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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

L’accès toujours entravé aux archives
de la guerre d’Algérie

Soixante ans après la fin de la colonisation et de la guerre d’Algérie, on parle d’un « apaisement des mémoires ». Mais est-ce possible si la mémoire n’est pas d’abord restituée et si l’accès aux archives reste encore partiel ? Il en est ainsi de la « guerre des grottes » qui a fait rage durant la guerre d’Algérie dans les gigantesques réseaux souterrains de l’Aurès, du nord-est de l’Algérie et du massif du Djudjura dans la chaîne de l’Atlas, où des « sections de grottes » organisées par l’armée française ont été chargées d’utiliser des gaz toxiques contre les personnes, combattantes ou non, qui s’y trouvaient cachées. Le numéro du printemps 2022 de la revue XXI consacre un dossier à cette question.
La guerre des grottes Lors de la guerre d’Algérie, l’armée française
gazait des refuges souterrains,
des anciens témoignent
Illustration par Benoît Hamet
Illustration par Benoît Hamet
Le numéro du printemps 2022 de la revue XXI consacre un dossier, rassemblé par Claire Billet et illustré par Benoît Hamet, à la « guerre des grottes » qui a fait rage durant la guerre d’Algérie dans les gigantesques réseaux souterrains de l’Aurès, du nord-est de l’Algérie et du massif du Djudjura dans la chaîne de l’Atlas. Des « sections de grottes » organisées par l’armée française ont été chargées d’utiliser des gaz toxiques contre les personnes, combattantes ou non, qui s’y trouvaient cachées. Cet épisode reste un secret cadenassé en raison de l’utilisation de gaz toxiques proscrits par les conventions internationales. D’anciens militaires français ont accepté de d’apporter leur témoignages à cette revue.

La revue XXI est en vente dans les kiosques des gares.

Inscription obligatoire : pierremansat@gmail.com
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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Des paroles… et des actes



