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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Jean-Marie Muller: “la France devait-elle partir en guerre au Mali ?”

Pour le philosophe Jean-Marie Muller – membre fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente 4 – la guerre n’est pas la solution, mais elle est le problème.

La France devait-elle partir en guerre au Mali ?

Nous le savions tous, depuis de longs mois, des groupes armés faisaient régner une véritable terreur sur les populations civiles du Nord-Mali. Se voulant les adeptes d’un islamisme extrémiste, ces milices voulaient imposer la charia, imposant de multiples interdictions, et n’hésitant pas à recourir aux amputations et aux lapidations pour punir les récalcitrants.

Le Nord-Mali est peuplé par plusieurs ethnies dont les Touaregs qui, depuis
l’indépendance du Mali en 1960, aspirent à l’autonomie. En janvier 2012, une rébellion est déclenchée par le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui regroupe les trois régions de la partie nord du Mali (celles de Kidal, de Tombouctou et de Gao). Le MNLA bénéficie du retour dans leur pays de nombreux touaregs qui s’étaient enrôlés dans l’armée libyenne et qui se trouvent sans emploi après la chute de Mouammar Kadhafi. Et ils
reviennent avec plus d’armes que de bagages.

Dans un premier temps, le MNLA fait alliance avec la brigade Ansar Eddine,
majoritairement touareg, et la formation djihadiste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dont de nombreux membres viennent d’Algérie. Un troisième groupe est également présent : le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) qui est l’un des acteurs majeurs du trafic de drogue dans la région. Après le coup d’État militaire du 22 mars 2012 qui renverse le président malien, ces quatre formations mettent en déroute l’armée malienne
et occupent les principales villes de la région. Le 6 avril 2012, le MNLA proclame
l’indépendance de l’Azawad, mais celle-ci est rejetée par l’Union africaine et ses États membres. La France et l’Union européenne condamnent également cette proclamation d’indépendance.

Cependant, le MNLA qui réprouve les exactions qui proviennent de l’application
stricte de la charia se trouve dépassé par les mouvements islamistes. La rupture interviendra en juin 2012. Ansar Eddine contrôle Tombouctou et, au début du mois de juillet, ses membres détruisent les principaux mausolées de « la cité des 333 saints » qu’ils considèrent comme des lieux d’« idolâtrie ». Ces destructions provoqueront des protestations dans le monde entier, mais la communauté internationale se refusera à toute action.

Finalement, Le 20 décembre 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une
résolution qui demande « aux États membres et aux organisations régionales et internationales de fournir aux Forces maliennes un soutien coordonné sous forme d’aide, de compétences spécialisées, de formation et de renforcement des capacités afin de rétablir l’autorité de l’État malien sur la totalité du territoire national. » Le Conseil « décide d’autoriser le déploiement
au Mali de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) ». Cette force devra aider à reconstituer les capacités de l’armée malienne pour reprendre les zones du Nord contrôlées par des groupes extrémistes. Le déploiement de la MISMA est confié à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Tout laisse penser que confier ainsi à l’armée malienne la mission de rétablir
l’autorité de l’État sur le Nord-Mali est une erreur politique majeure. La reconquête des régions du Nord par l’armée malienne ne pouvait se faire qu’au prix d’une guerre de revanche et de vengeance à l’encontre des populations civiles. Aminata Traoré, dans un texte intitulé « Femmes du Mali, Disons « NON » à la guerre par procuration », cite cette déclaration de l’International Crisis Group : « Dans le contexte actuel, une offensive de l‘armée malienne appuyée par des forces de la Cedeao et/ou d’autres forces a toutes les chances de provoquer davantage de victimes civiles au Nord, d’aggraver l’insécurité et les conditions économiques et sociales dans l’ensemble du pays, de radicaliser les communautés ethniques, de favoriser l’expression violente de tous les groupes extrémistes et, enfin, d’entraîner l’ensemble de la région dans un conflit multiforme sans ligne de front dans le Sahara. » (www.crisisgroup.org, 18 juillet 2012). En procédant ainsi, la communauté internationale n’a fait que démissionner de ses responsabilités.

