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Édition du 1er au 15 décembre 2024
Internés avec leurs familles, certains enfants passeront jusqu’à quatre ans et demi

Jargeau, camp d’internement de Tsiganes et autres parias

Il y a 60 ans fermait le camp de Jargeau. De 1941 à décembre 1945, les autorités françaises y avaient interné, sur ordre des nazis, des familles entières de Tsiganes, de nomades mais aussi des prostituées et plus simplement des marginaux. Retour sur une persécution oubliée.

Le camp de Jargeau 1941-19451

Situé à 20 kms d’Orléans, la construction du camp de Jargeau commence vers la fin de l’année 1939. Dix-sept baraques sont édifiées pour abriter des réfugiés de la région parisienne. Mais la débâcle et l’arrivée de la Wehrmacht vident le camp de ses habitants. Les Allemands le transforment en « Frontstalag 153 » où s’entassent pendant plusieurs mois 900 prisonniers de guerre français.

Le 26 octobre 1940, la Feldkommandantur 549 basée à Orléans ordonne aux autorités françaises de procéder à l’arrestation de tous les nomades du département du Loiret et d ‘organiser leur internement. Jacques Morane, le préfet régional, décide d’utiliser l’ancien Frontstalag 153, et le 5 mars 1941, le camp des nomades de Jargeau est officiellement « ouvert ». La plupart des Tsiganes du Loiret et des départements limitrophes sont raflés par la gendarmerie nationale. D’autres sont victimes de dénonciations. Au début du mois d’août 1941, le commandant du camp recense 606 internés.

A partir d’octobre 1941, « d’autres catégories d’individus » arrivent à Jargeau : prostituées, étrangers, internés politiques ou administratifs. Ce camp fonctionnera de mars 1941 à décembre 1945 et recensera 1 720 personnes (dont 1 190 Tsiganes).

Internés avec leurs familles, certains enfants passeront jusqu’à quatre ans et demi
Internés avec leurs familles, certains enfants passeront jusqu’à quatre ans et demi

Jargeau, le camp des parias

par Sylvain Brient2

Un petit monument discrètement planté en 1991 sur une pelouse du collège de Jargeau. C’est aujourd’hui la seule trace visible des souffrances endurées par plus de 1700 personnes, détenues ici par les autorités françaises durant plus de quatre ans.
Sans les recherches de Patrick Vion dans le cadre de son mémoire de maîtrise à l’université d’Orléans, l’existence même de ce camp serait presque passée aux oubliettes de l’histoire. « Ce qui nous manque le plus pour connaître ce camp de Jargeau, c’est la mémoire », explique Benoît Verny, historien au Centre d’études et de recherches sur les camps d’internement du Loiret (Cercil). On connaît bien le génocide des Juifs mais pour les Tsiganes, les persécutions dont ils ont été victimes en France ont été presque oubliées, faute de témoignages directs. » C’est principalement dans les documents conservés aux archives départementales du Loiret que l’on en retrouvera la trace.

Construit en 1939 pour accueillir des réfugiés de «la drôle de guerre», Jargeau ouvre ses portes en mars 1941 sur ordre des Allemands qui demandent aux autorités préfectorales d’interner ici tous les nomades. Alors que le génocide des Tsiganes a déjà débuté outre-Rhin, les nazis n’ont pas, en France, de plan de balayage bien établi comme pour les Juifs. Pourtant en quelques mois, les gendarmes français vont rafler des familles entières de nomades dans le Loiret, le Loir-et-Cher, l’Eure-et-Loir et le Cher. Dépouillés de tous leurs biens, hommes, femmes et enfants vont se retrouver internés à Jargeau, durant quatre ans et demi pour certains. « Si, ces persécutions ont été réalisées de façon aussi efficace, c’est que les autorités françaises ont activement collaboré, précise
Benoît Verny. Il y a bien eu quelques protestations liées à l’arrestation de “forains”, mais globalement ce dispositif ne faisait que s’inscrire dans la vieille méfiance de l’administration française vis-à-vis des Tsiganes et du mode de vie nomade en général.»

Le camp : 17 baraques construites initialement pour accueillir les réfugiés de « la drôle de guerre ».
Le camp : 17 baraques construites initialement pour accueillir les réfugiés de « la drôle de guerre ».

Le nomade, un suspect désigné

Ainsi depuis 1912, une loi impose aux nomades de tous âges, de porter en permanence sur eux un carnet anthropométrique d’identité qu’ils doivent présenter aux autorités à chacun de leur déplacement. Il est conçu sur le modèle des casiers judiciaires et fait donc d’eux des
« suspects a priori ». Accusés de tous temps par les populations de la moindre rapine, de propager le typhus, la gale, d’être même des espions au service de l’ennemi, les Tsiganes seront dès 1940 astreints à résidence par les autorités. «En les privant de leur mode de vie nomade, on les prive de toutes ressources et on les contraint presque à voler les poules pour subsister », souligne l’historien du Cercil. Finalement dans ce contexte, la demande des Allemands ne suscite que peu de protestations et pour ainsi dire arrange tout le monde, élus et administration en tête. Seules s’élèveront quelques voix du côté
de l’Assistance sociale et des religieux.

Placé sous la direction d’un fonctionnaire de la préfecture et surveillé par des gendarmes et des douaniers français, le camp de Jargeau offre pourtant des conditions de détention déplorables. Discipline de fer, nourriture de mauvaise qualité, maladies, manque d’hygiène, malgré quelques visites de la Croix-Rouge et l’installation d’une école pour les enfants, la vie au camp est effroyable.

Aux nomades et autres marginaux déjà internés vont, en 1942, s’ajouter des prostituées, celles dites «clandestines
». «A l’époque, les prostituées étaient classées en
trois catégories,
explique Benoît Verny, il y avait des officielles
qui travaillaient en maison close, des “encartées”
dont la profession était reconnue par la police et enfin
des clandestines qui, à la différence des autres, n’avaient
pas de contrôle sanitaire obligatoire. C’est la peur des
maladies vénériennes qui contraint les Allemands à
adopter cette mesure d’enfermement.
» Pour tenter de
racheter ces quelque 300 femmes et leur donner l’envie
de retrouver une profession “honorable” aux yeux de la
société, celles-ci seront confiées aux soeurs d’un couvent
orléanais. Le reste du temps, elles seront employées pour
quelques sous dans un atelier de réfection de sacs en
toile, implanté directement dans le camp par une société
des environs. Les hommes internés au camp fourniront,
eux-aussi, une main d’oeuvre bon marché et corvéable
aux entrepreneurs de la région.

Dans la cour de l'école.
Dans la cour de l’école.

L’un des faits marquants de l’histoire du camp de Jargeau est que l’internement des Tsiganes y est poursuivi bien après le départ des troupes allemandes. Dans une lettre datée du mois d’octobre 1944, le ministère de l’Intérieur précise ainsi aux préfectures que la situation
du pays, encore en guerre, ne permet pas encore de libérer les populations tsiganes internées. Une mesure qui en dit long sur l’indéfectible méfiance des autorités vis-à-vis des nomades. De même, nombre de maires écriront aux ministères pour protester contre le retour éventuel des Tsiganes sur le territoire de leurs communes. Libérés malgré tout, certains seront parfois ré-internés jusqu’en décembre 1945.

Il fallut attendre une décision nationale de liquidation de tous les camps d’internement pour que celui de Jargeau libère ses prisonniers. L’un des rares témoignages recueillis par Benoît Verny auprès d’un Tsigane interné à Jargeau alors qu’il était enfant retrace cette libération. «On nous a ouvert les portes et on nous a dit va-t’en! Après ces années passées dans le camp avec ma famille, nous n’avions plus rien et nulle part où aller.» Livrés à eux-mêmes, sans moyens de subsistance, les Tsiganes reprendront leur existence nomade, les prostituées cesseront leur activité ou l’exerceront officiellement. Il s’en est fallu de
peu que les persécutions dont ils ont été victimes ne sombrent dans l’oubli.

Sylvain Brient
  1. Source : la page du Centre de recherche sur les camps d’internement du Loiret sur le site de l’académie dOrléans-Tours.

    À LIRE : Pascal Vion, Le camp de Jargeau, juin 1940, décembre 1945. Histoire d’un camp d’internement dans le Loiret, préface de Serge Klarsfeld, éd. du Cercil – 2004

  2. Article de Sylvain Brient, journaliste à Orléans.mag (Direction Information Communication Mairie d’Orléans), paru dans Orléans.mag, n°35, février 2006.

    Crédit photos : Cercil.

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