Nous avons attiré l’attention le 2 avril sur les deux votes intervenus à l’Assemblée nationale et au Sénat très inquiétants pour l’avenir de la Kanaky-Nouvelle Calédonie, qui préparent le dégel du corps électoral programmé par les adversaires de la décolonisation du territoire avec le soutien du gouvernement français. C’est une remise en cause du processus entamé en 1998 par l’Accord de Nouméa qui avait conduit les élus, indépendantistes et « loyalistes », à siéger ensemble dans les assemblées territoriales et à gérer en commun les affaires du territoire.
Cette volonté du gouvernement français d’imposer une révision de la loi constitutionnelle a provoqué une très forte mobilisation sur place. Le pouvoir néglige le risque que cela comporte pour l’avenir du peuple Kanak, ainsi que le mépris dont ils témoignent pour l’ensemble des courants indépendantistes. La stabilité politique de la Nouvelle Calédonie est remise en cause.
Le 13 avril, en réponse à la mobilisation de 20 000 à 35 000 anti-indépendantistes, un flux incessant de 58 000 personnes a parcouru les rues de Nouméa pour manifester contre le dégel du corps électoral et pour la pleine souveraineté du territoire.
Cette démonstration de force a été saluée par le FNLKS dont nous reprenons le communiqué publié le 17 avril, ainsi que l’adresse aux élu·e·s du Sénat et de l’Assemblée nationale rendue publique en mars par le Collectif Solidarité Kanaky.
Communiqué du FNLKS
Remerciement pour la mobilisation des Calédoniennes et Calédoniens
Retrait du projet de loi constitutionnel modifiant le corps électoral en Nouvelle Calédonie !
Nouméa, le 17 avril 2024,
Le Bureau politique du FLNKS tient à remercier sincèrement les Calédoniennes et les Calédoniens qui se sont très largement mobilisés. C’est dans le calme et le respect de la dignité du combat pour l’accession à la pleine souveraineté de notre pays que vous avez répondu à l’appel de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et du FLNKS ce samedi 13 avril 2024, conformément au motions du 42ème congrès du FLNKS.
Le Bureau politique du FLNKS remercie également les organisateurs qui ont permis de réunir les conditions pour porter notre mécontentement vis-à-vis du comportement partisan de l’Etat sur sa gestion de la sortie de l’accord de Nouméa et de la situation en Nouvelle Calédonie de manière globale depuis maintenant trois années
Pour le FLNKS la mobilisation doit se poursuivre. Il appelle le peuple de Nouvelle Calédonie à rester à l’écoute et à ne pas céder aux provocations et à la désinformation qui porteraient atteinte à l’Unité, et à la cohérence des actions menées par la mouvance indépendantiste. Nous avons su montrer au monde et en particulier à l’Etat, notre détermination et discipline durant toutes nos mobilisations! Nous ne devons rester vigilant et se rappeler que c’est un combat contre le système colonial et ses effets néfastes pour la Nouvelle Calédonie.
Le Bureau politique du FLNKS réaffirme donc, conformément aux motions du 42eme congrès, que « l’accord global » reste l’objectif à atteindre dans les discussions avec l’Etat pour tracer le chemin de la Kanaky-Nouvelle Calédonie vers la pleine souveraineté et son indépendance.
En ce sens, il salue et soutient la résolution qui devra être voté par nos élus au congrès de la Nouvelle Calédonie demandant à l’Etat le retrait du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral provincial. Le sujet reste un point d’équilibre à préserver, et pour le FLNKS, il doit être le résultat d’un consensus au sein d’un accord global. Il ne doit en aucun cas faire l’objet d’une instrumentalisation politique. Pour cela le FLNKS exhorte l’Etat à prendre ses responsabilités en qualité d’acteur du processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie. Il a donc la charge de rétablir les conditions d’un dialogue sincère qui devra aboutir à un consensus politique global. C’est la seule voie possible qui offre les meilleures perspectives pour la Nouvelle Calédonie et sa population. Le FLNKS reste donc dans l’attente d’une réponse de l’Etat français, concernant la demande du 42eme congrès d’une mission de médiation en Nouvelle Calédonie, impartiale et forte de son engagement dans le processus de décolonisation irréversible engagé.