Au demeurant, la résolution de l’ONU demandant la création de la MISMA est
restée lettre morte. Sa mise en œuvre n’était pas prévue avant octobre 2013. Dès lors, les groupes armés extrémistes – les « terroristes » comme on les appelle – ont continué à occuper le terrain. Et ce qui devait arriver arriva. Le 8 janvier, les djihadistes font sauter le dernier verrou avant la base de Sévaré et la ville de Mopti. Le 10, ils s’emparent de la ville de Konna et s’ouvrent la route de Bamako. Le 11 janvier, François Hollande déclare : « Le Mali fait face
à une agression d’éléments terroristes, venant du Nord, dont le monde entier sait désormais la brutalité et le fanatisme. (…) J’ai donc, au nom de la France, répondu à la demande d’aide du président du Mali appuyée par les pays africains de l’Ouest. En conséquence, les forces armées françaises ont apporté cet après-midi leur soutien aux unités maliennes pour lutter contre ces éléments terroristes. (…) Les terroristes doivent savoir que la France sera toujours
là lorsqu’il s’agit non pas de ses intérêts fondamentaux, mais des droits d’une population, celle du Mali, qui veut vivre libre et dans la démocratie. » Les médias français ont unanimement approuvé cette déclaration de guerre en faisant valoir qu’il n‘y avait pas « d’autre solution » pour éviter le pire et tout laisse penser que l’opinion publique a « suivi ». Forcément, les frappes aériennes françaises ont stoppé l’avancée des groupes armés vers le sud et la ville de Bamako a été sécurisée.

Pour autant, la déclaration de guerre de François Hollande n’est pas sans poser de multiples questions. Parler tout uniment des « terroristes » pour désigner les groupes armés du Nord ne peut pas ne pas donner libre cours à des amalgames trompeurs et fallacieux. Les Touaregs qui demandent l’autonomie de l’Azawad et ont affronté l’armée malienne sont des rebelles, mais ne sont pas des « terroristes ». En outre, les forces maliennes, auxquelles les forces armées françaises apportent leur soutien n’offrent aucune garantie pour le respect auquel les populations civiles du Nord ont droit.

Lors d’une conférence de presse qu’il a donné le 15 janvier 2013 à Dubaï, François Hollande, interrogé sur le sort qui sera réservé aux « terroristes », a déclaré : « Vous demandez ce que nous allons faire des terroristes si on les retrouvait ? Les détruire. » Comme s’il avait pris conscience de l’inconvenance de son propos, il a ajouté pour en quelque sorte le nuancer : « Les faire prisonniers si possible, et faire en sorte qu’ils ne puissent plus nuire à l‘avenir. »
Mais il reste que les premiers mots de sa réponse qui lui sont venus spontanément à l’esprit sont très signifiants et parfaitement inacceptables. Croit-il vraiment que c’est en « détruisant les terroristes » que la France pourra rétablir la paix et la démocratie au Sahel ? De tels propos rappellent la rhétorique guerrière des politiciens et des militaires américains extrémistes lorsqu’ils sont intervenus en Afghanistan : « Il faut, disaient-ils, tuer le plus grand nombre de Talibans… » Nous savons aujourd’hui que cette politique meurtrière est un échec total. Les soldats occidentaux quittent un Afghanistan détruit par des années de guerre et livré à la plus grande corruption. Il nous faut tirer les enseignements de cet échec : il n’y a pas de solution militaire aux conflits politiques qui opposent les ethnies du Sahel. Comme l’écrivait
Jean-François Bayart dans Le Monde du 23 janvier 2013, politiquement, le défi malien est redoutable : « La classe dirigeante malienne s’est décomposée alors même qu’elle doit imaginer un nouveau modèle d’Etat nation qui accorde au Nord une véritable autonomie et un large transfert de compétences, et qui parvienne à trouver un nouvel équilibre entre la laïcité de la République et l’islamisation croissante de la société. »

Certes, la supériorité aérienne littéralement « écrasante » des forces armées
françaises permettra de chasser les groupes armés qui occupent les villes du Nord. Ils finiront bien par battre en retraite, se replier et se disséminer alentour. Mais, malgré les pertes encourues, ils ne seront pas détruits et leur capacité de nuisance ne sera pas éradiquée. Il est à craindre une recrudescence des prises d’otage et des attentats. Et dans les villes « libérées » qui pourra éviter les règlements de compte ?

Demander des comptes à la non-violence ?

Dans ces conditions, quel positionnement doit prendre le citoyen qui a fait l’option de la non-violence à la fois comme sagesse et comme stratégie ? Tout d’abord, il semble qu’il convient d’établir un principe : lorsque, sur un territoire donné et en un temps donné, tous les acteurs en présence ne veulent recourir qu’aux méthodes de la violence et qu’aucun ne songe à mettre en œuvre celles de la non-violence, il est inconvenant de venir demander des comptes à
la non-violence. Non pas parce que la non-violence serait inconcevable, mais parce qu’il n’existe aucun acteur pour la concevoir en temps et lieu. Gandhi lui-même a reconnu que, parfois, l’homme pris dans le heurt des forces de violence ne saurait éviter, sous l’empire de la nécessité, de se compromettre avec la violence. « Je crois vraiment, affirme-t-il, que là où il n’y a que le choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence1. »

Dans l’état actuel des choses, les États, ne disposant pas de moyens d’action non-violents et n’étant dotés que de moyens d’action violents, ne peuvent intervenir qu’en ayant recours aux armes, pour autant que celles-ci soient réellement capables d’éviter le pire. Si c’est effectivement le cas, le choix pour l’État n’est donc pas entre la violence et la non-violence, mais bien entre la lâcheté et la violence. Ainsi, celui qui fait l’option de la non-violence ne
saurait juger de la nécessité pour l’État de recourir à la violence en se référant aux exigences de la philosophie politique de la non-violence et aux possibilités offertes par la stratégie de l’action non-violente, dès lors que l’État méconnaît totalement cette philosophie et ignore tout de cette stratégie.

Du fait même de l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable qui
domine nos sociétés, la violence est la seule force organisée dont dispose l’État. Les seuls acteurs qui sont préparés et disponibles pour agir et qui disposent de réels moyens d’action, ce sont les militaires. C’est pourquoi, dans la logique dans laquelle se situe l’État, la contre-violence peut apparaître en effet comme un « moindre mal », dès lors que l’autre possibilité est de ne pas intervenir du tout et de laisser libre cours aux fauteurs de violence.

Celui qui fait l’option de la non-violence, lorsqu’il s’agit pour lui d’apprécier la
nécessité dans laquelle peut se trouver l’État d’intervenir en recourant aux armes de la violence pour tenter d’empêcher le pire, ne saurait donc se situer par rapport à la référence éthique de la non-violence qui est la sienne, mais qui n’est pas celle de l’État parce qu’elle n’est pas celle de la majorité des citoyens. Il ne saurait transférer à sa propre conscience, les termes du dilemme qui se pose à l’État. S’il le faisait, il s’enfermerait dans un cas de conscience qui n’a pas lieu d’être. En se référant à la problématique définie par Gandhi concernant le choix entre la lâcheté, la violence et la non-violence, celui-là même qui a fait l’option de la non-violence peut penser que, somme toute, il est préférable, et donc souhaitable, que ceux qui « croient à la violence » – en l’occurrence les décideurs qui engagent l’action de l’État au nom de la majorité des citoyens – fassent usage des armes pour éviter le pire, sans qu’il se donne la mauvaise
conscience de contredire sa propre conviction concernant la non-violence. Cela signifie qu’un citoyen qui fait le choix de la non-violence peut juger que l’État qui n’a pas fait ce choix est dans la nécessité de recourir à la violence.

