du reste des troupes. Plus encore, les combattants issus des colonies font l’objet de mesures discriminatoires qui leur rappellent constamment qu’ils ne sont pas des citoyens français à part entière mais de simples sujets.

Pendant toute une période, ils ne sont pas autorisés à rentrer chez eux en permission ni même en période de convalescence. Leurs déplacements en ville se font sous escorte. Ils ont l’obligation de porter la chéchia pour les distinguer des soldats français. Quant aux ouvriers, ils sont parqués dans des baraquements et soumis à la discipline militaire.
Comment se passent les contacts avec la population de la métropole ? C’est la première fois qu’il y a autant d’Algériens dans l’Hexagone…
Le comportement des Français de métropole à l’égard des jeunes recrues algériennes est plus respectueux que celui des colons. A travers les rapports militaires dénonçant ces pratiques, on découvre par exemple que les familles françaises les invitaient à déjeuner, comme elles le faisaient pour les autres soldats français. Tout n’est pas rose non plus. On trouve aussi des graffitis sur les murs, avec cette formule : «Pas de Sidi».

  • Les autorités désapprouvent les contacts entre Français et indigènes. Pour quelles raisons ?

Tout au long de la guerre, les autorités balancent entre un discours d’unité et des décisions politiques qui mettent à mal cette unité. Il ne fallait pas que les sujets musulmans se sentent égaux des citoyens français. Et il ne fallait surtout pas qu’ils s’inspirent des luttes sociales ou des idées politiques égalitaires, toutes choses subversives à l’égard du pouvoir colonial.

  • La guerre a-t-elle laissé des traces dans la société algérienne ?

La situation matérielle est extrêmement difficile dans les années 1920, entre autres à cause des réquisitions de denrées alimentaires durant le conflit. Même si l’argent reçu de France permet à de nombreux soldats et ouvriers de racheter des terres, la famine de 1920 va engloutir une grande partie de leurs économies. Sur le plan sociétal, les administrateurs voient la société indigène évoluer. Les ouvriers sont moins dociles ; dans les ports, ils organisent même des grèves. Politiquement, le territoire est en effervescence, avec la mise en place de plusieurs réformes. Sous la pression des colons, elles ne seront pas appliquées. Alors que les sacrifices et les contributions des Algériens pendant la guerre ont créé des attentes en termes de droits politiques, l’échec des réformes est la cause d’une très grande frustration. Ils ont l’impression d’avoir tout sacrifié pour rien et le statu quo contribuera à la naissance du Mouvement national quelques années plus tard.

(propos recueillis par Sophia Aït Kaci)

  1. Au cours de la Première Guerre mondiale, les pertes s’élèveraient à 28 000 morts pour les Algériens, plus de 10 000 pour les Tunisiens et un peu plus de 12 000 pour les Marocains. (Référence : http://www.elwatan.com/hebdo/france/les-algeriens-dans-l-armee-francaise-13-07-2014-264417_155.php).
Facebook
Twitter
Email