Par ailleurs, fort de la majorité océanienne, la mouvance indépendantiste dispose d’un rapport de force favorable pour mener à bien les transformations et réformes sociales que le Pays a besoin. C’est une responsabilité qui est la nôtre et que nous devons soutenir à tous les niveaux toutes les initiatives prises par cette majorité, pour un avenir stable.
En conséquence, dans le contexte actuel difficile et complexe, le Bureau politique du FLNKS soutient l’ensemble des militantes et militants qui portent avec conviction notre combat dans les institutions et appelle le peuple de la Kanaky-Nouvelle Calédonie à les soutenir pleinement dans la charge qui leur incombe pour l’intérêt du Pays.
Adresse aux élu·e·s du Sénat et de l’Assemblée nationale
13 mars 1024
Le Collectif Solidarité Kanaky, créé en 2007 et regroupe différentes organisations associatives, syndicales et politiques dans l’objectif d’organiser en France la solidarité avec le peuple Kanak dans sa trajectoire de décolonisation et l’Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak (AISDPK) qui existe depuis 1982 pour la défense de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, nous adressons aujourd’hui aux parlementaires de France. Cette solidarité ici en France s’est toujours construite dans une démarche unitaire et aux côtés de tous les courants indépendantistes Kanak dans leur diversité et, bien sûr, aux côtés du peuple Kanak. Ainsi ils se font le relais ici en France de la voix d’un peuple autochtone colonisé, afin d’exprimer notre solidarité, mais aussi d’avoir une vigilance vis-à-vis du respect des droits du peuple Kanak.
C’est dans ce cadre que nous nous permettons aujourd’hui de vous alerter vivement sur la situation actuelle que créent les deux projets de loi concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, le risque qu’ils comportent pour l’avenir du peuple Kanak, ainsi que le mépris dont ils témoignent pour l’ensemble des courants indépendantistes.
C’est aussi de la stabilité politique de la Nouvelle-Calédonie dont il est question.
En ce début 2024, après 170 ans de colonisation de la terre de Nouvelle-Calédonie, et année anniversaire des 40 ans de création du FLNKS en septembre 1984, le gouvernement français a décidé de présenter unilatéralement deux projets de lois dont l’objectif est de dégeler le corps électoral provincial, un des acquis essentiels de l’Accord de Nouméa, contre l’avis unanime des indépendantistes. Reflet du mépris total de l’État vis-à-vis des voix indépendantistes qui s’opposent unanimement à la sortie de l’Accord de Nouméa et au dégel du corps électoral, ces deux projets de lois menacent les équilibres et la paix instaurés en Nouvelle-Calédonie depuis les accords de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998).
Après les affrontements violents qui ont marqué les années de 1984 à 1988, ces accords ont permis la reconnaissance du peuple Kanak comme peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie et ont ouvert un processus dit de décolonisation en vue de l’autodétermination du pays.
Par ces accords, l’État français s’engageait à rompre avec la logique de la colonisation de peuplement qui conduisait à la mise en minorité du peuple Kanak (telle que mise en avant encore explicitement dans la lettre de Pierre Messmer, alors premier ministre, le 19 juillet 1972 (cf. annexe). Ce qui a mené au gel du corps électoral suite à l’accord de Nouméa et inscrit dans la constitution (article 77 voté par le Congrès à Versailles[1]). Ce gel se veut en conformité avec les résolutions de l’ONU : « Les puissances administrantes devraient veiller à ce que l’exercice du droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l’immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu’elles administrent ». Rappelons que la Nouvelle-Calédonie est reconnue par l’ONU depuis 1986 comme territoire non autonome et est inscrite sur la liste des pays à décoloniser.
C’était la condition nécessaire pour rendre possible la recherche d’un consensus sur le devenir du pays : quelle forme de souveraineté ? Quelle relation avec la France ?