Pour ce qui concerne l’intervention militaire de la France au Mali, face à la menace bien réelle que les groupes armés faisaient peser sur les populations civiles du Sud, je ne saurais nier la nécessité dans laquelle se trouvait l’État français de mettre en œuvre des frappes aériennes visant à bloquer l’avancée de ces groupes. Ne faut-il pas tenir que « laisser faire » eut été faire preuve de lâcheté ? En prenant acte de ce recours ponctuel à la violence, je ne suis pas en mesure de le condamner. Pour autant, ce « moindre » mal reste un mal, et nécessité ne vaut pas légitimité. Je ne peux pas être solidaire de ce mal, mais comment ne pas en être complice ? Au demeurant, quelque part, n’ai-je pas ma part de responsabilité dans l’impossibilité de la non-violence et dans la nécessité de la violence ? Et puis-je me laver les mains au nom d’un idéal impossible à réaliser ? Ne serait-ce pas encourir le reproche – au demeurant injustifié – que Péguy faisait à Kant « d’avoir les mains pures, mais de ne pas avoir de mains » ?

La lutte contre « le » terrorisme ?

Mais prendre acte d’une intervention militaire ponctuelle susceptible d’éviter le
pire, ce n’est pas justifier une guerre prolongée au sol visant à permettre à l’armée malienne de reconquérir l’intégralité du territoire malien. Car, si l’occupation du Sud par les groupes armés aurait été « le pire », rien ne permet de penser que cette guerre au cours de laquelle des Maliens tueront d’autres Maliens avec l’aide de l’armée française soit un « moindre mal ». Le 12 janvier 2013, François Hollande déclarait : « La France, à la demande du président du Mali et dans le respect de la Charte des Nations Unies, s’est engagée pour appuyer l’armée malienne face à l’agression terroriste qui menace toute l’Afrique de l’Ouest. D’ores et déjà, grâce au courage de nos soldats, un coup d’arrêt a été porté et de lourdes pertes ont été infligées à nos adversaires. Mais notre mission n’est pas achevée. Je rappelle qu’elle consiste à préparer le déploiement d’une force d’intervention africaine pour permettre au Mali de
recouvrir son intégrité territoriale, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité. (…) Dans les jours qui viennent, notre pays poursuivra son Intervention au Mali. J’ai dit qu’elle durerait le temps nécessaire, mais j’ai toute confiance dans l’efficacité de nos forces et dans la réussite de la mission que nous accomplissons au nom de la communauté internationale. » Cette mission, je l’ai déjà souligné, risque fort d’être impossible. La notion même d’« intégrité
territoriale du Mali » n’est pas appropriée. N’oublions pas que les frontières du Mali ont été créées artificiellement par l’ancienne puissance coloniale française et qu’elle ne fait pas droit aux aspirations légitimes du peuple touareg (lequel se trouve présent dans cinq pays : le Niger, le Mali, La Libye, l’Algérie et le Burkina Faso).

Dans cette même déclaration du 12 janvier, François Hollande a rappelé que
l’opération française au Mali n’avait pas d’autre but que « la lutte contre le terrorisme ». Mais là encore, dire « le » terrorisme, c’est recourir à un élément de langage qui simplifie abusivement une réalité fort complexe qui n’existe pas in abstracto. Cette simplification qui absolutise « le » terrorisme ne peut qu’engendrer une confusion politique qui embrouille la mise en œuvre des stratégies de résistance.

Revenons aux paroles fortes et lucides d’Aminata Traoré par lesquelles elle
dénonçait par avance la guerre au Mali : « La guerre, rappelons le, est une violence extrême contre les populations civiles, dont les femmes. Pourquoi les puissants de ce monde qui se préoccupent tant du sort des femmes africaines ne nous disent rien sur les enjeux miniers, pétroliers et géostratégiques des guerres. (…) Tout est donc clair. La guerre envisagée au Mali s’inscrirait dans le prolongement de celle de l’Afghanistan, d’où la France et les États-Unis se
retirent progressivement après onze années de combats et de lourdes pertes en hommes, en matériel et en finance. »

Le 21 décembre 2012, l‘écrivain malien Moussa Ag Assarid, un responsable du
MNLA affirmait : « Nous sommes contre le concept actuel d’intervention sur le territoire de l’Azawad. Dans cette situation, il y a une inversion des objectifs. Le Mali sait que le MNLA l’a chassé de l’Azawad il y a quelque mois. C’est un élément que le monde semble avoir oublié aujourd’hui et pourtant, les autorités maliennes cherchent à se venger. Derrière l’intervention étrangère pour libérer le territoire des mouvements narco-terroristes, il y a un objectif très clair des autorités maliennes : éliminer les populations de teint clair et nomades de
l’Azawad. Et, en cela, cette intervention sera un génocide. (…) C’est une Véritable guerre civile qui va s’engager. L’armée malienne veut se venger des teints clairs, c’est-à-dire des Touaregs et des Arabes. Toutes les peaux claires sont une cible pour cette armée malienne et c’est en cela que cette guerre sera un génocide.» (www.jolpress.com)

Le 21 janvier 2013, l’Ong Human Rights Watch (HRW) a adressé une lettre au président français sur la situation au Mali ( www.hrw.org) : « Alors que la France est le fer de lance des opérations militaires menées pour contrer l’offensive des groupes islamistes vers le sud du Mali, nous souhaitons vous faire part de nos inquiétudes sur les possibles conséquences de cette opération pour les droits humains. » L’organisation dénonce à la fois les exactions commises par les groupes islamistes et par l’armée malienne. Les groupes islamistes, affirme HRW, « ont recruté, entraîné, et utilisé plusieurs centaines d’enfants en leur sein depuis qu’ils ont commencé à occuper le nord du Mali en avril 2012. En décembre et en janvier derniers, des témoins ont rapporté avoir visité des camps d’entraînement dans la région de Gao, dans lesquels, plusieurs dizaines d’enfants étaient entraînés au maniement des armes à feu et subissaient des entraînements physiques. Dans plusieurs de ces endroits, des enfants ont aussi été vus en train d’étudier le Coran. Certains de ces centres d’entraînement se trouvaient à l’intérieur ou à côté de bases militaires islamistes. Certaines de ces bases ont peut-être déjà été visées par des attaques aériennes françaises ou pourraient l’être. Des témoins fiables nous ont rapporté que plusieurs enfants soldats figuraient parmi les blessés lors des récents combats à Konna et probablement ailleurs. » En ce qui concerne le soutien apporté à l’armée malienne pour regagner le contrôle de son territoire national, HRW dénonce les abus dont sont responsables les éléments de l’armée malienne « dont en particulier le leader du coup d’Etat, devenu chef de la réforme du secteur de la sécurité, le capitaine Sanogo. Les troupes sous son autorité ont été impliquées dans des exécutions extrajudiciaires, des cas de torture et des disparitions forcées, et ne devraient pas être autorisées à commettre de nouveaux abus ». La lettre d’HRW ajoute : Nous nous sentons également dans le devoir de vous prévenir que lorsque l’armée malienne regagnera le contrôle du territoire au Nord, si tel est le cas, des représailles et des assassinats généralisés à L’encontre des civils perçus comme étant opposés au gouvernement risquent d’avoir lieu. Les tensions ethniques sont très fortes et les milices pro-gouvernementales, ainsi que des groupes de jeunes, ont rassemblé des listes de personnes qu’elles soupçonnent d’avoir soutenu les groupes islamistes et le MNLA et dont elles cherchent à se venger. Plusieurs de ces miliciens et leurs chefs nous ont confié que ces listes avaient été remises à l’armée malienne. »

HRW transmet alors ces recommandations au président français : « La France doit encourager l’ONU à déployer une mission forte et compétente d’observateurs des droits humains des Nations Unies aux côtés de la force militaire internationale, et l’assister dans cette tâche. (…) Par le biais de l’Union européenne, la France devrait demander le déploiement urgent de juristes militaires ayant une expérience acquise sur le terrain du droit de la guerre
afin de conseiller et d’assister l’armée malienne et les troupes de la CEDEAO et celles du Tchad sur les règles d’engagement qui font des civils et de leur protection une priorité durant les opérations militaires. Ces problématiques devraient être au cœur du programme de formation de la mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali). »

Le 23 janvier, la Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) a publié un communiqué dans lequel elle s’est dit « fortement préoccupée par la multiplication des exécutions sommaires et autres violations des droits humains commises par des soldats maliens dans le contexte de la contre-offensive menée par les armées françaises et malienne contre les djihadistes ». Selon l’organisation, ces actes de violence auraient été commis par des éléments des forces armées maliennes dans les villes de Sévaré, Mopti, Niono et d’autres localités situées dans les zones d’affrontement. (www.jolpress.com)

