Retrait de la plainte contre un historien de l’esclavage
Le président du collectif DOM, Patrick Karam, devait annoncer lors d’une conférence de presse, vendredi 3 février, le retrait de la plainte qu’il avait déposée à l’encontre d’Olivier Pétré-Grenouilleau.
Professeur à l’université de Lorient, historien de l’esclavage et auteur des Traites négrières, essai d’histoire globale (Gallimard), M. Pétré-Grenouilleau était attaqué au civil, devant le tribunal de grande instance de Paris, par le collectif DOM, qui lui reprochait d’avoir relativisé la nature de l’esclavage dans un entretien publié par le Journal du dimanche du 12 juin 2005.
Cette affaire, qui s’était accompagnée de vives pressions du collectif et d’autres associations, en juin 2005, lors de la remise à cet universitaire du prix du livre d’histoire du Sénat, a été, pour bon nombre d’historiens, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Lors d’un forum consacré à l’esclavage, le 3 décembre à Paris, plusieurs d’entre eux se sont décidés à réagir collectivement. Tout en envisageant d’emblée l’organisation d’une structure susceptible d’aider des historiens confrontés à des poursuites judiciaires, ils ont diffusé, le 12 décembre, une pétition qui a fait grand bruit.
Intitulé Liberté pour l’histoire !, ce texte – qui a désormais reçu le soutien de près de 600 enseignants et chercheurs – réclame l’abrogation partielle de différentes lois ayant trait à leur domaine de compétence. Parmi elles figurent la loi Taubira du 21 mai 2001, reconnaissant l’esclavage et la traite des noirs comme « crime contre l’humanité » 1.
Or c’est précisément sur le fondement de cette loi – et pour la « sécuriser », selon le mot de Patrick Karam – que le collectif a attaqué Olivier Pétré-Grenouilleau. Abondamment relayée dans les médias, la riposte des historiens a donné une ampleur considérable à un débat qui ne donnait lieu, jusqu’alors, qu’à de violents échanges sur Internet.
« Y’a bon Banania »
Perçue comme une menace pour l’exercice du métier d’historien et, plus généralement, pour la liberté d’expression, ce combat du collectif DOM était devenu de plus en plus contre-productif. D’autant qu’il n’est pas totalement exclu qu’un alinéa de la loi Taubira soit menacé, à terme, par une procédure similaire à celle qui devrait aboutir, prochainement, à la suppression par décret de la mention du « rôle positif » de la colonisation dans la loi du 23 février 2005. Mieux valait, dans ce contexte, s’efforcer d’apaiser la colère des historiens. Pour justifier la décision du collectif de retirer sa plainte, M. Karam évoque un « rouleau compresseur » médiatique ainsi que les « pressions des partis et de l’intelligentsia ». Et il dresse ce constat en conclusion : « Notre plainte n’est pas comprise par la société française. Et on ne veut pas se retrouver en confrontation avec elle. » M. Karam devait se borner, vendredi, à « demander des explications » à M. Pétré-Grenouilleau sur le sens des propos qu’il avait tenus dans l’hebdomadaire Le Journal du dimanche.
Avant d’annoncer ce retrait, M. Karam devait évoquer, vendredi, une victoire du collectif obtenue sur un autre terrain. En mai 2005, le collectif DOM avait attaqué en justice l’entreprise Nutrimaine, propriétaire du slogan « Y’a bon Banania », en estimant que cette formule était « contraire à l’ordre public en raison de son caractère raciste et de nature à porter atteinte à la dignité humaine« . « C’est une résurgence de l’époque coloniale« , ajoute M. Karam.
Si ce slogan n’apparaît plus depuis vingt ans sur la célèbre boisson chocolatée – où il était associé à l’image d’un tirailleur sénégalais arborant une chéchia rouge -, il figure toujours, selon M. Karam, sur des produits dérivés actuellement en vente.
Le nouveau président de Nutrimaine, Thierry Hénault, a préféré conclure un accord avec le collectif avant le procès, qui aurait dû se tenir jeudi 12 janvier devant le tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine). « J’ai décidé de radier « Y’a bon Banania » de l’Institut national de la propriété industrielle pour tenir compte de certaines émotions« , a indiqué à l’agence Reuters Thierry Hénault.
Le protocole d’accord conclu entre le collectif DOM et la société Nutrimaine laisse huit mois aux entreprises qui détiennent des licences d’exploitation pour écouler leurs stocks.
Olivier Pétré-Grenouilleau poursuivi par le collectif des Antillais Guyanais-Réunionnais
Olivier Pétré-Grenouilleau, professeur à l’université de Lorient, est assigné aujourd’hui devant le tribunal de grande instance de Paris. Le collectif des Antillais Guyanais-Réunionnais lui reproche une interview au Journal du Dimanche du 12 juin. Ses propos nieraient « le caractère de crime contre l’humanité qui a été reconnu à la traite négrière par la loi du 23 mai 2001 » (loi Taubira). Pétré-Grenouilleau nie en effet le caractère génocidaire de l’esclavage, au motif que le but des Occidentaux était de préserver la main-d’oeuvre servile, non de la tuer. Mais la réduction en esclavage demeure un crime contre l’humanité, défini par le tribunal de Nuremberg.
Ce procès provoque un émoi chez les historiens, pour qui Pétré-Grenouilleau est un chercheur sérieux. Le procès dira si, au fond, ce n’est pas son dernier livre, plusieurs fois primé par les historiens, Les traites négrières, essai d’histoire globale (Gallimard) qui est en cause. Dans cet ouvrage, l’historien a tenté d’éclairer les différentes formes d’esclavage en Afrique : africaine, arabe et occidentale.
_________________________________
Depuis qu’il est poursuivi, il a reçu le soutien de nombreux historiens, parmi lesquels Marc Ferro. De plus, d’autres historiens de renom, comme Pierre Vidal-Naquet ou Annette Wieworka, lui avaient décerné il y a quelques mois le Prix du livre d’histoire du Sénat pour son dernier ouvrage.
Dans l’interview qu’il avait accordé au Journal du Dimanche, Pétré-Grenouilleau avait déclaré : « Les traites négrières ne sont pas des génocides ». C’est cette phrase qui lui vaut aujourd’hui d’être poursuivi en justice pour contestation de crime contre l’humanité. Les historiens qui ont pris position pour le défendre soulignent pourtant que les traites négrières ne sont pas des génocides puisqu’elles n’avaient pas pour but d’exterminer un peuple mais de s’en servir comme marchandise.
- Lire 1086.
- Extraits de la page http://www.ouest.france3.fr/info/16396197-fr.php du site de France3-Ouest.