L’association des archivistes français (AAF), l’association Historiennes et historiens du contemporain (H2C) et l’association Josette et Maurice Audin s’inquiètent de l’évolution de l’accès aux archives de la nation.
[/Paris, le 6 avril 2022./]
La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a fortement durci les conditions d’accès à plusieurs catégories d’archives publiques. Certains documents d’archives publiques qui devenaient jusqu’ici librement communicables après des délais de cinquante, soixante-quinze ou cent ans peuvent désormais rester bloqués sans aucune limite de temps autre que celle que les services administratifs dont ces documents procèdent voudront bien retenir. Ce mouvement de fermeture de l’accès aux archives publiques est sans précédent en France. S’il concerne avant tout les services de renseignements, ce recul inédit a été vivement contesté par les historiennes et les historiens, les archivistes et par toutes celles et tous ceux qui fréquentent les services d’archives. Au-delà de l’histoire qu’il ne sera plus possible d’écrire, tous s’inquiètent d’une régression dangereuse au point de vue démocratique. Un peu plus de huit mois après l’adoption de la loi du 30 juillet 2021, l’heure d’un premier bilan s’impose. Et celui-ci n’est pas bon. • 1.- Le premier point d’insatisfaction concerne le décret n° 2022-406 du 21 mars 2022 pris en application de la loi du 30 juillet 2021. Ce décret désigne les services de renseignements dits « de second cercle » auxquels le gouvernement étend le pouvoir de refuser de communiquer sans aucune limite de temps les documents procédant de leurs activités chaque fois qu’ils estiment qu’ils révèlent leurs « procédures opérationnelles » et leurs « capacités techniques ». Le 2 juin 2021, au nom du gouvernement, la ministre des armées avait pourtant pris un engagement solennel à propos de ce décret à venir. Elle avait publiquement assuré, devant l’Assemblée nationale, que la liste des administrations auxquelles le gouvernement étendrait, au-delà des services dits de « premier cercle » (DGSI, DGSE, DRM, etc.), la fermeture se limiterait à deux entités seulement, ainsi désignées : le « service central du renseignement territorial » du ministère de l’Intérieur, d’une part ; la « direction du renseignement de la préfecture de police » de Paris, d’autre part. Rien de tel dans le décret du 21 mars 2022 ! En lieu et place du seul « service central du renseignement territorial » auquel la ministre faisait référence, c’est bien l’ensemble des « services du renseignement territorial » qui ont désormais le pouvoir de refuser de communiquer sans limite de temps les documents d’archives publiques entrant dans le champ des nouvelles catégories. Contrairement à ce qu’avait affirmé la ministre, les « services du renseignement territorial », qui comprennent de nombreux services déconcentrés, sont ici assimilés au « service central du renseignement territorial », qui est un service ministériel. Cette assimilation juridiquement fallacieuse conduit à étendre considérablement le champ de la fermeture : ainsi l’ensemble des archives des Renseignements généraux (RG) versées dans les services d’Archives départementales se retrouve, par la grâce de ce décret et contrairement aux engagements gouvernementaux, potentiellement concerné par les nouveaux délais à durée indéfinie. Faire de l’histoire politique va devenir très compliqué tant ces archives sont utiles. Quant à l’histoire des politiques de sécurité et des services, elle sera désormais tout simplement impossible à écrire. • 2.- Le deuxième point d’insatisfaction concerne le champ d’application des nouvelles conditions d’accès aux catégories d’archives publiques visées par la loi du 30 juillet 2021. Plus de huit mois après la loi, l’incertitude est encore complète quant au volume exact des documents effectivement concernés par l’allongement des délais de communication. Alors que, suite à un amendement du sénateur Ouzoulias, les services publics d’archives ont désormais l’obligation d’identifier et d’informer les usager·es, en amont de toute demande de communication particulière, des fonds exacts concernés par l’allongement des délais de communication, il apparaît à ce jour qu’aucun service d’archives en France n’est en mesure de satisfaire cette obligation positive. • 3.- Le troisième point d’insatisfaction est peut-être le plus grave. Les premiers avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) faisant application de la loi du 30 juillet 2021 ont été rendus ces dernières semaines. Ils se révèlent désastreux : la Commission se contente de « prendre acte » – ce sont ses propres termes – du choix des administrations dont émanent les archives publiques dont l’accès est refusé de faire relever ces documents des nouveaux délais allongés. La CADA ne vérifie d’aucune manière ces interprétations, y compris pour des documents non classifiés. Elle choisit, autrement dit, de rendre des avis défavorables à la communication de documents à propos desquels elle n’a pu opérer aucun contrôle, alors même que sa saisine pour avis est obligatoire avant tout recours contentieux. Ce choix de doctrine transforme la fonction même de la CADA : dans des hypothèses de ce type, elle devient une étape administrative inutile mais obligatoire. Elle complexifie encore, de ce fait, l’accès aux archives publiques, en même temps qu’elle gêne le droit à un recours effectif devant une juridiction.
* * *

Un peu plus de huit mois après l’adoption de la loi du 30 juillet 2021, les associations qui ont obtenu l’annulation par le Conseil d’État, le 2 juillet 2021, de différentes pratiques de refus de communication d’archives publiques se résolvent à sonner, une nouvelle fois, l’alerte quant à l’évolution inquiétante des conditions d’accès aux documents de la nation, en contradiction directe avec les différentes annonces du président de la République sur le sujet. Cette situation justifie pleinement les efforts de vigilance démocratique concernant l’accès aux archives publiques et le projet en cours de création d’une association en ce sens.

CONTACTS

• L’association « Historiennes et historiens du contemporain » : créée en 1969, H2C est une est une association professionnelle qui regroupe les enseignants-chercheurs et les chercheurs en histoire contemporaine en poste dans les institutions de recherche et d’enseignement supérieur français. Elle défend leurs intérêts collectifs et constitue un lieu de réflexion et d’échanges sur les mutations du métier d’historien et la formation des étudiants. En tant que société savante, H2C anime la discussion scientifique sur l’évolution des manières d’écrire l’histoire contemporaine (1789 à nos jours). Twitter : @ahcesr ; @ArchiCaDebloque • Association des archivistes français : l’AAF regroupe près de 2500 membres, professionnels des archives du secteur public comme privé. Elle est un organe permanent de réflexions, de formations et d’initiatives mis au service des sources de notre histoire, celles d’hier comme, d’hier comme de de demain. Twitter : @Archivistes_AAF • Association Josette et Maurice Audin : L’Association Josette et Maurice Audin (AJMA) a pour objet d’agir pour faire la clarté sur les circonstances de la mort de Maurice Audin, assassiné par l’armée française dans le cadre d’un système de tortures et disparitions forcées ; d’agir pour l’ouverture des archives ayant trait à la guerre d’Algérie et pour la vérité sur les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises ; de faire vivre la mémoire de Josette et Maurice Audin et de leurs combats. @Mansat