Après plus de 30 ans d’Accord de Nouméa, plusieurs points centraux n’ont toujours pas abouti (le transfert des compétences régaliennes, le rééquilibrage et la priorité à l’emploi local), les inégalités importantes restent présentes et l’immigration en Nouvelle-Calédonie n’a jamais été aussi soutenue. Les indépendantistes Kanak l’ont déploré à travers un rapport faisant le bilan de l’Accord de Nouméa en 2023.
Concernant les trois consultations d’autodétermination, le deuxième référendum avait montré, en 2020, une poussée des voix indépendantistes : à seulement 9000 voix près, le « Oui » à la pleine souveraineté de la Nouvelle Calédonie passait.
Les conditions du troisième et dernier référendum fin 2021 sont aujourd’hui toujours remises en question unanimement par l’ensemble des courants indépendantistes qui avaient demandé son report pour respecter la période de deuil kanak en pleine épidémie du Covid (qui a particulièrement affecté les Kanak et les Océaniens) et du fait que le confinement empêchait toute campagne.
Mais, le gouvernement n’a pas ménagé les coups de force :
– Il a imposé la date de la tenue du troisième référendum, bafouant la demande des Kanak, et ce, avec un encadrement très lourd de l’armée sur place.
– Il a prétendu légitime le résultat de cette consultation biaisée : 96,49 % de voix contre la pleine souveraineté, alors que la participation n’a été que de 43,90 % (contre 85,64 % en 2020).
Le peuple Kanak, premier concerné, et les indépendantistes non kanak n’ont pas participé à ce scrutin et ne se sont donc pas exprimés. L’ensemble des indépendantistes, dont le FLNKS, ne reconnait donc pas ce troisième référendum.
Mais l’État français a considéré le processus de l’accord de Nouméa achevé et qu’il faudrait désormais un autre accord dans la France.
Une plainte en vue de faire reconnaître les conditions inacceptables du troisième référendum a été préparée par le FLNKS. Celui-ci souhaite la porter à l’assemblée générale des Nations Unies et qu’un vote permette son envoi à la Cour Internationale de Justice. Le processus est long. Le FLNKS ne peut lui-même la porter à l’assemblée des Nations Unies et a besoin d’un État partenaire. Il avait prévu de le faire avec l’appui d’un des États du Groupe Fer de lance mélanésien[2]. Mais, sous pression de l’État français, suite à la dernière visite du président Macron dans le Pacifique Sud, aucun n’a, à ce jour, présenté le document. La France a toujours considéré la Nouvelle Calédonie comme sa base stratégique dans le Pacifique, et aujourd’hui, plus que jamais, dans le cadre de la stratégie Indo-Pacifique qui nécessiterait « uneNouvelle-Calédonie dans la République française» et qui explique les pressions sur les petits pays indépendants du Pacifique.
Le FLNKS représentant du peuple colonisé de Nouvelle Calédonie, est contraint de trouver un autre État partenaire pour porter sa plainte.
Le droit du peuple Kanak à son autodétermination doit être respecté, la dernière consultation est politiquement illégitime.
Aujourd’hui, sous couvert de « démocratie », le gouvernement français veut donc reporter les élections provinciales pour avoir le temps de modifier le corps électoral, balayant 30 ans d’Accord de Nouméa, avec ces deux projets de lois :
Un report des élections provinciales ?
– Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, justifiait le refus du report de la date du référendum en affirmant qu’en démocratie « on tient ces élections à l’heure ». Aujourd’hui, le gouvernement décide, pour les élections provinciales, un report « exceptionnel et transitoire ». Demandé en 2021 par les Kanak, le report était alors impossible. Aujourd’hui, voulu par l’État, il est indispensable !
– L’objectif de cette loi est précisé dans l’argumentaire associé : le dégel du corps électoral en Nouvelle Calédonie, point central de l’Accord de Nouméa (et inscrit dans la Constitution). Y toucher suppose une modification de celle-ci. Le report des élections ne peut être détaché de son objectif au vu de l’enjeu et de ses conséquences.
– Reporter une date d’élections pour ajouter des électeurs (et tenter de reprendre la tête du gouvernement local qui est, aujourd’hui, indépendantiste), c’est déjà une manœuvre antidémocratique.