Par ailleurs, les opérations militaires françaises contre les villes occupées par les groupes islamistes ont pour effet de pousser des milliers de Maliens à fuir leurs villages et à se déplacer vers les pays limitrophes. Selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies, du 11 au 23 janvier, 5 486 réfugiés sont arrivés en Mauritanie, 2 302 au Burkina Faso et 1 578 au Niger. Avant même, le déclenchement de l’intervention française, on comptait 150 000
réfugiés dans la région et 230 000 déplacés à l’intérieur du Mali. Tout laisse penser que ces déplacements de population vont se poursuivre tant à l’extérieur qu’à l’intérieur et on peut craindre une véritable catastrophe humanitaire.

Une force internationale d’interposition

Ainsi, tout laisse penser que la guerre décidément n’est pas la solution, mais qu’elle est le problème. Non seulement la guerre franco-malienne en détruira pas les terroristes, mais elle n’endiguera pas le terrorisme. Elle viendra plutôt enrichir le terreau dans lequel le terrorisme s’enracine. Ce que la situation au Nord-Mali exigeait hier et ce quelle exige aujourd’hui, ce n’est pas l’envoi de forces de guerre africaines et étrangères, mais le déploiement, sous l’égide de l’ONU, d’une force de paix internationale à laquelle seraient confiées des missions d’observation, d’interposition, de protection, de médiation et de négociation auprès des différentes parties en conflit dans la région. Il faut prendre le risque de créer un processus politique de rétablissement de la paix qui procède de prémisses totalement différentes de celles des actes de guerre. Il s’agit de réactualiser les missions confiées à des « casques bleus » pour lesquels la règle est le « non-usage de la force, sauf en cas de légitime défense ». Dans le cadre de cette force de paix, il convient d’inclure des missions confiées à des civils préparés à mettre en œuvre les méthodes de la résolution non-violente des conflits. L’enjeu, et il est considérable, est de créer les conditions qui permettent aux maliens de construire un État de droit au Mali sur l’ensemble de leur territoire. Les Nations Unies sauront-elles se donner les moyens de déployer une telle force de paix, en refusant de céder encore à la tentation de laisser la parole aux armes de guerre. Là est le défi que les peuples et les nations doivent relever. Nul doute que la France, de par son implication dans cette crise peut et doit jouer un rôle diplomatique majeur pour exiger la création de cette force de paix.

« C’est très beau la Paix, s’insurgeait Georges Bernanos, seulement les gens se
demandent ce que vous allez mettre dedans. La guerre est beaucoup plus facile à remplir que la paix2. » Jusqu’à présent, dans leurs différentes opérations extérieures, les Occidentaux n’ont su que remplir la guerre, tandis que la paix est restée désespérément vide. Après l’Irak et l’Afghanistan, le Mali ne fera probablement pas exception. Le même Bernanos disait encore : « Pour être prêts à espérer en ce qui ne trompe pas, il faut d’abord désespérer de ce qui trompe3. » Pour pouvoir espérer dans la paix, il faudrait commencer par désespérer de la guerre. Quand tout est dit, il n’existe pas de guerre juste.

Le 27 janvier 2013

Jean-Marie Muller

PS. Il n’est pas inintéressant de souligner que, dans cette crise internationale
majeure, la possession par la France de l’arme nucléaire, dont le président de la République nous assure qu’elle est le fondement de la puissance de notre pays pour assurer son influence sur la scène internationale, n’est en l’occurrence strictement d’aucune utilité. Elle ne sert rigoureusement à rien. À rien du tout.

  1. Collected Works of Mahatma Gandhi, New Delhi, Publications Divison, Ministry of Information and Broadcasting, Government of India, 1965, Vol. 18, p. 132-133.
  2. Georges Bernanos, Les enfants humiliés, Paris, Gallimard, 1949, p. 133.
  3. Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire ?, Paris, Gallimard, 1953, p. 249.
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