Une dépêche de l’Agence France-Presse

Guerre d’Algérie : appel à l’ouverture d’archives sur l’utilisation d’armes chimiques par l’armée française

Des historiens et journalistes ont lancé jeudi un appel aux autorités françaises pour que les archives militaires, « cadenassées » selon eux, sur le recours aux armes chimiques par l’armée française dans des grottes pendant la guerre d’Algérie soient ouvertes et consultables. Agence France-Presse, le 7 avril 2022 à 23h05. Des historiens et journalistes ont lancé jeudi un appel aux autorités françaises pour que les archives militaires, « cadenassées » selon eux, sur le recours aux armes chimiques par l’armée française dans des grottes pendant la guerre d’Algérie soient ouvertes et consultables. « Soixante ans après la fin de la colonisation et de la guerre d’Algérie, on parle d’un « apaisement des mémoires ». Mais est-ce possible (…) si l’accès aux archives est encore partiel ? », indique un communiqué des participants à une conférence de presse jeudi à Paris, dont les historiens Christophe Lafaye et Gilles Manceron. « Il en est ainsi de la « guerre des grottes » qui a fait rage durant la guerre d’Algérie dans les gigantesques réseaux souterrains de l’Aurès, du nord-est de l’Algérie et du massif du Djudjura dans la chaîne de l’Atlas, où des « sections de grottes » organisées par l’armée française ont été chargées d’utiliser des gaz toxiques contre les personnes, combattantes ou non, qui s’y trouvaient cachées », poursuit le communiqué. La guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) a opposé des nationalistes algériens à la France. « Entre 1956 et 1962, la France a mené en Algérie une guerre souterraine contre le Front de libération national et l’ALN, qui utilisaient des réseaux souterrains, des grottes naturelles, des caches pour pouvoir combattre », a décrit M. Lafaye. L’armée française a elle utilisé du gaz toxique « pour pouvoir chasser les indépendantistes de leurs réduits souterrains, faire des prisonniers pour recueillir du renseignement » mais aussi pour rendre inutilisables ces grottes. « Cette « guerre des grottes », c’est un grand impensé de la guerre d’Algérie », a-t-il lancé. « Ces faits sont connus mais n’ont jamais été travaillés parce qu’ils renvoient à une mémoire douloureuse, à des questions taboues – l’usage de l’arme chimique – et à un manque de sources, à des archives cadenassées ». L’historien appelle le président français Emmanuel Macron « à prendre un décret qui permette l’ouverture de l’intégralité de ces fonds d’archives sur la guerre souterraine, qui sont au ministère des Armées, et la levée des obstacles législatifs ». « Il est encore possible, alors que les derniers témoins disparaissent, d’écrire cette histoire ». Grâce aux témoignages d’anciens combattants français, « on a appris qu’il y a eu beaucoup d’appelés (du contingent) au sein des unités » qui utilisaient ces gaz toxiques; certains en gardent une mémoire extrêmement traumatique« , a-t-il souligné. Dans une enquête au long cours intitulée la »guerre des grottes« et publiée dans la revue XXI, la journaliste Claire Billet, présente à la conférence de presse, a rencontré d’anciens militaires français qui ont accepté de raconter ce recours aux gaz toxiques. « On employait des gaz. C’était ça le “spécial » de notre section. Ça, fallait pas en parler. On fouillait la grotte, on la gazait, et, si possible, on faisait sauter l’entrée », a ainsi raconté à la journaliste un ancien appelé qui a passé 28 mois en Algérie. M. Macron a fait au cours de sa présidence plusieurs gestes pour tenter d’apaiser la mémoire douloureuse entre la France et l’Algérie.



Une tribune dans Libération

Lever les tabous sur l’utilisation de l’arme chimique
pendant la guerre d’Algérie
par Christophe Lafaye et Pierre Mansat tribune dans liberation du 8 avril 2022

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