Dans sa chronique du vendredi 1er novembre, François Morel s’adresse à la jeune Angevine et lui conseille de manger beaucoup de bananes :
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Pascal Blanchard : «C’est un racisme pur et dur,
un racisme de peau»1
Des cris de singe, des bananes brandies, des dessins de guenon. «Je n’ai rien à dire à des personnes qui profèrent de telles paroles, qui sont je le rappelle, un délit.» Hier encore, interpellée sur les insultes racistes qu’elle essuie régulièrement, Christiane Taubira a rappelé sa ligne : ne pas surréagir sur les attaques à sa personne, mais s’inquiéter des paroles racistes proférées avec une impunité de plus en plus grande.
- Christiane Taubira est la cible d’insultes racistes de plus en plus brutales. Pourquoi ?
L’erreur serait de penser que cette brutalité n’existait pas avant. En réalité ce qui était invisible est rendu visible, un interdit a sauté. Des mots qui étaient il y a peu de l’ordre du scandale ou de l’interdit surgissent sur la scène publique : lors de manifestations ou dans les reportages télévisés. Ce qu’on entendait jusqu’alors dans les stades de foot – des cris de singe à l’entrée des joueurs sur le terrain, des phrases comme «il y a trop de Noirs dans l’équipe de France» – est dit désormais tout à fait ouvertement contre une ministre.
- Pourquoi ces personnes qui profèrent des injures racistes osent-elles ?
Elles ont l’impression que leur opinion est devenue la norme. Que la majorité des Français les soutiennent. Des intellectuels tiennent des propos islamophobes, des magazines font des unes du même acabit, pourquoi le citoyen lambda n’aurait pas le droit lui aussi de tenir de tels propos ? Les barrages ont sauté les uns après les autres depuis dix/quinze ans. Ceux qui profèrent des propos racistes à l’encontre de Christiane Taubira lui reprochent d’être illégitime à son poste, non pas pour des questions de compétence, mais au nom de sa «race», qui serait inférieure et ne pourrait participer à la société politique. C’est un racisme pur et dur, un racisme de peau, qui fait penser à l’Amérique des années 30 ou à la France coloniale. Pour les racistes, Christiane Taubira est devenue l’ennemie. Ça n’est malheureusement pas fini, elle va focaliser désormais cette violence.
- Pourquoi ça va continuer ?
Elle cumule quatre points de fixation forts et indélébiles. C’est une femme : elle ne serait pas légitime à son poste. Elle vient de l’outre-mer : depuis quand ceux-là viennent dire à la métropole ce qu’elle doit faire ? Elle est noire : et elle ose représenter la Justice ? Enfin, elle a porté deux textes emblématiques : le premier, lorsqu’elle était députée, sur la mémoire de l’esclavage, symbole de la repentance pour les racistes et les néocolonialistes, le second sur le mariage pour tous. Elle est la démonstration parfaite – en tout cas c’est celle que faisaient Charles Maurras ou Maurice Barrès au début du XXe siècle – que si une personne noire entre dans le système, elle le détruit de l’intérieur. C’est bien pourquoi au temps des colonies, le système refuse le droit de vote aux colonisés. Ajoutons qu’elle a de l’argumentaire et de la conviction politique, qu’elle n’a besoin de personne pour se défendre : l’abattre politiquement, c’est abattre tous ceux qui voudraient suivre son exemple. C’est tuer un symbole.
- Pensez-vous que la réaction politique, associative ou médiatique a été à la hauteur de la violence des attaques ?
Non. Il y a tant d’attaques en ce moment, qu’il faudrait passer son temps à y répondre… Les intellectuels, les hommes politiques ou les médias, n’arrivent plus à mobiliser. A une époque d’angoisse identitaire, de crise et de doutes face à notre politique migratoire, le premier réflexe est désormais souvent : «Ah non on ne va pas encore parler de ça…» Encore une fois, ce n’est pas parce que la loi Gayssot a interdit l’expression d’opinions racistes qu’elles n’existaient plus. L’interdit sur ces mots-là est levé moralement aujourd’hui, ces cris de singe et ces bananes sont devenus un langage, des codes qui sont parfaitement compris dans l’espace public, et les élites ne savent plus comment y répondre. Il va falloir éduquer et agir autrement et décoloniser ces imaginaires qui irriguent encore la société française.
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Christiane Taubira, à Toulouse, le 28 octobre 2013 :