Et c’est bien plus dangereux car l’objectif est de parvenir à une réforme constitutionnelle visant à abolir le gel du corps électoral déjà constitutionnalisé en 2007 sous la présidence de Jacques Chirac.
Cette modification vise à rétablir un corps électoral glissant avec une durée de résidence sur le territoire de 10 ans. Tout Français installé depuis 10 ans en Nouvelle-Calédonie, soit depuis 2014, deviendra électeur aux élections provinciales, éligible au Congrès et, de facto, citoyen calédonien. Cela provoque, dans un premier temps, l’augmentation brutale de 15 % du corps électoral provincial en conduisant à une ouverture automatique aux métropolitain·es arrivé·es après l’accord de Nouméa, afin de modifier profondément à moyen terme les forces politiques en présence.
Si les indépendantistes sont tous d’accord pour reconnaître un « droit du sol » aux enfants nés en Nouvelle-Calédonie, ils s’opposent unanimement à l’instauration d’un corps électoral glissant annuellement pour désigner leurs représentants aux assemblées de province qui déterminent les orientations politiques locales.
Le but de ces projets de loi est donc de mettre un terme au processus de décolonisation amorcé il y a plus de trente ans et de renouer avec les pratiques éprouvées de mise en minorité du peuple Kanak dans son propre pays.
Ce n’est ni plus ni moins une façon de favoriser la recolonisation du territoire et l’invisibilisation du peuple Kanak !
Une manœuvre politique qui nie les voix indépendantistes :
Considérant que le peuple Kanak ne s’est pas exprimé lors de la dernière consultation pour son autodétermination, l’Accord de Nouméa est pour les indépendantistes toujours en cours. L’accord de Nouméa représente un plancher au-dessous duquel ils ne peuvent accepter de reculer après des décennies de négociations. Or aucun accord n’a été trouvé, à ce jour, entre les différentes forces politiques pour envisager la suite, dans l’esprit de l’Accord de Nouméa.
Pour autant, le gouvernement veut aller vite et a présenté unilatéralement son calendrier.
La loi organique, présentée au Sénat le 27 février, a été adoptée en première lecture reportant les élections provinciales de mai à décembre 2024 et va ensuite passer devant l’Assemblée nationale (18 mars). Dans la foulée, sera examinée, le 26 mars au Sénat et le 13 mai à l’Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral provincial, avec pour date butoir le 1er juillet 2024. Si aucun accord local ne se dessine d’ici là, le président de la République convoquera le Congrès à Versailles afin de valider la modification de la constitution.
L’État propose un passage en force. Sans aucun consensus, il s’engage à modifier brutalement tout l’organisation de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie en renouant avec les stratégies déjà éprouvées de mise en minorité des indépendantistes au profit d’une droite locale qui espère reprendre le pouvoir et obtenir une modification des sièges au congrès de Nouvelle-Calédonie en sa faveur.
Et ce en violant le droit international, la Nouvelle-Calédonie reste un territoire non autonome dans la liste de l’ONU des pays à décoloniser : dans ce cadre l’État français ne peut imposer des lois sur ce territoire sans accord du représentant du peuple colonisé.
Ce passage en force rappelle de tristes souvenirs et favorise une dynamique de tensions extrêmement dangereuse.
Mesdames, Messieurs, nous vous demandons de prendre la mesure de ces deux lois que l’on ne peut dissocier, face à l’ampleur des conséquences pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Ces deux lois sont contradictoires avec l’Accord de Nouméa insistant pour une solution négociée et de nature consensuelle.
Nous vous demandons de vous opposer dans ces conditions à ces deux projets de lois.
Le collectif Solidarité Kanaky* et l’AISDPK**
* Mouvement des Jeunes Kanak en France, Union Syndicale des Travailleurs Kanak et des Exploités (en France), Union syndicale Solidaires, Confédération Nationale du Travail, Sindicatu di iTravagliadori Corsi, Ensemble !, Nouveau Parti Anticapitaliste, Parti des Indigènes de la République, Parti Communiste des Ouvriers de France, Pour une Écologie Populaire et Social, FASTI-Fédération des Associations de Solidarité avec Tou·te·s les Immigré·es,
** Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak,